Les marchés détiennent les banques centrales – et les démocraties – en otage, mais le système actuel commence à vaciller de plus en plus sévèrement.
Le marché financier inclut désormais une probabilité de réduction des taux de 21% lors de la réunion du FOMC ce soir, avec une probabilité de 86% d’ici au 31 juillet.
La situation n’a pas d’équivalent dans l’Histoire.
Il est sans précédent que les autorités d’un pays se lancent dans un cycle d’assouplissement de la politique monétaire avec un taux de chômage de 3,6%, des conditions financières totalement souples et stimulantes et des marchés actions proches de sommets record.
Il faut joindre à cette liste d’anomalies que l’expansion du crédit est proche des rythmes les plus élevés enregistrés depuis une décennie.
Enfin, j’ajoute ceci dont personne ne parle : nous sommes en temps de paix !
On ne connaît pareilles dérives qu’en temps de guerre. Au passage, j’en profite pour signaler que le magazine Foreign Affairs se demande si en fait Powell ne cherche pas à aider Trump dans sa guerre commerciale contre la Chine.
Personnellement, je partage cette interrogation depuis longtemps. Pour moi, la Fed est sensible aux arguments de politique étrangère et en tient compte : les Etats-Unis ne peuvent entrer en récession alors qu’ils sont engagés dans un colossal effort de guerre pour reconquérir la suprématie. MAGA…
La Fed fait semblant de traîner les pieds pour des raisons de crédibilité.
Les banques centrales en otage… et la démocratie aussi
Il est incroyable que la Fed réduise les taux dans le contexte actuel, mais les marchés ont assurément réussi à forcer la main de la Fed par leur volatilité. Les marchés, c’est-à-dire le business et les ultra-riches, savent que la Fed est leur otage.
Le fait que des marchés hautement sinon purement spéculatifs exercent une telle influence sur la Fed et sur tous les banquiers centraux mondiaux en dit long sur nos systèmes soi-disant démocratiques.
Cela témoigne en outre de la fragilité de nos systèmes mais aussi de la nature précaire de la dynamique des marchés et des économies en cette période de fin de cycle.
La situation est éclairée de manière assez caricaturale dans les données financières publiées dans le Flow of Funds Z.1 de la Fed [NDLR : « flux de fonds », un système de comptabilité reprenant divers bilans interconnectés et permettant de mesurer l’actif et le passif d’une nation].
Au quatrième trimestre, la croissance de la dette non-financière a été ramenée à 1 404 Mds$ (taux annuel ajusté de manière saisonnière), contre 2 300 Mds$ pour le troisième trimestre.
La crise était écrite dans ces chiffres.
J’explique régulièrement que, pour tourner, la machine économique américaine a besoin de produire beaucoup, beaucoup de crédit – et donc de dettes. Il faut désormais en produire au minimum 2 200 Mds$ par an. 1 400 Mds$ était manifestement insuffisant.
En bref, ce nouveau crédit du quatrième trimestre était insuffisant pour soutenir les bulles financières et économiques.
Risques et inadaptation
Mais la volte-face dovish de la Fed du 4 janvier a ouvert les vannes d’inondation. Les conditions financières plus favorables ont propulsé les actions à la hausse, ce qui a permis d’accroître rapidement la fortune nette des ménages.
Après avoir enregistré une baisse trimestrielle record de 3 960 Mds$ au quatrième trimestre 2018, la fortune nette des ménages a bondi à un record de 4 691 Mds$ au premier trimestre 2019.
Tout ceci confirme, si besoin en était, que nos systèmes sont profondément instables, qu’ils ne tiennent que lorsque les robinets du crédit sont grands ouverts et qu’ils ne supportent plus aucun retour au raisonnable.
C’est marche ou crève… génère du crédit ou chute.
Les systèmes sont devenus extrêmement fragiles. J’ai expliqué à longueur de colonnes que l’erreur colossale des autorités a été de mettre le crédit sur les marchés alors qu’auparavant il était en banque.
En banque, on connaît les clients, on contrôle le crédit et sa qualité ; sur les marchés, en revanche, personne ne contrôle ni la qualité ni la quantité – ainsi, le crédit est soumis aux caprices des appétits spéculatifs, les « esprits animaux » de Keynes.
Les banques centrales sont condamnées à toujours stimuler la prise de risque, autrement dit l’appétit pour le jeu spéculatif. Tout est devenu le sous-produit d’une activité de casino.
Le crédit basé sur le marché domine tellement le système du crédit que la dynamique spéculative risk-on/risk-off a maintenant un effet extrêmement déstabilisant sur les conditions financières et, par contrecoup, sur la production de crédit, sur les prix des titres, sur la fortune nette des ménages et sur la performance économique.
Dans cet environnement de marché hautement spéculatif, le risk-on est obligatoire. Il garantit des conditions financières ultra-laxistes, un excès de crédit et de spéculation et une inflation des valorisations du marché financier. En même temps, la mauvaise allocation des fonds est exacerbée, l’inadaptation économique est garantie et les inégalités galopent.
Lorsque le risk-on faiblit – et il le fait invariablement –, les conditions financières se durcissent brusquement, les émissions d’emprunts et la croissance du crédit chutent brutalement, les marchés deviennent illiquides, les prix des actions s’effondrent, la fortune nette des ménages se dégonfle, c’est la spirale descendante.