▪ Nous ne savons plus trop s’il faut en sourire ou s’en inquiéter… Les marchés nous proposent une nouvelle variante de déconnexion par rapport au monde réel. Il ne fait aucun doute que l’anticipation permanente d’un QE3 est devenue l’opium du petit peuple de Wall Street.
Ben Bernanke n’a communiqué aucun nouvel élément d’analyse macro-économique (à part le scandale du Libor)… ni reformulé ses allusions à la possibilité de rajouter du stimulus monétaire (sans préciser lequel) si nécessaire (circonstances indéfinies).
Mais les marchés américains, une fois digéré leur déception initiale, induite par la lecture du texte présenté devant le Congrès américain, ont renoué avec un optimisme quasi-extatique dès la mi-séance.
▪ Wall Street est sûr d’un QE3
Explication : même si le Docteur Ben ne veut pas le dire publiquement, Wall Street est sûr et certain qu’il a déjà programmé une nouvelle injection d’assouplissement quantitatif. Moins il en parle, plus cela renforce la conviction qu’il va le faire.
Plus les économistes se retrouvent nombreux à pointer l’inefficacité du recours à la planche à billets, plus Wall Street se persuade qu’il va passer outre l’avis de certains de ses collègues du board et des plus hauts dirigeants chinois — qui multiplient les mises en garde –, et inonder les marchés de liquidités.
Tout le monde sait bien que cela ne soutient que les indices boursiers et le cours des matières premières… et donc l’inflation. Voici un effet collatéral dont Pékin a tout à redouter puisque l’expérience démontre que les précédents QE n’ont nullement soutenu les exportations chinoises vers les Etats-Unis.
▪ Les perspectives de croissance ne seront pas au rendez-vous dans la Zone euro
L’inflation ne constitue pas une menace en Europe, mais les perspectives de croissance se dégradent plus sévèrement que prévues. L’Italie s’attend désormais à une récession de 2% en 2012, les agences de notation pointent un risque d’insolvabilité des banques de la péninsule.
A Paris, plus les profit warnings sont nombreux, plus le CAC 40 semble aspiré vers les sommets. Il est revenu tester les 3 200 points alors que l’effondrement abyssal de certains titres comme Peugeot ou Alcatel confirme la matérialisation de la crise dans le monde réel.
Le mot « récession » est encore tabou à Wall Street, mais depuis le précédent FOMC de la Fed, l’ISM manufacturier est passé en dessous du seuil de 50, l’emploi stagne et les commandes des entreprises sont en berne. Un petit bémol tout de même ce mardi avec la publication d’un rebond de 0,4% de la production industrielle en juin aux Etats-Unis.
▪ Le buzz autour d’un assouplissement quantitatif
Puisque Ben Bernanke ne dévoile rien des intentions que Wall Street lui prête, les permabulls s’empressent de monter en épingle la moindre déclaration encourageante d’autres membres de la Fed — telle Sandra Pianalto, dont chacun connaît l’inclination en faveur du recours à la planche à billets.
Madame Pianalto s’est exprimée en marge du discours de Ben Bernanke mardi soir. Les marchés n’ont retenu que l’évocation d’un possible recours au quantitative easing si la dégradation de l’activité perdure, occultant totalement la suite de son intervention où elle convient que cette stratégie s’avère de moins en moins efficace.
Ces quelques paroles enchanteresses ont donc suffi à provoquer un spectaculaire redressement de Wall Street. Le S&P est repassé de -0,75% à 0,8% en moins de deux heures, le Dow Jones de 1,5% sur son plancher du jour (inscrit vers 16h30).
Les avis étaient cependant plus partagés qu’il n’y parait à la clôture de Wall Street. Il y a ceux qui estiment que l’économie ne va pas si mal — les actions américains progressent en moyenne de 10% depuis le 1er janvier, c’est loin de refléter une dégradation alarmante de la conjoncture économique — et ceux qui pensent que Ben Bernanke est très inquiet de la situation en Europe.
Inutile de leur objecter qu’un QE version 3, 4 ou 5 n’y changerait rien. Peu importe car ils soulignent qu’un affaiblissement délibéré du dollar ne peut que faire du bien aux entreprises américaines. Cela signifie qu’ils se fichent royalement des difficultés que cela crée symétriquement en Zone euro, notamment dans les pays du sud qui sont déjà ceux qui le plus de mal à exporter.
Ceux qui croient au QE3 semblent sûrs de leur fait, ils l’affirment haut et fort. Ils sont même convaincus que la Fed ne va pas faire traîner les choses : c’est pour la prochaine réunion de juillet — ou la suivante — au plus tard. Même si la Fed pose comme préalable un ralentissement durable de l’économie, reste à évaluer leur conception du mot durable : une semaine, une demi-journée, le temps de fumer un cigare à la santé de Ben Bernanke ?
Que les indices américains soient revenus au contact de leur zénith de l’été 2010 (quand tout allait bien) ou à 4% de leurs records de mars 2011 ne leur semble pas devoir être pris en considération. Wall Street ordonne, Ben Bernanke exécute… Sauf si l’été se solde par un sursaut inespéré de la croissance américaine, ce qui gâcherait tout.
▪ Prions pour que tout aille mal
Conclusion, pourvu que les prochains chiffres économiques soient détestables… que l’Europe s’enferre dans ses problèmes de dettes… et que les trimestriels soient le plus souvent décevants. Tout ce qui concourt à assombrir le paysage conjoncturel éclaire un avenir de création monétaire.
Du point de vue des opiomanes qui espèrent voir la Fed recharger leur pipe, c’est pourtant l’Europe qui présente le profil idéal pour la mise en oeuvre d’un QE3, pas les Etats-Unis !
Rien que pour ce mardi, les investisseurs européens ont eu droit au recul de l’indice ZEW en Allemagne (-2,7 à -19,6 en juillet)… à la dégradation de 13 banques italiennes (et de nombreuses autres institutions emprunteuses) par Moody’s… à l’évocation de plus en plus fréquente parmi les élites de Bruxelles d’un haircut (une décote au détriment des créanciers) sur les dettes des banques espagnoles.
Le scénario grec pourrait inaugurer la saison deux : fini les discussions sur la longueur des bouts de chandelle, on passe à une toute autre échelle cette fois-ci !