De puissants vents contraires soufflent sur la croissance mondiale et pourraient provoquer une crise de solvabilité.
Soyons clair, nous n’affirmons pas qu’il n’y a aucune croissance aux Etats-Unis et au sein de l’économie mondiale. Elle existe bien.
Mais nous disons que cette croissance est considérablement plus faible que ne l’estiment les économistes conventionnels.
Certes, la croissance fluctue d’un trimestre à l’autre et d’une année à l’autre. Certaines périodes sont meilleures que d’autres. Pourtant, les analystes et les chroniqueurs TV ont tendance à se focaliser sur des évènements à court terme tout en ignorant les tendances à long terme. Or ces tendances sont menaçantes et signalent (au mieux) des crises de la dette et (au pire) des troubles sociaux et guerres civiles.
Commençons avec quelques données de base qui ne sont pas vraiment contestées.
Depuis 1980, la croissance annuelle moyenne américaine est de 3,22%, en phase d’expansion.
La croissance annuelle moyenne enregistrée au cours de la phase d’expansion actuelle (qui dure depuis juin 2009) est de 2,23%.
Le chiffre postérieur à 1980 représente la croissance tendancielle. C’est ce qu’une économie ayant atteint une certaine maturité, à l’image des Etats-Unis, est capable de produire en l’absence de récession. Cette croissance tendancielle de 3,22% est un mélange de croissance démographique (1,3% environ) et d’augmentation de la productivité (1,9% environ). Si l’on ajoute 2% d’inflation à une croissance réelle de 3,22%, on obtient une croissance nominale d’environ 5,25%.
Tant que la création de dettes demeure à 3% par an, voire moins, alors la croissance nominale dépasse l’augmentation de la dette nominale et le ratio dette/PIB peut progressivement baisser. Il s’agit donc d’une situation soutenable.
Mais ce ne sont pas les conditions auxquelles nous sommes confrontés à l’heure actuelle.
La croissance réelle est d’environ 2,23%. L’inflation est d’environ 1,8% (malgré l’objectif de 2% de la Fed). La conjonction de ces deux facteurs produit une croissance nominale d’environ 4%.
La dette augmente de 6%, annuellement, et devrait augmenter encore selon les estimations de la Commission budgétaire du Congrès US (Congressional Budget Office, le « CBO »). Par conséquent, nous sommes en présence d’une croissance nominale de 4%, d’une augmentation de la dette de 6% par an, et d’un ratio dette/PIB en progression (actuellement de 106% mais qui augmente régulièrement).
Ce sont les conditions idéales pour que survienne une crise de la dette sous forme de ralentissement de croissance, d’inflation, ou de défaut pur et simple. A moins que la croissance réelle n’augmente, que la progression de la dette ne ralentisse, ou que l’inflation n’apparaisse, une crise de la dette semble inévitable.
Une explication démographique et psychologique de l’absence d’inflation
Si l’inflation n’est pas apparue, c’est parce qu’elle n’est pas motivée par la masse monétaire (contrairement à ce que pensent les monétaristes et les économistes de l’Ecole autrichienne). La masse monétaire est du petit bois, mais ce petit bois n’allume pas un feu.
L’inflation est motivée par la démographie (nous l’abordons plus bas) et la psychologie comportementale : deux phénomènes que la Fed ne peut contrôler.
Le monde d’aujourd’hui est déflationniste en soi, à cause de la dette, de la démographie et des technologies. L’argent émis par la Fed n’a aucun effet matériel sur ces facteurs.
Même si l’inflation apparaissait vraiment, elle ferait grimper les taux d’intérêts, lesquels creuseraient les déficits publics via la hausse des intérêts payés sur la dette nationale. Cela ferait augmenter la dette plus vite que l’inflation ne ferait augmenter la croissance nominale, et n’entraînerait pas à une diminution nette du ratio dette/PIB. La dette et le ralentissement de la croissance constituent une fuite en avant à laquelle l’inflation ne permet pas d’échapper.
La différence entre ces 3,22% de croissance tendancielle à long terme et ces 2,23% de croissance enregistrés depuis 2009 (inférieurs au taux tendanciel, donc) ne semble pas cruciale. Mais c’est faux.
Une croissance annuelle de 5% (supérieure au taux tendanciel, donc) voire plus, est quelque chose de rare et que l’on n’a plus jamais constaté, sur une base annuelle, depuis les années 1980. Des baisses de 4% du PIB, voire plus, sont tout aussi rares. Les derniers cas ont été constatés – brièvement – lors de la crise financière en 2009 et, avant cela, dans les années 1930.
Sauf circonstances extrêmes, la croissance et la récession évoluent dans une étroite fourchette variant de -2% à +4%, soit une fourchette de six points au total.
Sur la durée moyenne d’une vie, une société qui enregistre une croissance de 3,22% est deux fois plus riche que celle qui enregistre une croissance de 2,23%.
Cette différence entre taux de croissance faible et taux de croissance élevé engendre un « écart de richesse ».
L’écart de richesse est un bon indicateur d’insatisfaction sociale et d’inégalité des revenus. Il est à l’origine des querelles de partis et de la bataille budgétaire auxquelles les Etats-Unis sont confrontés aujourd’hui. L’écart de richesse ne s’améliore pas et ne va pas disparaître.
Le mythe d’une croissance soutenue
Pire encore, cette croissance de 2,23%, inférieure au taux tendanciel depuis 2009, pourrait même baisser au cours des années à venir. La première année de mandat de Trump ne s’est pas différenciée des huit ans de mandat d’Obama.
En 2017, sous le mandat de Trump, la croissance du PIB réel a été de 2,3%, soit légèrement au-dessus de la moyenne de 2,23% enregistrée sous le mandat d’Obama. Au premier trimestre 2018, la croissance a été de 2,2% soit légèrement en-dessous de la moyenne enregistrée après la crise. Trump n’a pas fait mieux qu’Obama au cours de ses cinq premiers trimestres de mandat.
La croissance a bien augmenté considérablement au second trimestre 2018, probablement en réaction aux baisses d’impôt de Trump, entrées en vigueur en janvier 2018. Au deuxième trimestre 2018, la croissance a été de 4,2%.
Mais la fête s’est achevée là où elle avait commencé. Au troisième trimestre 2018, la croissance est retombée de 4,2% à 3,4%. Pire encore, le dernier chiffre de croissance du quatrième trimestre 2,6%.
Pour le premier trimestre 2019, on prévoit un ralentissement de croissance en raison de l’impact du shutdown [« fermeture » des administrations américaines pour cause de blocage budgétaire, NDLR]. Bref, nous revenons rapidement au taux de croissance de 2,23% qui domine depuis 2009. Le pic de croissance à court terme enregistré mi-2018 s’apparente à une montée d’adrénaline provoquée par les allègements fiscaux, et non à une augmentation permanente de la productivité économique.
Même ce taux de croissance de 4,2%, enregistré au deuxième trimestre 2018, est surfait. Obama a affiché des taux de croissance supérieurs à 4% en 2009, 2011 et 2014. Le problème, c’est qu’ils se sont rapidement évanouis. Le sursaut de croissance de 2009 a été suivi d’une croissance négative début 2011. Le sursaut de croissance de 2011 a été suivi d’une croissance presque négative fin 2013.
Ces sursauts de croissance sont déclenchés par des facteurs ponctuels tels que l’accumulation de stocks et des dépenses publiques, et non par des gains de productivité. Le problème que pose une croissance inférieure au taux tendanciel n’a pas disparu. La crise de la dette menace puisque le rythme de l’augmentation de la dette est supérieur à celui de la croissance.
[NDLR : Pour retrouver toutes les analyses de Jim Rickards et surtout profiter de des conseils et recommandations, cliquez ici.]