La rupture de plus en plus flagrante des pôles géopolitiques pourrait-elle être suivie d’une rupture encore plus importante sur le plan économique, donc de la fin de la mondialisation ?
J’ai peur de m’enflammer mais je crois que la démondialisation est bien lancée.
Elle ne date pas d’hier, c’est-à-dire de la guerre en Ukraine. Elle a commencé bien avant, lorsqu’Obama a utilisé les sommets en G à des fins politiques pour mettre la Russie hors-jeu.
Les Chinois l’ont compris tout de suite et leurs experts se sont exprimés sur ce sujet immédiatement, dès août 2013 puis 2014, puis de nouveau en septembre 2016.
Instrumentaliser la mondialisation
C’est au cours de ces années que les Etats-Unis ont abandonné la coopération et la concertation pour utiliser les sommets au plan politique et instrumentaliser la mondialisation au détriment des Chinois et des Russes.
Obama s’est alors tiré une balle dans le pied.
Je me souviens que les Chinois avaient considéré les conséquences suivantes :
- fin de l’appétit pour le risque ;
- fin des transferts de technologie ;
- fin de la fluidité des mouvements de marchandises puis des capitaux ;
- étiolement du système monétaire dit Bretton Woods 2 ;
- mutation et re-domestication des chaînes de production ;
- fin de la déflation globale ;
- fin de la tendance à l’égalisation des prix dans le monde ;
- nécessité pour la Chine de développer sa demande interne.
Ils ont eu tout juste, à ceci près qu’ils n’ont pas anticipé les actions de la Fed lesquelles ont pallié en partie les effets de la démondialisation au plan monétaire et financier; la Fed s’est substituée au recyclage des déficits américains comme moyen de financement, elle a pris le relais.
Xi Jinping avait compris que c’était la fin de la mondialisation quand il a viré le patron de la banque centrale chinoise, en mars 2018.
A terme, le système dit « Chinamerica », c’est fini.
Et il faut surtout bien voir qu’il a des faces multiples : industrielles, commerciales, production – et surtout productivité, qui permet aux pays occidentaux d’avoir une productivité apparente globale meilleure, les profits plus gros et une meilleure rentabilité du capital investi.
Une béquille pour le dollar
Chinamerica augmente la masse de travailleurs en réserve en Occident, bonifie le profit et permet de lutter contre la baisse tendancielle de la profitabilité.
Ce système soutient également la valeur des dettes et limite le besoin de recourir à l’inflation.
Mais l’autre versant de Chinamerica, c’est le versant des flux financiers internationaux, de l’utilisation des excédents et des financements des déficits. C’est cet aspect qui est mal étudié.
La fin de la mondialisation, c’est aussi le commencement de la fin de l’hégémonie du dollar car :
- sa demande internationale va baisser ;
- il va falloir en créer plus pour monétiser les déficits ;
- les Etats-Unis vont être moins attirants pour les excédents mondiaux car moins sûrs et protégés.
L’hégémonie du dollar a été prolongée par Bretton Woods 2.
L’autre erreur de la Chine a été de ne pas accorder assez d’importance à l’imbrication monétaire et financière, aux dettes et aux parités de devises. Elle s’est laissée piéger par le grand boom spéculatif mondial en raison de la politique de sa banque centrale.
L’évolution des investissements directs à l’étranger (IDE, ou foreign direct investment – FDI – en anglais) que nous montre Patrick Artus ci-dessous, c’est le petit bout de la lorgnette. Mais c’est une illustration.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]