Nos sociétés – et nos dirigeants – refusent le négatif. Résultat : une situation où la pourriture s’accumule et se répand, au détriment du renouveau et de la vigueur.
Nos sociétés considèrent les faillites, les licenciements, le chômage etc. comme des phénomènes négatifs. Nos sociétés refusent le négatif d’une façon générale. Pourtant le négatif est inséparable du positif ; il finit toujours par revenir nous hanter.
Ce qui n’est pas reconnu revient comme une vengeance.
Les autorités n’aiment pas le négatif. Les autorités sont manchotes, elles n’ont qu’un bras. Elles devraient toujours dire d’un côté il y a ceci, le positif, mais de l’autre il y a cela, le négatif. Elles devraient dire : on ne rase jamais gratis. La vraie question est toujours de savoir qui paie et quand !
Je dirais même de ces autorités qu’elles n’ont d’autorité – illusoire – qu’en niant le négatif de nos sociétés. Les pouvoirs sont tous assis sur le même mensonge : la forclusion, la négation du négatif, l’affirmation de la positivité et de la toute-puissance.
Tous les pouvoirs sont assis sur ce ressort de l’illusion selon laquelle les autorités administrent le positif sans qu’il en coûte quoi que ce soit à qui que ce soit. D’où évidemment leur fascination pour le crédit et les dettes, qui donnent l’apparence que personne ne paie ce qui est distribué.
On s’enfonce dans le mensonge
Dans cet ordre d’idée, depuis qu’elles ont pris le contrôle des économies, les autorités s’enfoncent dans le mensonge. Dans leurs bilans électoraux, elles s’attribuent le positif en niant l’existence du négatif – ou en le rejetant soit sur les prédécesseurs, soit sur les successeurs.
La prospérité, c’est eux ; la régression, la récession, la dépression, c’est les autres.
En conséquence, confrontées aux mouvements de la réalité, d’une part elles cherchent à prolonger artificiellement les phases de croissance et à s’opposer aux phases de ralentissement, d’autre part elles refusent les cycles. C’est le lissage.
Ceci conduit à maintenir en vie des entreprises en difficulté par un ensemble de dispositifs spécifiques et à gérer la macro-économie de façon à éviter les récessions. Elles s’opposent aux tendances récessives, elles « soutiennent », comme on dit. Cela revient à s’opposer aux fonctions auto-nettoyantes des systèmes économiques.
Pour lisser, elles utilisent les recettes keynésiennes, c’est-à-dire la dépense budgétaire, les déficits, les amortisseurs sociaux, les stimulations monétaires, les baisses de taux d‘intérêt, les injections de liquidités et maintenant les monétisations.
Bref, pour éviter le nettoyage, la sélection des plus aptes et des plus productifs, nos sociétés s’opposent au mouvement normal des économies : elles s’opposent à ce qui fait le ménage.
Elles refusent la loi de la valeur, elles refusent les lois de la rareté et de la gravitation. Elles s‘enfoncent dans les artifices du 2+2=5.
Elles sont persuadées que c’est un bien et que cela n’a pas de coût. C’est d’une naïveté sans nom.
Des coûts terribles
Les couts existent : ils sont terribles mais dissimulés. Etant dissimulés, ils s’accumulent hors de notre vue, sous forme d’inefficacités, de gaspillages, d’érosion de la productivité, d’injustices, d’inégalités.
Le résultat de ces accumulations, c’est le ralentissement de la croissance, la fragilité par excès de dettes, la vulnérabilité aux chocs. Ces politiques favorisent l’ancien en le survalorisant, au détriment du neuf. Le système se gorge de pourriture, il se rigidifie, il cesse d’être manœuvrable.
Le système finit par couper le lien entre les actions et leurs conséquences. Il ne transmet plus. Il devient pervers. On sort de l’adaptation par sanctions et récompenses.
Symétriquement, comme les remèdes pour éviter le nettoyage en continu sont toujours les mêmes – les déficits et les dettes – ces remèdes s’accumulent et finissent par constituer des boulets… avec de lourdes chaînes.
Boulets de la dette des gouvernements et boulets de la dette du système dans son entier. Pour traîner ces boulets, il faut sans cesse les alléger en baissant les taux d’intérêt – au point de ne plus rémunérer l’épargne et surtout au point de faire « buller » les Bourses qui, étant les lieux où se traite le capital ancien, sont particulièrement favorisées par ces politiques.
On tue la sélectivité des investissements, on tue l’allocation efficace de l’épargne, on s’enfonce dans la spéculation, on euthanasie les classes moyennes et on met en panne l’ascenseur social.
Les élites essaient de nous faire croire que si elles évitent les rigueurs de la récession, de la concurrence, des faillites, du chômage – bref, si elles évitent le nettoyage, c’est pour le bien des salariés. Elles se moquent de nous, car la réalité est qu’elles condamnent encore plus sûrement les salariés avec ces pratiques qui affaiblissent tout le tissu économique.
Canard boiteux, canard de plomb
Cela a bien été le cas en France : à force de soutenir tous les canards boiteux, la France dans son ensemble est devenue un canard boiteux géant qui se transforme de plus en plus en canard de plomb et coule toute l’économie !
Ce canard parasite consomme tellement de redistribution et de subsides qu’il ne reste plus assez de ressources pour rémunérer l’efficacité. Le canard boiteux géant dévore les ressources, le produit, le surproduit, le profit dont la partie efficace a besoin pour prospérer et préparer l’avenir.
Le canard boiteux bouffe littéralement le futur.
C’est ce que je dis quand j’affirme qu’il faut sacrifier l’ancien parasitaire, la Bourse, pour laisser naître le vif, le neuf. Il faut laisser se dégager les ressources malthusiennes qui y sont piégées/emprisonnées. Il faut ouvrir le coffre au trésor.
Tout est affecté par l’insuffisance du profit à répartir qui découle de l’anti-sélection. Les canards boiteux bouffent les ressources qui autrement seraient utilisées dans des activités plus productives de richesses, de surproduit et de profit. Ces canards se nourrissent de l’essentiel : le surproduit.
Ces politiques sont des politiques de Gribouille, car ce qui ne peut survivre finit toujours par mourir. Or les morts-vivants/zombies qui s’empilent, s’accumulent dans les économies finissent par gâter tout le tissu ; ils font des dégâts encore plus importants que si, au lieu d’accepter la gangrène, on avait décidé d’amputer.
Source : Les Echos
Le nettoyage en continu est en apparence douloureux, mais il est juste, il maintient le lien entre efficacité et récompense, il maintient le principe de base de l’adaptation : la sanction.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]