Les actifs financiers sont désormais assimilés à la monnaie – ils sont devenus de la quasi-monnaie… et cela vient compliquer la tâche des banquiers centraux.
Nous abordons aujourd’hui et demain un texte un peu difficile – mais le lecteur qui fera l’effort de le suivre sera largement récompensé par une compréhension accrue et déterminante de la finance moderne. Il fera partie des happy few !
La relation entre la masse de liquidités globales et l’indice du marché boursier phare mondial – le S&P 500 – ne fait absolument aucun doute malgré les dénégations des banquiers centraux.
J’ai maintes fois expliqué ce phénomène : la dérégulation pratiquée depuis le début des années 70 a permis d’assimiler les actifs financiers à de la quasi-monnaie. Les différentes masses (M) monétaires, M1, M2, M3 etc., se sont intégrées dans un seul et même ensemble.
La dérégulation a décroché la finance de l’épargne et de l’économie réelle. Elle lui a donné une nature monétaire. Retenez bien ceci, c’est central.
Les actifs financiers se sont détachés de leur valeur fondamentale pour devenir des avatars de la monnaie.
Une thèse douteuse
Ce constat a été fait, sous une autre forme par Alan Greenspan dès l’année 2000, alors qu’il était encore président de la Réserve fédérale :
« Le problème est que nous ne pouvons extraire de notre base de données statistique ce qu’est une vraie monnaie, conceptuellement, que ce soit en mode transactions ou en mode réserve de valeur. L’une des raisons à cela, bien entendu, est que la prolifération de produits [financiers] a été à tel point extraordinaire que le véritable mix sous-jacent de monnaie dans nos données sur la monnaie et la quasi-monnaie évolue continuellement. En conséquence, si, nécessairement, en fin de compte, l’inflation doit être un phénomène monétaire, la décision de fonder une politique sur les mesures de la monnaie présuppose qu’on puisse localiser cette monnaie. C’est là une thèse de plus en plus incertaine. »
Alan Greenspan, lors de la réunion du FOMC de juin 2000
En deux mots, le mix entre la monnaie et la quasi-monnaie est continuellement changeant, et on ne sait plus ce qu’est vraiment la monnaie maintenant.
Greenspan n’en a pas tiré de conclusion à l’époque et personne n’a cherché à comprendre ce qu’il voulait dire, mais c’était – en son temps – une découverte fondamentale… découverte hélas laissée inexplorée. Si on l’avait creusée, on aurait évité les erreurs post-2008 et post-2020.
Une grave confusion
La confusion entre la monnaie et les actifs quasi-monétaires joue dans les deux sens. Cela signifie que l’on ne sait plus ce qu’est la monnaie… mais aussi que l’on ne sait plus ce que sont les actifs financiers. On passe de l’un à l’autre en continu, sans rupture.
Cela, Greenspan ne l’a pas vu. Il n’a pas vu que l’efficacité des politiques monétaire butait sur la fuite vers le quasi-monétaire.
Il y a confusion ; il y a unification de deux ensembles/champs auparavant distincts –l’ensemble monétaire et l’ensemble quasi-monétaire des actifs financiers.
Comme, depuis les années 2000, le système ne tient que par la confusion entre ces deux ensembles, on est obligé de maintenir sans cesse cette confusion, de la réaffirmer. Il ne faut pas qu’elle se fissure, il ne faut pas que soit mise en doute l’équivalence entre la détention de monnaie et la détention de quasi-monnaie.
Il ne faut pas que l’on puisse douter de la « moneytitude » des actifs financiers. Ce barbarisme, que je crée, signifie « caractère monétaire ».
On ne doit pas douter de cette équivalence centrale dans le système moderne – c’est pour cela que Greenspan a été obligé d’inventer son fameux put, qui n’est rien d’autre que ceci : « Vous pourrez toujours échanger vos actifs financiers contre la monnaie, je m’y engage. Jamais nous ne laisserons la valeur des actifs financiers se laisser plomber par la ‘gravité’ de l’économie réelle. La gravitation des valeurs fondamentales, je vous le promets, ne s’appliquera pas, nous ne la laisserons pas jouer. »
Il faut donc toujours re-prouver le caractère monétaire des actifs financiers. Il faut sans arrêt, quand les marchés baissent et demandent de la monnaie, leur en fournir et attester de l’équivalence.
D’où l’importance maintenant centrale dans le système de la crédibilité et de la détermination des banquiers centraux : il faut qu’on les croie.
Tant que l’on les croira, le système tiendra ; la masse des actifs financiers, malgré sa surévaluation historique réelle, restera plus ou moins stabilisée, elle ne se déversera pas. Si on cesse de les croire, elle se déversera.
La suite dès demain…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]