Les trois actes de la tragédie financière grecque devraient interpeller les pouvoirs publics français.
Dans notre article précédent, nous avons examiné la question suivante : un scénario Grèce 2010-2015 est-il envisageable ?
Nous allons revenir sur la saga grecque de la première moitié de la décennie 2010, pour comprendre les étapes par lesquelles passe un pays vivant au-dessus de ses moyens.
Voici donc les trois actes de cette tragédie, qui devrait alerter les pouvoirs publics en France, mais aussi tous les prétendus responsables politiques des partis dits extrémistes.
Acte 1 : la pression et les aides conditionnées, en d’autres termes, la tutelle
En mai 2010, un premier plan de sauvetage est mis en place. L’Europe décide d’accorder 110 milliards d’euros à la Grèce, un financement assuré aux deux tiers par le Fonds européen de stabilité financière (FESF) – spécialement créé pour l’occasion – et par l’Union européenne, tandis que le Fonds monétaire international (FMI) prend en charge le tiers restant.
Rappelez-vous : ce plan était censé couvrir les besoins de la Grèce entre 2011 et 2014, sauf qu’au printemps 2011, il apparaît que ces besoins sont largement sous-estimés. En réalité, il faudrait 120 milliards d’euros supplémentaires.
Les problèmes persistent : les impôts ne rentrent toujours pas, les dépenses inutiles ne diminuent pas, la croissance économique n’est toujours pas au rendez-vous, et la déflation vient encore aggraver la situation.
Toute ressemblance avec des réalités actuelles – ici ou ailleurs – ne devrait pas être fortuite.
Dans la pratique, les versements s’effectuent par tranches, chacun donnant lieu à d’intenses pressions sur le gouvernement grec. Ce soutien, bien entendu, est conditionné à l’adoption d’une politique budgétaire restrictive et à la mise en oeuvre de réformes structurelles visant à renforcer la compétitivité du pays.
L’objectif ? Gagner du temps en maintenant la liquidité et en réaménageant les concours octroyés, tout en évitant de traiter directement le problème d’insolvabilité.
Ainsi, les conditions financières initialement fixées – Euribor 3 mois + 300 points de base pour les échéances inférieures à trois ans et Euribor 3 mois + 400 points de base pour celles au-delà de trois ans – sont révisées en mars 2011. La marge est alors réduite de 100 points de base, tandis que la maturité des engagements est prolongée.
Acte 2 : nouveaux plans d’aide et débuts de restructuration
Lors du sommet de l’Eurogroupe du 21 juillet 2011, il est décidé de réduire le volume de la dette grecque, alors estimée à 350 milliards d’euros, en mettant en place un second plan d’aide. Cette fois, les créanciers privés sont impliqués à travers un dispositif en deux volets :
- un nouveau plan de 109 milliards d’euros, financé selon la même formule que le premier – deux tiers par le FESF (ce qui revient à solliciter la dette publique des Etats de la zone euro en fonction de leur poids dans le fonds) et un tiers par le FMI.
- une mise à contribution des créanciers privés de la Grèce, via une réduction partielle de leurs créances.
Comme lors du premier plan, les déblocages sont progressifs, permettant avant tout d’acheter du temps. La maturité des engagements est alors fixée entre 15 et 30 ans.
Mais la « nouveauté », c’est l’instauration d’une contribution dite « volontaire » des créanciers privés, qui doivent consentir à un abandon de créances de 21%, représentant environ 50 milliards d’euros. Une goutte de bail-in dans un océan de bail-out.
Une fois encore, ce plan ne suffira pas à résoudre l’insolvabilité grecque. L’erreur fondamentale reste inchangée : on traite la crise comme un problème de liquidité, alors qu’il s’agit d’un problème de soutenabilité de la dette publique grecque.
Une combinaison d’incompétence et/ou de manque de transparence vis-à-vis des opinions publiques des pays de la zone euro aboutit à l’adoption d’un second plan bis, le 27 octobre 2011, conservant la même structure en deux volets :
- les 109 milliards d’euros (toujours selon la répartition 2/3 FESF – 1/3 FMI) ;
- une contribution accrue des créanciers privés, avec une dépréciation des créances portée à 60%, contre 21% en juillet. Cela représente un effort total d’environ 142 milliards d’euros, contre 50 milliards d’euros précédemment.
Mais le drame grec est loin d’être terminé. Quelques années plus tard, en 2015, la crise de la dette publique grecque s’étend au système bancaire grec tout entier.
Acte 3 : dégâts collatéraux et conséquences de la corrélation entre risque bancaire et risque souverain
En considérant que les principaux créanciers privés sont d’abord les banques grecques (avec des encours importants de dette publique grecque détenus dans leur bilan), mais aussi un nombre important de banques de pays de la zone euro, les pertes consécutives aux restructurations des titres publics grecs doivent faire l’objet de recapitalisations des acteurs concernés.
Si l’on se concentre sur les banques grecques, les plus lourdement touchées, ces pertes érosent directement leurs fonds propres, affaiblissant ainsi leurs ratios de solvabilité. Une détérioration qui augmente mécaniquement leur probabilité de faillite, menaçant l’ensemble du système bancaire grec.
Dès lors, une question systémique se posait : si les banques grecques faisaient faillite, quelles en seraient les conséquences pour la zone euro ?
Pour répondre à cette interrogation, il est essentiel de se pencher sur le mécanisme des soldes Target. Ceux-ci correspondent aux positions des banques centrales nationales vis-à-vis de l’eurosystème. Target, acronyme de Trans-European Automated Real-time Gross Settlement Express Transfer System, désigne le système de paiement interbancaire de l’Union européenne.
Face à la fuite des capitaux hors des banques grecques, les agents économiques privés grecs se sont financés directement auprès de leur banque centrale nationale, qui elle-même s’endettait via le système Target. Dans ce contexte, les banques centrales des pays affichant des soldes Target fortement créditeurs se retrouvaient exposées à un risque majeur en cas de défaut d’un pays dont la banque centrale est débitrice. Autrement dit, si la Grèce venait à faire défaut, ces banques centrales – et par extension, leurs Etats respectifs – auraient dû renflouer leurs institutions nationales, qui détenaient des créances sur le système Target.
Début 2015, les banques grecques affichaient une dette de 110 milliards d’euros envers l’eurosystème. A cela s’ajoutait le financement d’urgence fourni par la BCE via le dispositif ELA (Emergency Liquidity Assistance), qui est passé de 68 milliards d’euros en février 2015 à 89 milliards d’euros en juin 2015. Ce plafond a été gelé jusqu’à ce que la Grèce accepte de se plier définitivement aux exigences d’austérité budgétaire.
Une éventuelle sortie de la zone euro, envisagée à l’époque par le gouvernement grec, aurait immédiatement privé les banques grecques de l’accès à l’ELA de la BCE, entraînant ainsi l’effondrement complet du système bancaire grec. En conséquence, les banques centrales nationales de France et d’Allemagne auraient subi des pertes réelles et non plus latentes, à hauteur de leur participation dans le capital de la BCE (respectivement 25% et 20%).
Rappelons que TARGET joue un rôle clé dans la stabilité de la zone euro, en assurant la fluidité des paiements entre les Etats membres.
De manière générale, l’Histoire ne se répète jamais exactement de la même façon. Mais elle reste un précieux enseignement qu’il convient de ne jamais oublier.
2 commentaires
Les sociétés grecques et françaises ont deux points communs évidents : idéologisme et incivilité.
La France finira par faire défaut sur sa dette ! Très simple à comprendre : 1/ Les riches peuvent payer plus d’impôts pour rembourser les dettes, mais ils ne veulent pas payer et planquent leurs biens à l’étranger et peuvent s’expatrier. Quant aux pauvres, ils ne peuvent pas fuir le pays, et même s’ils sont peut être très nombreux, il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont pas solvables pour rembourser les dettes. Enfin restent les classes moyennes, que si on continue de les presser comme des citrons, elles finissent dans la précarité et non solvables au point de rejoindre les légions de pauvres, et même si les classes moyennes acceptent de payer plus d’impôts, ça ne sera jamais suffisant pour résorber les dettes ! Donc c’est fini ! L’équation est insoluble si les riches ne paient pas, on se dirige vers le défaut !