Explosion ou pas ? Difficile de le dire, mais l’accumulation des risques économiques et géopolitiques rend la position des Etats-Unis et du dollar au centre du système de plus en plus précaire.
La dynamique à venir des bulles est non connue.
Certes, il y a eu des bulles dans le passé, mais jamais une bulle n’a été poussée à un tel extrême par des autorités conscientes de ce qu’elles faisaient.
Car l’originalité de la situation bullaire présente est qu’elle est voulue, instrumentalisée, et non subie passivement. La bulle sert à financer le beurre et les canons.
C’est volontairement que, depuis 2008, comme l’a dit Lawrence Summers, on fait plus de tout ce qui a conduit à la crise.
Les risques augmentent de façon exponentielle au fil du temps. Mais l’apprentissage – et l’habilité – des autorités augmente également. Tandis que le public s’habitue à l’anormalité, apprend lui aussi à faire avec et à profiter de la situation bullaire.
C’est tout un système déséquilibré de haut en bas et en profondeur qui s’est mis en place pour fournir une apparence d’adaptation.
Néanmoins 2022 est/sera, selon moi, une année charnière pour cette période de bulle historique de plusieurs décennies.
Des accélérations économiques
Sur plusieurs fronts, les choses se sont accélérées.
Au cours des neuf trimestres commençant au troisième trimestre 2019, l’encours de la dette du Trésor américain a augmenté de 6 400 Mds$, soit de 36%, pour atteindre un record de 24 300 Mds$.
Depuis septembre 2019, la dette non financière du système américain a augmenté d’un montant sans précédent de 10 400 Mds$, soit 20%.
Les actifs du bilan de la Réserve fédérale – je vous rappelle que la Fed est une banque ! – ont bondi de 5 140 Mds$ depuis septembre 2019 pour atteindre 8 911 Mds $. Depuis fin 2007, cela représente plus qu’une multiplication par 10.
En Chine, le financement global a bondi de 12 400 Mds$ depuis juillet 2019, ou 33%, pour dépasser 50 000 Mds$. Depuis 2007, les actifs des banques chinoises sont passés de 6 900 Mds$ à 54 300 Mds$, soit une croissance de 684%. L’offre de « monnaie » M2 de la Chine a gonflé de 7 540 Mds$, ou 25%, depuis septembre 2019, pour atteindre un record de 38 300 Mds$.
Suivant l’exemple des États-Unis et de la Chine, le monde entier a succombé au virus du crédit. L’excès de « dopage » de fin de cycle a maintenu une myriade de bulles, mais à un coût énorme :
- des bulles spéculatives sur les valeurs mobilières ;
- un mal-investissement incontrôlable ;
- une inadaptation structurelle, profonde et généralisée ;
- des inégalités colossales internes et externes ;
- la disparition des consensus domestiques et globaux.
La nouveauté qui me fait dire que 2022 sera une année charnière, c’est la dynamique inflationniste qui est sortie de son cantonnement dans les marchés d’actifs et qui a débordé sur les prix à la consommation et à la production.
Le CPI (indice des prix à la consommation) américain a dépassé 7% pour la première fois depuis 1982.
La Chine est dans la phase initiale d’un effondrement historique de l’immobilier.
L’Europe est coincée dans un élargissement de ses divergences qui menace non seulement l’euro mais aussi son système bancaire.
Des pressions géopolitiques
Le second élément qui fait penser à une année 2022 charnière, c’est la montée des risques géopolitiques.
La Chine a considérablement accru sa pression sur Taïwan, tout en s’efforçant de renforcer sa domination en mer de Chine méridionale.
La Russie a constitué la plus grande mobilisation militaire européenne depuis la Seconde Guerre mondiale, avant que Poutine ne déclare reconnaître les indépendantistes du Donbass, et lance ses troupes dans une mission de « maintien de la paix ».
Les deux pays réagissent de manière agressive à la volonté évidente des Etats-Unis de maintenir son hégémonie impériale malgré son affaiblissement relatif. Les Etats-Unis sont en effet profondément divisés, au point que popularité de Biden est déjà dans les plus-bas après un an de mandat, encore plus bas que Trump au même point.
Poutine fustige la politique américaine d’encerclement par l’OTAN depuis plusieurs années maintenant. Selon lui, les États-Unis ont à plusieurs reprises franchi les lignes rouges de la sécurité russe.
Les diatribes sur l’expansion de l’OTAN, les « révolutions de couleur » parrainées par les États-Unis, l’ingérence dans d’autres affaires intérieures dans la poursuite des intérêts mondiaux des États-Unis, les sanctions économiques unilatérales, la domination américaine de la finance mondiale et des organisations internationales, etc. : tout cela se cumule pour faire en sorte que la question de l’Ukraine est en réalité secondaire.
Ce qui est refusé et contesté, c’est l’ordre imposé par les Américains, c’est l’ordre du monde issu de la Seconde Guerre mondiale puis de la guerre froide.
Or et c’est là où j’en reviens à mon propos initial, cet ordre mondial qui a dépassé les possibilités américaines n’est maintenu que par la bulle monétaire du dollar, la bulle financière de Wall Street et l’hégémonie juridique que se sont arrogé les Américains.
Nous ne sommes pas dans une simple revendication territoriale ou dans une recherche de sécurité, nous sommes dans un affrontement fondamental, incontournable dont l’enjeu est un ordre du monde. Un ordre fragile, vulnérable qui ne tient que par les béquilles de la fausse monnaie et des dettes irrécouvrables. Ceci explique que Poutine ait pu cimenter sa relation avec Xi Jinping et la Chine.
Derrière la bulle, ce qui se profile, c’est un combat de titans.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]