L’or et le bitcoin progressent… mais le dollar ne bouge pas – même par rapport à l’euro, son évolution reste atypique. Comment le billet vert fait-il pour se maintenir ?
Les prix d’actifs alternatifs tels que l’or et le bitcoin progressent fortement dans la pandémie. Certains économistes de haut niveau comme Stephen Roach, de Yale, prévoient une forte baisse du dollar américain.
Jusqu’à présent, malgré une gestion américaine incohérente de la pandémie, malgré des dépenses massives pour soulager la catastrophe économique et malgré un assouplissement monétaire qui, selon le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a « franchi de nombreuses lignes rouges », les taux de change du dollar ont été étrangement calmes.
Selon l’agence Bloomberg, le 12 novembre :
« Le déficit du budget fédéral américain a plus que doublé en octobre par rapport à un an plus tôt, reflétant une baisse des revenus et une augmentation des dépenses liées aux efforts du gouvernement pour contenir les dommages économiques du coronavirus. Le manque à gagner est de 284,1 Mds$ au premier mois de l’exercice 2021, contre 134,5 Mds$ en octobre 2019.
[…] Les revenus ont diminué de 3,2% et les dépenses ont bondi de 37,3% par rapport à il y a un an. Les chiffres prolongent une détérioration rapide de la situation budgétaire du gouvernement cette année après que les législateurs se soient efforcés de soutenir une économie qui s’est arrêtée […]. Au cours de l’exercice 2020, […] les Etats-Unis ont accumulé un déficit budgétaire record de 3 100 Mds$. »
Les déficits se creusent, les masses monétaires galopent :
« La semaine dernière encore, le crédit de la Réserve fédérale a augmenté de 16,1 Mds$ pour atteindre un record de 7 126 Mds$. Au cours de la dernière année, le crédit de la Fed a augmenté de 3 120 Mds$ ou 77,9%.
La masse monétaire M2 (étroite) a bondi de 56,0 Mds$ la semaine dernière pour atteindre un record de 18 895 Mds$, avec un gain sans précédent de 36 semaines de 3 387 Mds$. La ‘monnaie étroite’ a bondi de 3 623 Mds$, ou 23,7%, au cours de la dernière année. »
Et pourtant…
Malgré la multiplication des sanctions géopolitiques et la généralisation de la politisation du dollar – weaponisation –, aucun mouvement d’envergure ne s’est dessiné.
Les fluctuations sont restées marginales, contenues dans d’étroites limites. Cela déjoue tous les pronostics.
Les Etats-Unis ont beau avilir leur monnaie, elle reste demandée.
A croire que Bernanke avait raison lorsqu’il disait que dans les crises, la rentabilité supérieure de l’économie américaine et la stabilité de ses institutions mettait le dollar à l’abri de toute désaffection durable…
Autres avantages
J’ajouterai que non seulement le dollar est « l’action » du système américain, l’action de la « société US Inc. », et qu’il bénéficie de sa rentabilité du capital supérieure à celle du reste du monde, mais il profite aussi de son statut : on peut en créer autant qu’on veut, ce qui donne aux autorités des marges de manœuvre que les autres blocs n’ont pas.
Le fait de pouvoir en créer à volonté réduit le facteur risque ; or un actif qui est plus rentable et moins risqué bénéfice d’un statut particulier.
Certes, l’euro s’est apprécié d’environ 6% par rapport au dollar jusqu’à présent en 2020, mais ce n’est rien en regard des girations sauvages qui se sont produites après la crise financière de 2008, lorsque le dollar a fluctué entre 1,58 $ et 1,07 $ pour un euro, par exemple.
De même, le taux de change yen-dollar n’a guère évolué pendant la pandémie, alors qu’il avait navigué entre 90 ¥ et 123 ¥ pour un dollar pendant la Grande récession.
L’indice du taux de change des USA avec leurs partenaires commerciaux est actuellement stable à peu près à son niveau de mi-février. L’indice DXY, qui surpondère l’euro, est à près de 93 – en recul de moins de 4% depuis le début de l’année.
Cette stabilité est surprenante, puisque la volatilité des taux de change augmente normalement considérablement pendant les récessions américaines.
La volatilité modérée des taux de change constitue l’une des grandes énigmes macroéconomiques de la pandémie.
Nous verrons demain si nous pouvons la résoudre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]