Les banques centrales de la planète ont ouvert les vannes du crédit illimité, mais l’économie réelle reste désespérément morose.
La Réserve fédérale dirigée par le « superhéros » Jay Powell – qui a progressivement relevé son taux directeur ces quatre dernières années – indique désormais qu’elle renversera cette politique et qu’elle se tient prête à ajuster ses taux afin de relancer l’économie américaine et mondiale.
Powell a déclaré aux marchés et aux ministres du G20 – et l’a réitéré ce mercredi – que la Fed était prête à baisser les taux d’intérêt, affirmant qu’elle « agirait de manière appropriée pour soutenir l’expansion ».
Notez bien le « approprié » : c’est un mot d’expert ! Un mot de Powell – vous savez, celui qui avant d’être nommé était humble et doutait des experts et de leurs modèles ?… Mais ça, c’était avant, comme le dit la pub de l’opticien.
Powell a réinstauré le put, lui qui avait laissé croire aux naïfs commentateurs qu’il ne céderait pas et qu’il résisterait aux pressions de marchés boursiers.
J’ai démontré en son temps que c’était une erreur de croire que Powell avait le choix. Le vin est désormais tiré, il faut le boire ; on a brûlé les vaisseaux ; il faut suivre la route et aller là où c’est depuis longtemps tracé. On ne peut résister aux marchés, on a ouvert la boîte de Pandore. Et quand les ogres ont faim, il faut les nourrir… toujours plus.
Puts à répétition
Un put, c’est du jargon financier pour dire qu’une fois de plus, on va parier sur une augmentation des prix des actifs financiers sur les marchés à terme. On va souffler dans la bulle.
Au milieu des années 90, Alan Greenspan, alors président de la Fed, a réduit les taux d’intérêt afin de stimuler les marchés boursiers et immobiliers. Le put de Greenspan a propulsé le marché boursier à un nouveau sommet en 2000 – mais il a été suivi par l’énorme effondrement de 83% des dot.com.
Nous sommes sur le point de demander à Powell de faire la même chose.
Les marchés financiers parient maintenant sur le fait que la Fed réduira les taux et maintiendra le coût de l’emprunt à un niveau très bas afin d’inciter à spéculer davantage sur les marchés financiers.
Jay Powell est sur le point d’être le nouveau héros. Il va porter la planète financière sur son dos, la maintenir, que dis-je, en accélérer la lévitation. Il va une nouvelle fois défier les lois de la gravitation, il va renouveler le pacte faustien qui consiste à libérer les ombres des corps.
Ainsi, le monde imaginaire des marchés financiers va être étendu.
La réduction des taux d’intérêt évitera-t-elle une récession de l’économie réelle ?
Partout, les données chiffrées montrent un net ralentissement de la croissance économique, un effritement de l’industrie automobile mondiale et un effondrement total de nombreuses grandes économies dites émergentes. Et puis surtout, il y a une terrible contraction du commerce mondial.
La croissance économique des Etats-Unis s’était accélérée (de 2% à 3% par an) en 2018 après que Trump a décidé de réduire les impôts sur les bénéfices des sociétés. Le chômage est tombé à son plus bas niveau de l’après-guerre.
Toutefois, les chiffres de la croissance de l’emploi de mai dernier étaient les plus bas depuis des années et la croissance des salaires qui s’était accélérée a maintenant diminué. Il y a des signes incontestables que l’effet Trumponomics est épuisé. Trump presse Powell de prendre le relais.
Ailleurs, deux économies clés du G7 continuent d’afficher un ralentissement important de la croissance économique.
La production industrielle allemande a plongé de 1,9% par rapport au mois d’avril. Il s’agit de la plus forte baisse de production depuis août 2015. En glissement annuel, la production industrielle a reculé de 1,8% par rapport à avril 2018, après une baisse de 0,9% en mars. La production manufacturière a chuté de 3,4% sur l’année ! Les exportations et les importations allemandes ont chuté.
La croissance allemande est maintenant la plus lente des cinq dernières années. En conséquence, la banque centrale, la Bundesbank, a abaissé ses prévisions de croissance du PIB pour cette année à seulement 0,6%, contre 1,6% au début de 2019.
Dans le même temps, le Japon, pays hôte du G20, a annoncé que les salaires avaient baissé pour le quatrième mois consécutif et que les dépenses globales des ménages avaient fortement ralenti. Le chômage, actuellement au plus bas historique, va maintenant augmenter.
Dans le reste du monde aussi…
Le taux de croissance économique de la Chine est à son niveau le plus bas depuis plus de 10 ans, même si le taux de 6% et plus est environ trois fois supérieur à la moyenne des autres économies du G20.
Dans son rapport semestriel sur les perspectives économiques mondiales, la Banque mondiale a abaissé ses prévisions de croissance économique mondiale (tous pays, y compris la Chine et l’Inde) pour cette année, de 0,3% à 2,6%.
« La confiance des entreprises, le ralentissement du commerce mondial et les investissements lents dans les économies émergentes et en développement ont chuté », a déclaré le nouveau président de la Banque mondiale David Malpass. « L’impulsion reste fragile ».
La croissance du commerce mondial devrait tomber à son niveau le plus bas depuis le krach financier de 2008. La banque a également averti que les risques étaient « fermement » baissiers, citant des tensions commerciales réitérées entre les Etats-Unis et la Chine, des turbulences financières sur les marchés émergents et une faiblesse plus marquée que prévu des pays avancés, en particulier de l’Europe.
Selon les estimations des économistes de la Banque mondiale :
« Un ralentissement plus marqué que prévu de l’activité dans les grandes économies systémiques – telles que la Chine, la Zone euro et les Etats-Unis – pourrait également avoir de vastes répercussions. La probabilité d’une croissance en 2020 inférieure d’au moins un point à la projection actuelle est estimée à près de 20%. Un tel ralentissement serait comparable à la crise mondiale de 2001. »
Les BRICS en mauvaise posture
Parmi les « BRICS » (Brésil, Chine, Inde, Russie et Afrique du Sud), la situation semble encore pire.
L’économie sud-africaine subit actuellement la pire récession de sa décennie. Dans le pays le plus industrialisé d’Afrique, la production a chuté de 3,2% en rythme annualisé au premier trimestre. Il s’agit de la plus forte baisse trimestrielle depuis 2009.
Les industries à forte intensité énergétique, telles que les industries manufacturières et minières, ont enregistré les plus fortes baisses d’activité au cours du trimestre. L’activité minière a diminué de plus de 10%, tandis que le secteur de la fabrication a reculé de 8,8%.
La Turquie est entrée en récession plus tôt cette année. L’Argentine était déjà en crise en 2018 sous la gouvernance du président Macri. Le pays connaît actuellement des mesures d’austérité draconiennes à la demande du FMI, qui renfloue le pays avec les plus gros prêts de son histoire.
Mais le déclencheur probable d’une nouvelle récession est la guerre en cours, la guerre technologique et commerciale qui s’intensifie entre les Etats-Unis et la Chine.
Aucune des deux parties ne semble prête à faire machine arrière et, par conséquent, la croissance du commerce mondial est en train de chuter, tandis que des perspectives de hausse des tarifs douaniers et de mesures protectionnistes vont frapper la croissance mondiale.
Et la guerre commerciale en plus…
Les économistes de Bloomberg estiment que si les droits de douane augmentaient pour couvrir l’ensemble du commerce américano-chinois dans les prochains mois, le PIB mondial subirait une perte de 600 milliards de dollars en 2021. Avec 25% de droits de douane sur l’ensemble des échanges bilatéraux, le PIB diminuerait de 0,8% pour la Chine, 0,5% pour les Etats-Unis et 0,5% pour l’économie mondiale par rapport à l’absence de guerre commerciale.
Cela entraînerait une récession mondiale.
Ces chiffres sont très sous-évalués, ils sont sortis de modèles faux qui sont fondés sur des calculs d’élasticité inadéquats.
Par ailleurs, Trump semble vouloir élargir la guerre commerciale à d’autres économies. Il vient de retarder temporairement l’introduction d’une gamme de droits de douane sur les importations mexicaines, y compris les importations de voitures et de pièces d’automobiles fabriquées par les entreprises américaines à la frontière mexicaine avec les Etats-Unis.
L’industrie automobile mondiale traverse déjà une crise majeure provoquée par la fin du diesel et le ralentissement colossal de la demande en Chine, en Europe et au Japon.
A présent, les constructeurs automobiles américains sont confrontés à de nouveaux problèmes avec les plans de Trump.
Les marchés financiers sont sur le point de connaître un boom en anticipation de l’action de Powell ; cela aura probablement peu d’effet réel sur l’économie mondiale en difficulté. Cela aura cependant un effet de dopage sur les marchés financiers, ce qui accroîtra les divergences entre les valeurs fondamentales raisonnables et les valorisations boursières. Cela préparera à son tour le terrain de la prochaine crise… et du prochain pseudo-sauvetage.
La guerre du commerce et de la technologie s’installe durablement. Il est probable que la guerre commerciale ne sera pas résolue à l’amiable pour éviter une récession mondiale. La bataille entre les Etats-Unis et la Chine ne consiste pas uniquement en un « commerce injuste », mais bien en une tentative des Etats-Unis de maintenir leur position technologique mondiale. Les USA veulent maintenir leur supériorité face à la montée rapide de la Chine.
L’attaque contre Huawei, organisée globalement par les Etats-Unis, n’est que le début.
Goldman Sachs a noté que, depuis 2010, le seul endroit où les bénéfices des entreprises ont augmenté est aux Etats-Unis. Et ceci, selon Goldman Sachs, est entièrement dû aux entreprises de super-technologie. Les bénéfices globaux hors technologie ne sont que modérément plus élevés qu’avant la crise financière, tandis que les bénéfices des technologiques ont fortement augmenté. A présent, c’est ce secteur qui va souffrir de la guerre technologique.
Le rendement des obligations d’Etat américaines de référence a atteint un nouveau plus bas en 2019 – près de 2% – avant la réunion du G20. Les rendements des obligations à 10 ans en Allemagne et au Japon ont été inférieurs à zéro ! Plus de 11 000 Mds$ d’obligations dans le monde offrent des rendements négatifs ; ceci représente maintenant environ 20% de la dette totale dans le monde.
Soyez vigilants, quittez toute complaisance. Peut-être bien que les héros des banques centrales peuvent sauver la situation… peut-être bien aussi qu’ils sont fatigués !