C’est l’affolement chez les élites – et désormais, trois écoles de pensée s’affrontent pour tenter de nous sortir de l’impasse. (Un indice : ce n’est pas gagné.)
Les autorités sont dans l’impasse, disions-nous la semaine dernière, parce qu’elles sont désormais confrontées à un ensemble de facteurs difficilement gérables. Elles savent en effet :
– que les espoirs de reprise doivent être abandonnés ;
– que la croissance restera longtemps médiocre et faible ;
– que l’inflation ne repartira pas ;
– que les armes monétaires ont épuisé leurs apparents bienfaits temporaires ;
– que les coûts de ces armes monétaires sont colossaux, et qu’ils se rapprochent ;
– qu’elles ne peuvent plus espérer remonter les taux, normaliser et reconstituer leur arsenal de lutte contre les récessions ;
– que si la récession arrive, les marchés vont comprendre que les autorités ont épuisé leurs ressources, que ce n’était qu’une illusion de toute-puissance – et chuteront en cascade ;
– que, ne pouvant remonter les taux, la marge de manœuvre face à la prochaine récession est trop faible : il faut disposer d’une marge de baisse des taux de cinq points… et on ne dispose que d’une marge de moins de deux points (1,75%) ;
– que les marchés ont compris et assimilé tout cela ;
– que les marchés sont cyniques et qu’ils tiennent les autorités en otage…
… Et…
– que le temps presse.
Non seulement la conjoncture se dégrade spontanément, conformément à son cycle, mais maintenant il y a la menace du coronavirus – laquelle a précipité la Chine, le bloc asiatique et le Japon dans la récession plus ou moins avouée. Désormais, tout cela gagne l’Europe par le biais du commerce extérieur et de l’Allemagne.
Du fossé au gouffre
Les indicateurs économiques se dégradent à une vitesse folle et… les marchés financiers sont à des niveaux records, archi-records, tant en cours et prix qu’en valorisations des chiffres d’affaires, cash-flows, bénéfices et dividendes.
Le fossé qui sépare l’économie réelle et les anticipations contenues dans les marchés est devenu un gouffre dont le fond est à un niveau 50% plus bas ! Une baisse de 15% seulement des Bourses décapitalise plus d’un cinquième des établissements financiers.
Quant aux opérateurs, ils marchent – que dis-je, ils courent allègrement vers le gouffre, conduits par des aveugles qui sont persuadés que, cette fois encore, les autorités monétaires sauveront le monde et surtout sauveront leurs mises de jeu spéculatif.
Les élites sont affolées : on le voit à la multiplication des déclarations, des divergences et des incohérences. Les incohérences montrent qu’il n’y a pas de fil conducteur, que c’est le plus grand désordre. Les grands prêtres bafouillent, font des lapsus.
Trois écoles de pensée
Il y a au moins trois écoles.
La première est celle qui professe, sous la conduite du Financial Times, qu’il faut à toute vitesse cesser d’espérer dans les remèdes monétaires et mettre en place des politiques budgétaires de stimulation, raugmenter les déficits et multiplier les dépenses. Le FMI, la BCE et l’ex-Secrétaire au Trésor US Lawrence Summers défendent ce point de vue.
La deuxième école a peur que les déficits ne fassent basculer le système par excès de dettes et perte de confiance. Elle craint que tout cela ne crée une spirale sinistre que l’on ne pourra plus contrôler.
Cette école – qui est celle des anciens de la Fed Ben Bernanke et Janet Yellen – plaide pour un approfondissement du monétaire coûte que coûte. On n’en a pas fait assez, il faut oser aller plus loin.
Il faut charger l’hélicoptère, le faire savoir et arroser les marchés financiers par la mise en place des taux zéro, par la reprise des QE, par les achats de nouveaux titres à long terme comme les actions, les ETF… En fin de compte, il faudra acheter des quantités de titres à long terme pour « capper » les taux.
Bref, on fera baisser et on contrôlera les taux longs sans risque tout en maîtrisant le prix du risque en achetant ce qui le véhicule. Il s’agira d’éviter la dilatation en chaîne des primes, ainsi que le colmatage des canalisations financières d’une part puis économiques d’autre part.
La troisième école est la planche de salut des gauches modernes, celle qui affirme que l’on peut faire les deux à la fois, monétaire et budgétaire, grâce à la TMM, la Théorie monétaire moderne.
Elle permet de recreuser les déficits et de distribuer le revenu universel sans se poser la question de leur financement. Grâce à elle, on peut maintenir la stimulation monétaire par la création de fausse monnaie à volonté par le couple banque centrale/Trésor public – ainsi, elle soutient à la fois l’économie et la finance… sans douleur.
Désormais, on rase toujours gratis – et c’est ce qui débouche, je le dis tout de suite, sur la destruction de la monnaie telle que nous la connaissons encore.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]