La monnaie, la quasi-monnaie, les bulles… tout est entièrement déconnecté de la réalité – et tout le monde s’y est habitué !
Les commentateurs continuent de s’écharper sur le sexe des anges et de s’interroger sur la question de savoir si les marchés forment des bulles, si la Bourse est en bulle ou mieux, si nous vivons dans le « tout en bulles ».
C’est une vaine querelle, une querelle du passé, ringarde. Une querelle de l’absolu dans un monde de relativité généralisée… pire, dans un monde qui a oublié jusqu’à la notion de référent, c’est-à-dire la notion de valeur sous-jacente.
« Value is in the eye of the beholder » : la valeur, c’est dans la tête des gens. C’est dépassé, la référence à la notion même de valeur a disparu sans que l’on s’en rende compte parce que l’on confond valeur et prix.
Pour comprendre à quel point la notion de valeur, c’est déplacé – j’ai bien écrit, c’est déplacé –, il suffit de penser aux cryptos, au bitcoin. Il n’y a pas de valeur sous-jacente, il n’y a qu’un prix. Ces entités ont cessé d’être le reflet de quoi que ce soit de connu comme valeur.
Est-ce que la quantité de monnaie qui navigue dans le monde fait bulle ? Question stupide, n’est-ce pas ? D’ailleurs personne ne se la pose. Eh bien, c’est la même chose pour les fonds d’Etat, c’est la même chose s’agissant des actifs financiers.
Ne confondons pas
La notion de bulle est souvent confondue avec la notion de cherté. C’est une erreur : ce qui fait bulle, c’est une masse que multiplie un prix – un volume émis, si on veut. Ce qui fait bulle – si on ose encore employer ce terme impropre –, ce sont les 64 000 Mds$ de dettes. On peut avoir une bulle colossale avec quelque chose qui a un prix inchangé : il suffit d’en émettre trop.
Les actifs financiers sont monétaires ; ils sont « formes » ou, si vous préférez, avatars de la monnaie – et ils ne font pas plus « bulle » que la masse de monnaie mondiale… ou alors ils font autant « bulle » qu’elle.
Depuis qu’elles sont désancrées de l’or, les monnaies sont créées sans limite, librement, comme l’est le crédit… et une monnaie libre peut être émise en toute quantité tant qu’elle est acceptée.
C’est la même chose, depuis que la monnaie est désancrée, créée en toute quantité selon les besoins, les quasi-monnaies, les actifs financiers peuvent être créés en toute quantité selon les besoins. Ils ne font pas plus bulle que la monnaie dont ils sont une forme par le biais du transit en fonds d’Etat.
Les monnaies sont libérées du poids de leur contrevaleur d’origine, du poids de leur actif d’origine ; l’or et les quasi-monnaies sont libérés du poids de leur actif d’origine, la richesse économique, le travail.
Tous ces signes « monnaies » et « quasi-monnaies » sont en eux-mêmes, ce sont des en-soi, ils sont sans référents. Ils flottent. On le sait de la monnaie, mais l’intelligence collective ne l’a pas encore compris s’agissant de leur forme quasi-monétaire.
Le tout en bulle modifie tout en profondeur
Plus la durée d’une bulle est longue, plus il devient difficile de la démasquer. En effet, si un état de fait dure depuis longtemps, l’esprit humain est ainsi fait qu’il considère que c’est l’ordre des choses, il ne s’étonne plus, il ne critique plus, il ne doute plus ; il ne craint plus.
C’est l’anchoring ; on s’habitue au vertige des hauteurs. Pour juger, on se réfère au passé… et si le passé et tout ce qui l’entoure est ainsi, on en tire la conclusion que c’est la norme. L’anchoring, l’ancrage, finit par donner l’illusion que ce que l’on voit, c’est normal.
Pendant ce temps, les effets de bulle deviennent plus structurels avec le temps. Ils s’enfouissent, ils gagnent tout en profondeur. Ils forment des structures, des invariants dont on finit par croire à « l’éternité », comme ce fut le cas par exemple pour la hausse constante du prix de l’immobilier.
L’invariant clé, à notre époque, c’est la liquidité, la croyance que l’abondance de liquidité sera éternelle.
Les marchés haussiers prolongés cristallisent les perceptions, enracinent les convictions, forment les bases des modèles mathématiques qui les reproduisent et les justifient tautologiquement.
En même temps, les marchés haussiers produisent leurs rationalisations, leurs théories – et l’innovation financière garantit une myriade d’instruments et de stratégies qui contribuent à perpétuer les flux haussiers et la dynamique commerciale associée. On en finit par oublier comment cela a commencé, d’où cela vient… et, finalement, ce que cela veut dire.
On oublie que le monde réel est dominé par l’incertitude – et donc le risque, le vrai.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]