▪ Après six séances de copier/coller — Wall Street reproduisant imparablement le cheminement graphique des places européennes quelques heures auparavant, le scénario s’est enfin différencié fortement.
Après plusieurs heures d’étroites oscillations (écarts positifs de 0,3% à 0,4% en moyenne) c’est un véritable vent d’euphorie — sous forme d’une nouvelle poussée algorithmique — qui s’est mis à souffler à partir de 21h. Ce dernier a propulsé les indices américains vers de nouveaux sommets plus approchés depuis décembre 2007.
Le S&P a clôturé au plus haut du jour (et même de la semaine), et retracé son zénith de l’année 2012 (1 472 points) ; mais nous retiendrons surtout les nouveaux records absolus inscrits par le Russel 2000 à 882 points et le S&P Mid 400 à 1 058 points.
Difficile de trouver dans l’actualité du jour matière à battre de nouveaux records annuels ou historiques. Une fois que le Dow Jones a terminé en hausse de 80 points, les commentateurs se sont mis à entonner en choeur le couplet de la croissance qui repart en Chine.
▪ La Chine n’arrive pas à booster l’Europe, mais les Etats-Unis oui !
Cependant, le rebond de 14% des exportations chinoises en décembre (un écart peut-être trop beau pour être vrai) n’avait pas été jugé suffisant pour justifier une clôture positive en Europe. L’Eurofirst 600 terminait même en repli de 0,2%, le CAC 40 en baisse de 0,4%.
Vérité en-deçà de l’Atlantique, vérité au-delà…
Les chiffres américains en revanche sont sans importance… quand ils ne sont pas bons !
Le nombre de chômeurs recensé à l’issue de la première semaine de janvier a légèrement progressé de 367 000 vers 371 000. Les stocks des entreprises ont grimpé deux fois plus vite que prévu, à 0,6%. Cela n’est pas précisément une bonne nouvelle, mais s’est sans importance puisque les exportations chinoises explosent.
Mais qui creuse symétriquement le déficit de sa balance commerciale, cela vaudrait le coup de se poser la question, non ?
De notre point de vue l’actualité économique de jeudi n’apportait aucun élément convaincant pour justifier une soudaine décorrélation aussi radicale par rapport au DAX ou au CAC 40 durant quelques heures. Sauf à considérer, comme les Japonais hier matin, que la chute du yen ou du dollar face à l’euro est une excellente affaire pour le commerce extérieur.
▪ Qui donne des ailes à Wall Street ?
Le dollar a littéralement dévissé de 1,5% vers 1,3250 euro en quelques heures. Si la guerre des devises débouche sur des écarts plus prononcés ces prochains jours, l’Europe risque de se retrouver comme le dindon de la farce économique planétaire.
Ce ne sont certainement pas les résultats d’Alcoa (-1,2%) mardi soir ni ceux d’American Express (tout juste conformes aux prévisions) qui ont pu donner des ailes à Wall Street.
A noter qu’AMEX (+1,2% à 61,4$ hors séance) a salué son record historique boursier par l’annonce du licenciement de 5 400 salariés. Cette entreprise n’apparaît pas vraiment en danger sur son business (CA en hausse de 8% en 2102) ni croulant sous les dettes et les pertes comptables.
Cela confirme en tout cas notre thèse selon laquelle ce n’est pas une hypothétique embellie économique qui pourra à elle seule amener une résorption du chômage sous 6,5% ces prochains mois aux Etats-Unis — y compris si Wall Street vole de records en records.
▪ Les actions et les obligations main dans la main
Un autre phénomène nous intrigue : depuis huit mois, les actions et les obligations progressent de concert, ce qui est une anomalie complète. On nous explique donc que lorsque les emprunts d’Etat et les high yields vont commencer à corriger, l’argent va affluer en masse vers les actions (principe des vases communicants).
Curieusement, personne n’envisage qu’une hausse des taux pourrait handicaper les Etats surendettés et faire concurrence au rendement des actions qui risque symétriquement de baisser si le coût de refinancement des entreprises augmente.
Que dire de l’impact de taux plus élevés sur le crédit à la consommation et sur le service de la dette pour les pays totalement dépendants de leurs créanciers ?
▪ Une nouvelle forme de rationalité
Plus les marchés financiers se déconnectent du réel… plus les scénarios boursiers deviennent aberrants… plus les permabulls tentent de nous convaincre qu’il s’agit simplement d’une nouvelle forme de rationalité… Un peu comme la nouvelle économie — dont Bill Bonner nous rappelait jeudi matin à quel point elle nous a enrichis et créé un boom économique !
Comme pour confirmer ce genre d’élucubrations, le marché est allègrement piloté à coups d’algorithmes et de calculs fumeux visant à démontrer que le risque systémique a disparu.
Mais les créances douteuses qu’elles ont acquises en masse auprès des banques commerciales… qu’est-ce que les banques centrales vont en faire ?
S’en servir pour caler des meubles, en faire des cocottes en papier ?
Une question posée ce jeudi par un journaliste à Mario Draghi lors de sa conférence de presse devrait nous alerter : « n’observez-vous pas une surévaluation flagrante de certaines catégories d’actifs obligataires ? Le marché n’affiche-t-il pas une exubérance irrationnelle en se comportant comme si tout risque avait disparu ? ».
Le patron de BCE ne l’a que mollement démenti en répondant qu’il s’agit de « cas exceptionnels ». C’est exactement comme cela que la Fed qualifiait l’effondrement des premiers subprime en 2007 : des exceptions qui confirment la règle !
Les achats d’obligations ont été clairement « drivées » par des comportements spéculatifs à courte vue ces derniers mois. Cela ne peut pas tenir mais il y a de l’argent à gratter en surfant sur la vague à court terme.
Un accord bancal sur le budget cliff aux Etats-Unis n’est absolument pas pricé, pas plus que la facture réelle du krach immobilier en Espagne pour le MES et la BCE.
Plus surprenant encore, les créances douteuses ont fait un bond de 16,5% en Italie, mais cela n’alerte personne. Milan s’inscrivait largement en tête des places européennes jeudi et s’envole de 7% en sept jours.
Il ne s’agirait que de la poursuite du rattrapage de certains indices européens par rapport à Wall Street. Mais les actions composant l’Eurofirst 600 sont-elles vraiment moins chères que celles composant le S&P500 ou le Nasdaq ?
Cela-a-t-il un sens de faire une moyenne avec les valeurs du luxe qui sont surpayées et les utilities dont personne ne veut parce que leur profits vont continuer de chuter ?
Le même raisonnement pourrait s’appliquer au marché américain. Faites la moyenne entre la valeur boursière d’Apple et celle de RIM en 2007, puis comparez avec 2013 et vous constaterez qu’en moyenne, le Nasdaq n’est vraiment pas cher !
Mais ce genre de raisonnement biaisé risque bien de coûter globalement très cher !