C’est autant que le montant accumulé durant les 209 premières années d’existence des Etats-Unis. Avec la hausse des taux, le poids des intérêts devient insoutenable.
La dégradation de la note de la dette américaine par Fitch Ratings – qui lui retire son « AAA » – suscite beaucoup plus de commentaires et d’indignation surjouée que de volatilité et de nervosité.
En matière d’indignation, Janet Yellen – qui fut la grande prêtresse de la planche à billet et ne monta jamais les taux directeurs durant son unique mandat à la tête de la Fed, malgré l’explosion des déficits – est parvenue à nous nous faire bien rire en évoquant une décision de Fitch motivée par des « données obsolètes ».
Nous lui accorderons que, depuis la prise de décision de Fitch, qui remonte probablement à la dernière réunion de la Fed, les données alors à sa disposition ont en effet bien changé : elles sont bien pires aujourd’hui que fin juillet, la dette venant d’atteindre au dernier pointage 32 700 Mds$.
Encore une décision historique
En ce qui concerne la précédente dégradation concernant cette même dette, il faut remonter à l’ère Bernanke, celui qui avait lancé les quantitative easing et imposé à la Fed un virage radical vers les politiques « non conventionnelles ».
L’agence Standard & Poors avait ainsi retiré sa note « AAA » un certain 6 août 2011, suite à un énième psychodrame sur le relèvement du plafond de la Fed. A l’époque, les Républicains tentaient en effet de déstabiliser à tout prix Barack Obama, qui bataillait pour faire adopter son coûteux projet de réforme de l’assurance santé.
Le lendemain de cette décision historique, un mini-krach de 6,5% avait suivi à Wall Street. Historique, car aucune agence de notation n’avait osé infliger cela aux Etats-Unis depuis Noël 1913.
Douze ans plus tard, la seule question que les investisseurs se posent est : « Mais comment Fitch a-t-elle pu autant tarder à retirer son ‘AAA’ à la dette américaine ? »
L’annonce n’entraine qu’une tension de 5,5 points de base sur les obligations du Trésor américain à 10 ans, dont le rendement atteint les 4,09%, et une perte de 1,4% sur le S&P 500. Cela ne traduit donc pas plus une fuite éperdue des détenteurs de Treasuries qu’un sell-off sur les actions américaines.
Il ne faut pas oublier qu’une tension des taux longs plombe les T-Bonds (dont les prix évoluent en sens inverse de leur rendement, comme toutes les obligations) depuis une dizaine de séances, et que celle de ce mercredi 2 août ne fut pas vraiment pire que les neuf précédentes.
Une charge insoutenable
En s’habituant à tout, et en priorité à l’insoutenable légèreté des législateurs américains en matière de dérive des déficits, Wall Street a versé dans un syndrome d’accoutumance qui l’a coupé de plus en plus profondément avec le réel.
Des nouveaux records de vitesse dans l’accumulation sont battus : le cap des 1 000 Mds$ de dette additionnelle a été allègrement franchi en seulement huit semaines (soit 125 Mds$ de plus par semaine). Un rythme qui devrait tout de même ralentir un peu. Ainsi, d’ici fin de l’année, la dette nationale américaine aura probablement (sauf si une nouvelle crise survient avec son cortège de dettes supplémentaires) été alourdie de 1 800 Mds$.
Pour comprendre l’ampleur de cette augmentation, il suffit de rappeler qu’il fallut 209 ans aux Etats-Unis pour se trouver pour la première fois redevable de 1 800 Mds$ de dette. Cette fois, cela aura pris moins de 6 mois !
Ce total est demeuré soutenable durant deux siècles malgré de nombreux événements historiques majeurs, y compris malgré la guerre de Sécession, la Première Guerre mondiale, la Grande Dépression, la Seconde Guerre mondiale, la Corée puis le Vietnam, ainsi que de nombreuses crises économiques.
Si cette tendance se poursuit, la charge de la dette – déjà supérieure à 1 000 Md$ cette année, donc supérieure au budget de la Défense, qui ne pèse « que » 850 Mds$ – pourrait devenir explosive. Elle a déjà doublé en 12 mois, mais, avec des taux durablement ancrés au-dessus de 5,50%, elle finira certainement par provoquer une grave récession de l’économie américaine.
Aimant à capitaux
Alors que l’année 2023 devait être celle de la « revanche » pour les bons du Trésor américain, le 10 ans voit son rendement retrouver ses pires niveaux depuis début novembre 2022. Sauf qu’il y a 10 mois, le S&P 500 évoluait 25% plus bas qu’aujourd’hui, et le Nasdaq 100 était même 45% plus bas… tandis que les taux de la Fed étaient moins élevés de 150 points de base.
Seul Wall Street semble penser que la dette n’est pas un vrai problème, mais il n’en va pas de même du côté des créanciers des Etats-Unis : la correction des T-Bonds rentre dans son 36è mois, pour un repli cumulé de 17,2%.
Les créanciers peuvent légitimement se demander si la chute des recettes fiscales américaine ne préfigure pas des besoins de refinancement encore plus abyssaux, alors qu’ils se demandaient déjà si les marchés de capitaux ont la capacité d’absorber plus de 300 Mds$ d’émission du Trésor américain chaque mois d’ici décembre.
Et, si c’est le cas, étant donné que les 5,5% représentent une rémunération attractive, quels pays vont en revanche connaître de plus sérieux problèmes pour lever des fonds et échapper à un scénario à la sri-lankaise ?
Les pays d’Asie du Sud-Est ? Les pays d’Afrique ?
En réalité, c’est plutôt le Japon qui se retrouve sous pression… et ce pourrait bientôt être le cas de l’Europe, menacée par un retour de l’inflation dès la rentrée.
2 commentaires
Bonjour, Il serait bon de pouvoir faire la même analyse sur la progression de la dette française entre 1789 et aujourd’hui. J’aimerais savoir de combien la dette française a évolué dans ses premiers 209 ans et de combien elle a progressée sur ces 12 derniers mois.
Ce serait édifiant, il me semble.
Dans l’avenir, le dynamisme économique viendra des pays émergents mais le dynamisme social viendra de l’occident avec des entreprises comme OpenAI qui vont rebattre les cartes en réconciliant l’individuel et le collectif.