** Alan Greenspan estime à 50% les risques de voir les Etats-Unis entrer en récession… comme s’il s’agissait d’une simple question académique de probabilités.
Nous parlons de celles appliquées aux mécanismes du marché et qui sont enseignées par des chercheurs (et chercheuses) de renom aux polytechniciens qui s’apprêtent à faire carrière dans le secteur des produits dérivés.
Mieux vaudrait lui demander à combien il estime les chances de voir son pays échapper à un désastre systémique après 18 ans de politique monétaire expansionniste et un encouragement permanent du secteur financier à créer des vecteurs d’addiction à la dette (cartes de crédit, emprunts à teasers, supprime, CDS…).
Mister Bulles, apôtre universitaire de l’étalon-or dans les années 70, devenu celui de l’ultralibéralisme financier dans les années 90, avait peut-être prévu de se convertir sur le tard à l’interventionnisme keynésien (années 2010-2020).
Une façon pour la Fed de continuer de jouer un rôle gratifiant — à la demande générale –, c’est-à-dire celui d’acheteur en dernier ressort.
La boucle serait bouclée si Ben Bernanke, ouvrant la dernière enveloppe léguée par son mentor et maître — à n’ouvrir qu’en cas d’effondrement de la pyramide des dérivés de crédit –, découvrait — ultime pied de nez aux libéraux — que la dernière étape du cycle des bulles orchestrée par la Fed consistera à la nationalisation du système bancaire américain.
Ceci achevé, Ben Bernanke n’aura plus qu’à éteindre son ordinateur, son cigare, la lumière de son bureau puis déposer, l’esprit serein et avec le sentiment du devoir accompli, les clés de la Fed dans la boîte au lettre du département du Trésor avec un petit mot d’encouragement : « la Chine, partie de plus bas, n’a mis que 20 ans à se remettre du maoïsme ».
Warren Buffett, lui, ne tergiverse pas avec les probabilités. Il y 100% de chances que les Etats-Unis soient déjà en récession… et 100% de chances qu’Alan Greenspan amuse la galerie avec le feuilleton des 30%, 40% et 50% — les 60% ce sera pour la prochaine conférence à 50 000 $ le quart d’heure prévue pour la mi-juin.
** Wall Street s’est peut-être réjoui — le S&P 500 a pris 0,7% mardi soir — de voir les ventes de logements neufs progresser de 3,3% en avril, mais les chiffres du mois de mars ont été révisés à la baisse (à -11%) et la dégringolade atteint 42% sur un an. A-t-on jamais vu un pays enregistrant une telle débâcle du secteur immobilier (l’Espagne lui dispute désormais la pole position dans ce domaine) ne pas subir une brutale et profonde récession ?
Ajoutons que selon l’indice S&P/Case-Shiller, le prix des maisons a de nouveau fortement reculé en avril. L’indice composite des 10 plus grandes villes américaines a en effet chuté de 15,3% en rythme annuel ; celui des 20 plus grandes a perdu 14,4%.
Le consommateur américain ne s’y trompe pas et sa confiance touche le fond en cette fin du joli mois de mai. Le baromètre du Conference Board plonge de 5,6 points à 57,2 ce mois-ci, son niveau le plus faible depuis octobre 1992 — le consensus des experts tablait sur un indice à 60 points en mai.
** Les nouvelles concernant la conjoncture en Europe ne sont guère plus réjouissantes puisque l’indice GFK (l’indice de confiance des consommateurs allemands) a reculé à 4,9 points pour le mois de juin — à comparer aux 5,6 points du mois de mai.
Et la France continuerait de braver les vents contraires, échappant, comme en 1986, (toujours grâce aux caprices d’Eole) au nuage de Tchernobyl ?
Achevons de soulever quelques interrogations concernant la réalité — autre que statistique — de la croissance selon l’INSEE : au premier trimestre 2008, les ventes de logements dans l’Hexagone ont chuté de 27,9% par rapport au premier trimestre 2007, à 26 700 unités, d’après les statistiques publiées hier par le ministère de l’Ecologie.
Cependant, tout est bien qui finit bien puisque le baril de pétrole repassait sous les 128,5 $ le baril hier soir à New York. La France, patrie de la gastronomie, va retrouver sa sérénité et une structure de dépense des ménages plus classique !
En effet, selon une équipe d’économistes, dont les derniers travaux ont été repris sur une grande chaîne nationale lundi dernier, le budget transports des ménages français dépasse pour la première fois en 50 ans le seuil des 15% du revenu mensuel disponible. Il détrône ainsi le poste nourriture de la seconde place — derrière le logement qui conserve la première.
Pourtant, les céréales et les produits laitiers avaient fait très fort ces derniers mois… mais ils ne suscitent pas encore le même engouement que l’or noir sur le CBOT.
Ah, si seulement la France pouvait créer des dérivés autres que le vin à partir du cépage Chardonnay ! A nous l’ivresse des capitaux spéculatifs et la promesse de grands millésimes pour les amateurs de bonus sur les marchés à terme…
Philippe Béchade,
Paris