Elle a pourtant perdu 1 000 Mds€ avec la chute du marché obligataire… des pertes qu’il va bien falloir imputer quelque part.
Moins d’une semaine après avoir annoncé la fin du programme de rachats d’actifs (APP), et la première augmentation des taux, le conseil de la BCE s’est trouvé dans l’obligation d’organiser ce mercredi 15 juin une réunion d’urgence pour « discuter des récentes liquidations sur les marchés ».
En termes un peu moins modérés, nous assistions à une chute incontrôlée de la dette souveraine italienne, espagnole et à un creusement spectaculaire et tous azimuts des écarts de taux (ou spread) avec le Bund depuis le jeudi 9 juin.
De façon encore plus crue, et assurément plus réaliste, c’était le retour de la « dislocation » à la mode de la crise de la dette grecque, et c’est désormais plus qu’une image. Les obligations grecques à 10 ans affichaient une hausse de 27 points de base en quelques heures ce 14 juin, culminant à 4,705%… contre 3,56% le 1er juin.
Alerte rouge
L’emprunt de référence grec venait ainsi de flamber de 115 points en 10 jours, et même de 340 depuis le 1er janvier, ce qui portait à 300 points le spread face au Bund.
Pour ceux qui se demandaient s’il n’était pas un peu exagéré de prétendre que les marchés avaient sonné l’hallali, acculant la BCE dans ses derniers retranchements… la réponse est tombée quelques heures avant que la Fed ne délivre les marchés du suspens d’une hausse de taux de 75 points.
L’alerte rouge retentissait bien depuis le 13 juin dans les étages supérieurs du siège de la BCE, et la situation a peut-être été jugée ces derniers jours plus critique qu’au début de l’été 2012, lorsque certains oracles prétendirent que l’euro ne passerait pas l’hiver.
Il faut bien se figurer que Christine Lagarde a, pour répondre à ce début de crise, organisé la seconde réunion « hors calendrier » de la BCE depuis… le début du XXe siècle (et l’avènement de l’euro).
La précédente réunion d’urgence remontait à la mi-mars 2020, dans le cadre d’une action coordonnée de baisse des taux et d’injection de liquidités avec la Fed.
L’Europe n’était donc pas en proie à une difficulté particulière : le monde entier était en guerre contre le Covid-19 et se préparait à trois mois de confinement qui envoyèrent au tapis la croissance mondiale.
Il en résulta un choc récessionniste estimé entre 17 et 20% de part et d’autre de l’Atlantique, à l’issue du second trimestre 2020.
La MMT réfutée
C’est la riposte monétaire déployée par l’ensemble des banques centrales des pays du G7 qui a déclenché l’embrasement inflationniste des 12 derniers mois. C’est un démenti cinglant des postulats de la théorie moderne de la monnaie (en anglais MMT, pour Modern Monetary Theory) affirmant que les Etats disposant d’une monnaie de réserve peuvent recourir à l’endettement de façon illimitée sans générer d’emballement de la demande ni d’enclenchement d’une spirale prix/salaires.
Tout simplement parce que l’argent créé par les banques centrales n’est pas du vrai argent (de la monnaie fiduciaire qui circule de main en main) et qu’il n’est pas destiné à atterrir dans la poche des classes moyennes.
Il se retrouve comme aspiré par la sphère des actifs financiarisés – dont l’immobilier fait partie, tout comme les dettes hypothécaires – qui gonfle alors démesurément, sans que personne à la banque centrale se pose jamais la question de sa possible implosion.
La BCE ne semble ainsi pas s’être posée la question de ce qu’il adviendrait en cas de krach obligataire, le dernier en date remontant au début des années 1980.
Car de tous les détenteurs d’actifs obligataires sur cette planète, la BCE est probablement celui qui subit la perte la plus apocalyptique jamais enregistrée par une institution financière en 6 mois jour pour jour (le début de la dégringolade actuelle remonte au 20 décembre dernier).
1 000 Mds€ évaporés
Le « drawdown » sur les dettes souveraines et corporate qu’elle détient atteindrait les 1 000 Mds€ depuis les sommets de l’été 2020.
Ce montant pourrait ne pas être très éloigné des pertes qu’elle subit globalement sur ses encours, compte tenu du fait que toutes les émissions qu’elle a achetées depuis mars 2020 sont en moins-value latentes.
De quelle manière la BCE va-t-elle imputer ces pertes sèches ?
La BCE n’a en effet pas de réserves de plus-values réalisées antérieurement (depuis 2012 notamment) à mettre en face, puisqu’elle a systématiquement redistribué ses gains aux pays et organismes emprunteurs.
Quelle confiance les détenteurs d’euros peuvent-ils accorder à un institut d’émission qui gage la devise qu’il émet sur des pertes abyssales, tandis que les pays qui l’utilisent se dirigent tout droit vers une récession, ce qui les prive d’une partie des flux nécessaires au « service de la dette », lequel s’alourdit soudain de 220 points d’intérêts supplémentaire – au moins, dans le cas des emprunts français (OAT) à 10 ans ?
La BCE a-t-elle paniqué ce 15 juin et jugé qu’elle ne pouvait tarder à envoyer un signal aux marchés quelques heures de plus, le temps que la Fed confirme son tour de vis de 75 points de base et un objectif de 3,40% d’ici fin 2022 ?
Et le message qu’elle a voulu faire passer est-il convaincant ?
Elle n’a rien dévoilé de plus que jeudi dernier : elle veut user de « toute la souplesse » pour compléter son bilan lors de l’expiration d’émissions arrivées à échéance.
Mais cela suffira-t-il pour éponger toutes les nouvelles émissions de BTP italiens, de Bonos espagnols, de dette grecque ou estonienne (l’inflation dépasse les 20% dans cet état Balte riverain de la Baltique) ?
Les investisseurs semblent penser que non, la rechute du CAC 40 sous les 5.960 et de l’Eurostoxx50 sous les 3.500 (leurs supports annuels respectifs, nous en administre la preuve.
Il reste une dernière cartouche à la BCE : perdu pour perdu, une intervention musclée directement sur les marchés pour casser la dynamique baissière actuelle.
Ce ne serait que reculer pour mieux sauter… dans le vide, lestée par ses 1 000 Mds€ de moins-values obligataires.
2 commentaires
La moins-value latente restera latente et disparaîtra si elle attend la maturité (pour peu qu’elle n’en ait pas achetés à un prix supérieur au nominal). Et elle n’a pas l’air de vouloir revendre sur le marché
Je croyais qu’en fait chaque banque centrale achetait la dette de son propre pays, que ce n’était pas réellement la BCE qui achetait. Dans ce cas la Bundesbank réinvestiraient les bunds arrivant à maturité dans des obligation d’états du sud ??? Et si c’est la BCE, son bilan va se réduire des obligations les mieux cotées pour augmenter celles qui le sont moins bien