▪ Tous ceux qui prétendaient une semaine auparavant que les turpitudes des groupes immobiliers de Dubaï n’étaient pas en mesure d’affecter la marche des affaires à Londres ou New York semblent un peu moins sûrs d’eux 15 jours après le déclenchement de la crise.
Le scénario ressemble à s’y méprendre à celui de la faillite de New Century Financial fin février 2007 : une banque californienne fait faillite pour cause d’abus de prêts subprime — et cela provoque une soudaine montée d’inquiétude à Wall Street et en Asie.
Immédiatement, les communicants des plus grands groupes financiers américains allument des contre-feux. Ils expliquent qu’il s’agit d’un problème « local », que cela ne concerne qu’un segment très particulier de l’industrie du crédit, qu’il n’y a aucun risque de contamination… et la Banque centrale achève d’enterrer les craintes des investisseurs en affirmant haut et fort que les Etats-Unis n’ont jamais été aussi prospères et que le bilan des banques américaines n’a jamais été aussi solide.
Les Bourses, trompées par les docteurs Diafoirus de Wall Street, se remettront à grimper le coeur léger durant plus de six mois en Europe et huit mois aux Etats-Unis… avant que les investisseurs ne réalisent que l’effondrement de New Century Financial était l’équivalent financier de l’explosion de la centrale de Tchernobyl. La crise a libéré un énorme nuage d’actifs toxiques qui contaminera pratiquement tous les établissements de crédit, tous les assureurs et des centaines de milliers de collectivités locales sur la planète.
Les banques des pays du Proche-Orient furent les seules à ne perdre aucune plume de façon directe sur les subprime. En effet, spéculer sur des produits de taux — et pire encore via des produits à effet de levier sur des créances immobilières ou des cartes de crédit — viole plusieurs interdits selon les lois islamiques (charia).
Mais les Fonds souverains des pays du Golfe perdirent beaucoup en soutenant par la suite les banques occidentales (Citigroup, UBS, RBOS, Morgan Stanley) qui s’étaient fourvoyées dans la bulle des dérivés de crédit. L’un des plus impactés fut Mubadala, un fonds d’Abou Dhabi qui pesait plus de 250 milliards de dollars à l’été 2008. Le Singapourien Tamasek, qui détient 14% de Merrill Lynch mais a également investi dans les Emirats, aurait également payé très cher son entrée en force au capital de banques anglo-saxonnes.
▪ Tous les grands centres d’affaires mondiaux, dont Shanghai, Shenzhen et Macao, sont étroitement interconnectés. Les enjeux — nous parlons d’investissements croisés entre différents fonds souverains — se chiffrent en dizaines de milliards de dollars.
Prétendre que les déboires des uns n’ont aucun impact sur tous les autres est carrément mensonger… mais l’exemple de New Century Financial, de Washington Mutual ou d’AIG démontre que plus la tromperie est grosse, mieux elle passe.
Personne n’ose imaginer que les économistes les plus réputés et les mieux payés de la City ou de Wall Street se rendraient complices de tentatives de désinformation aussi grossières : ils y perdraient toute leur crédibilité !
Mais pour quelques bonus mirobolants, beaucoup de monde serait prêt à faire une entorse à l’éthique… et reprendre à son compte les mensonges les plus utiles en feignant de découvrir, stupéfait, que la réalité est toute autre.
Dire que pendant ce temps-là, l’opinion publique s’enflamme pour la « main » de Thierry Henry ou les 850 000 euros de prime du sélectionneur français — une récompense inférieure de 90% à celle perçue par son homologue italien entraînant l’équipe britannique.
▪ Et pendant que le débat sur le salaire de joueurs de football payés 10 000 $ par jour fait rage, le feuilleton de l’automne gris foncé des Emirats se poursuit. Des milliards de dollars se volatilisent chaque jour dans l’indifférence générale, à mesure que Moody’s ou Standard & Poor’s dégradent jour après jour la notation des fleurons de l’économie émiratie.
Les Bourses de Dubaï et d’Abou Dhabi ont plongé mardi ; elles ont perdu respectivement à la clôture plus de 6% et de 3% de leur valeur, poursuivant leur chute pour la deuxième journée consécutive. L’indice DFM de la Bourse de Dubaï a plongé mardi de 6,15% (après -5,85% lundi) et l’ADX d’Abou Dhabi a chuté de -3,3%.
Le géant immobilier de Dubaï, Emmar (notation abaissée par Moody’s), a dévissé de 9,85% après avoir perdu la veille 10%, le maximum autorisé pendant une séance de cotation. Une semaine plus tôt, Dubaï avait perdu 12,5% de sa valeur 48 heures après sa réouverture — et la bourse d’Abou Dhabi avait chuté de 11,6%.
Les 25% perdus par Dubaï (ou les -16% d’Abou Dhabi) en quatre séances ne vont naturellement avoir aucune répercussion mesurable sur Séoul — les firmes de BTP coréennes sont les principales opératrices sur les chantiers des Emirats. Idem de Singapour à la City, en passant par Riyad ou Koweït City ! C’est un problème « local » on vous dit !
▪ Autre problème local qui s’avère soudain contagieux : l’abaissement en cascade de la note de crédit à long terme de la Grèce. Standard & Poor’s et Moody’s avaient mis sous surveillance la dette hellénique lundi (avec une perspective négative) ainsi que celle du Portugal, en raison de l’incapacité de ces deux pays à réduire leur déficit budgétaire et leur dette publique (120% du PIB) dans un avenir prévisible.
C’était au tour de Fitch de sévir ce mardi. L’agence de notation ne fait pas dans la demi-mesure : un abaissement de AAA- à BB+, assorti d’une perspective négative. L’écart de rendement entre un emprunt d’Etat à 10 ans grec et un Bund de maturité équivalente s’élevait mardi soir à 230 points de base.
Ces annonces avaient déstabilisé l’euro face au dollar et au yen dès lundi. Le coup de grâce est survenu avec la publication en Allemagne de statistiques qui remettent en cause l’anticipation d’une embellie conjoncturelle durable sur le Vieux Continent.
L’indicateur allemand de la production industrielle a en effet chuté de 1,8% en octobre. C’est la seconde mauvaise nouvelle consécutive outre-Rhin en 48 heures, après l’annonce lundi d’une forte baisse (-2,7%) des commandes à l’industrie — un chiffre qui avait laissé Francfort indifférent la veille.
▪ La Bourse allemande a cédé -1,65% (tout comme l’Euro-Stoxx 50). Le CAC 40 en a terminé sur une perte de 1,43%, après un test des 3 770 points. L’indice tricolore a donc reperdu les 100 points gagnés lors de la publication des chiffres du chômage US le vendredi 4 décembre.
C’est Wall Street qui scelle l’émergence d’une vague de consolidation sur les places occidentales avec un repli de 1,1% du S&P 500. Le Nasdaq aligne quant à lui une troisième séance de baisse sur une série de quatre.
La flambée de 2,5% des indices en intraday vendredi n’aura en quelque sorte existé que pour tromper indifféremment les haussiers et les baissiers, avec un enchaînement assez rare de bear trap puis de bull trap à 24 heures d’intervalle.