Alors que la France s’enfonce dans un endettement incontrôlé, Bercy maquille la réalité en jouant sur les chiffres.
C’est désormais une certitude : notre Assemblée nationale est dans l’incapacité de s’accorder pour équilibrer les comptes publics.
Même le Haut Conseil des finances publiques considère que maintenir le déficit à 4,7 % du PIB l’an prochain est « très hypothétique ». Si l’organisme, qui dépend de la Cour des comptes, se permet cet euphémisme, cela signifie qu’atteindre ce niveau relèverait du miracle – alors qu’il est supérieur de 50 % aux 3 % de déficit auxquels la France doit normalement s’astreindre.
Notre dette publique entre dans la dernière phase de l’emballement exponentiel. Dans un effet boule de neige désastreux, ce n’est plus simplement le montant colossal de la dette qui devient hors de contrôle, mais également le paiement des intérêts.
En 2026, la France devra consacrer pas moins de 2,4 % du PIB au paiement de la seule charge de la dette. L’an dernier, nous avons consacré 60 milliards d’euros pour rémunérer nos créanciers (sans que cet argent ne serve à rembourser le moindre centime de créances). Cette année, ce sont 65 milliards d’euros qui auront été payés par les citoyens pour payer les dépenses du passé, et ce montant dépassera largement les 70 milliards l’an prochain.
Mais cette hémorragie financière n’en est qu’à ses débuts. Au vu des échéances et des taux actuels de crédit, la charge de la dette augmentera de 8 à 10 milliards par an dans les cinq prochaines années. Elle devrait ainsi engloutir plus que la totalité de l’impôt sur les sociétés à partir de 2028, et plus que la totalité des impôts sur le revenus perçus dès 2030.
Cette situation budgétaire calamiteuse est connue de nos dirigeants. La Cour des comptes, Bercy, et l’Insee brossent un tableau identique et cohérent. Pour autant, nos députés se permettent de l’ignorer pour une raison bien simple : ils considèrent que la problématique budgétaire est une question technique qui peut être résolue par plus de dette. Aucun parti ne souhaite réduire la dépense publique, ce qui nécessiterait de revenir sur les cadeaux électoralistes. En d’autres termes, la politique est prioritaire, et France Trésor, l’agence en charge du placement de notre dette, suivra.
Cette candeur pourrait être excusée dans la mesure où la fuite en avant s’est avérée possible depuis quarante ans. Mais dans les prochains mois, deux phénomènes nouveaux vont se matérialiser : la concurrence avec d’autres émissions massives en provenance de nos voisins européens, et la matérialisation de moins-values sur notre stock de dette. Prévus pour arriver simultanément, ils risquent de faire passer notre pays dans l’insolvabilité – et ils sont, aujourd’hui, encore absents des débats autour du creusement de notre déficit.
La dette cachée, un subterfuge qui ne durera pas
Dans le modèle classique, un emprunteur reçoit de ses créanciers un certain montant, par exemple 100 millions d’euros, et leur sert une rémunération. Celle-ci peut être versée plus ou moins régulièrement (tous les trimestres, semestres, annuellement) ou une seule fois à échéance pour les durées les plus courtes.
Une fois la date de maturité atteinte, le prêteur est remboursé. L’emprunteur reverse alors l’équivalent de ce qu’il avait initialement perçu, et la dette est soldée. Comptablement, le coût de la dette est donc celui des intérêts versés.
Mais la France fait un usage de plus en plus important d’un mécanisme différent, celui de la décote à l’émission. Plutôt que d’émettre de nouvelles souches obligataires, elle a pour habitude d’utiliser des véhicules existants, en particulier ceux émis ces dernières années lorsque les taux d’intérêt étaient plus faibles.
Pour que l’opération soit transparente pour les investisseurs qui considèrent le rendement à échéance, Bercy est obligé de proposer des obligations décotées. C’est ainsi que nous avons placé il y a quelques semaines des obligations à échéance 2036 dont le rendement facial n’était que de 1,25 %… mais qu’il a fallu offrir à 80 % de leur valeur nominale pour s’approcher des 3,6 % de rendement à 20 ans attendu par le marché.
Sur le papier, nos grands argentiers peuvent se féliciter d’avoir placé 2,4 milliards d’euros à 1,25 % de taux d’intérêt seulement, ce qui vient baisser artificiellement la charge des intérêts. Il s’agit toutefois d’une satisfaction à court terme qui va s’avérer coûteuse : en 2036, nous devrons rembourser aux prêteurs non pas 2,4 milliards, mais 3 milliards d’euros.
En recourant aux décotes à l’émission, notre pays masque le vrai coût de notre dette en remplaçant le paiement d’intérêts par des moins-values sur le principal. La mécanique a déjà un effet significatif sur nos comptes, avec près 8 milliards de moins-values cette année selon les estimations de Bercy. Un coût qui va aller croissant dans les prochaines années… mais qui, difficile à appréhender pour le grand public, reste bien commodément absent du débat public.
Des émissions toujours plus importantes en Europe
Pour nos dirigeants, émettre de la dette semble n’être qu’un jeu d’écriture comptable. Ils oublient que, derrière chaque euro que notre pays emprunte, il est nécessaire qu’un agent économique (épargnant, fonds d’investissement, Etat étranger) accepte de renoncer à un euro de pouvoir d’achat durant toute la durée de l’emprunt.
Or, la capacité d’épargne n’est pas infinie, même à l’échelle de la planète.
L’année prochaine, les émissions obligataires vont devoir augmenter drastiquement. Outre notre déficit primaire, un nombre important d’obligations émises durant la pandémie vont arriver à échéance. Après les 300 milliards d’euros placés sur les marchés cette année, France Trésor va devoir émettre plus de 310 milliards de dette en 2026, battant un nouveau record. Et notre pays fera face, pour la première fois, à un concurrent de poids : l’Allemagne. Notre voisin, fraichement converti à la dérive budgétaire, prévoit de placer 360 milliards d’euros d’émissions, soit autant que la dispendieuse Italie.
Au total, les membres de la zone euro devraient émettre pour près de 1 500 milliards d’euros l’an prochain – un montant jamais vu qui risque de venir à bout de la solvabilité de nos créanciers habituels.
Les 130 milliards de déficit à financer ne représentent même plus la moitié de nos émissions tant le poids de la dette passée, qu’il nous est impératif de faire rouler, est devenu important. Et avec une concurrence accrue pour solliciter l’épargne mondiale, nous n’avons aucune garantie que les marchés continueront de se jeter sur la dette française maintenant que l’Allemagne offre des volumes obligataires significatifs.
Nos députés, qui regorgent d’idées lorsqu’il s’agit de dépenser l’argent que nous n’avons pas, devraient commencer à en tenir compte avant de voter de nouvelles dépenses.

2 commentaires
HONTE à notre clique d’incapables. Les Allemands sont plus courageux que nos minus!
« Nos députés, qui regorgent d’idées lorsqu’il s’agit de dépenser l’argent que nous n’avons pas, devraient commencer à en tenir compte avant de voter de nouvelles dépenses. »
Qu’il est doux de rêver ……..