C’est l’heure du bilan pour Mario Draghi, et les langues commencent à se dénouer alors même qu’il n’est pas encore tout à fait parti de la BCE…
Quand on demande à Mario Draghi s’il attend des gouvernements disposant d’une marge de manœuvre budgétaire une action rapide et efficace, il répond que l’efficacité dépend du fait que la relance budgétaire se répercute des pays qui peuvent l’appliquer aux pays qui en ont besoin. Il estime que les politiques budgétaires nationales n’ont que des effets d’entraînement limités au-delà des frontières.
« A long terme, l’effet de contagion dépendra des progrès réalisés dans la mise en place d’une capacité fiscale centrale pour la Zone euro, dotée d’une réelle capacité de stabilisation de l’économie au cours du cycle économique. »
A son tour, cela nécessitera des changements dans la gouvernance des institutions créées pour remplir cette fonction fiscale centrale.
Au niveau national, le frein à l’endettement allemand est un exemple de problème de gouvernance susceptible de faire obstacle. Et de s’envenimer.
Une simple vision de bon sens conduit à penser que non seulement Draghi n’a rien résolu, rien sauvé, mais qu’au moment de son départ, il laisse ouvert un véritable champ de bataille semé de mines. C’est comme si, en partant, il disait : « Tout reste à faire, maintenant allez-y, battez-vous ! »
Des commentaires pas forcément favorables
Déjà, alors qu’il n’est pas encore parti, les langues se dénouent. Ceux qui s’étaient tus pendant son mandat commencent à commenter son œuvre. Ils n’hésitent pas à dire ce que je dis depuis le premier jour : Draghi a opéré un coup d’Etat.
Son action n’a pas été dans l’intérêt général ; cela a été une action partisane pour sauver de l’insolvabilité les pays du Club Med, et singulièrement l’Italie.
Ceci, les pays du nord ont osé le dire et l’écrire dès la semaine dernière ! Draghi n’a pas conduit une politique monétaire : il a fait du financement budgétaire au profit des pays déficitaires, maintenant et entretenant ainsi les déséquilibres. Il n’a rien résolu, rien sauvé, il a reporté.
Draghi a refusé tout débat, aussi bien avec ses pairs qu’avec les économistes, il s’est comporté en autocrate. Ceci se comprend car s’il avait accepté le débat, ses faiblesses seraient apparues. Il a bénéficié de la duplicité de la chancelière allemande, Angela Merkel, qui tenait un discours d’orthodoxie monétaire à l’intérieur mais qui, en sous-main, encourageait les dérives et permettait à Draghi de violer toutes les règles des traités, mains aussi celles de l’orthodoxie et celles du simple bon sens.
Un tissu d’âneries
Voici la question d’un journaliste audacieux lors de la conférence de presse tenue jeudi par Draghi :
« Une récente étude de la Bank of America révèle que l’impuissance et l’inefficacité des banques centrales, y compris celle de la BCE, inquiètent les observateurs ; cette impuissance constitue le deuxième risque perçu par les investisseurs. Ma question est la suivante : pensez-vous que ces préoccupations des investisseurs sont justifiées ? En d’autres termes, y a-t-il un risque de bulles financières ? »
Réponse de M. Draghi :
« […] Vous avez demandé si les politiques monétaires expansionnistes des banques centrales constituaient le deuxième risque en importance. Je peux répondre pour la Zone euro ; c’est une question que nous nous posons tous les jours, plusieurs fois par jour, et je le dis parce que nous surveillons de très près l’évolution des marchés. Nous voyons certains segments des marchés financiers où les évaluations sont gonflées. C’est le cas de l’immobilier, par exemple, et surtout de l’immobilier commercial de premier choix. Or les causes de ces évaluations surestimées ne mènent souvent pas directement à nos politiques monétaires. Pour l’immobilier commercial de premier ordre, c’est l’action des investisseurs internationaux qui pousse les prix… Nous pouvons avoir d’autres segments à surveiller, mais franchement, nous ne voyons pas de bulles.
Lorsque nous voyons des bulles, ce sont des bulles localisées comme par exemple, certains segments du marché obligataire, le marché des obligations à effet de levier à rendement élevé – qui, soit dit en passant, n’est pas un gros problème en Europe. C’est plutôt un gros problème dans un autre pays…
L’autre problème important est celui de la recherche de rendement qui pousse les cours des actifs financiers. Une grande partie de cette recherche de rendement se produit dans le secteur non-bancaire et plus spécifiquement dans le système bancaire parallèle. Malheureusement, le périmètre des politiques macroprudentielles n’inclut pas ce secteur. Nous avons une certaine visibilité, plutôt bonne, sur ce qui se passe dans le secteur bancaire… Mais nous n’avons pas beaucoup de visibilité sur le reste du secteur financier. Je parle pour les non-banques, pour le secteur bancaire parallèle. »
Comment peut-on sortir pareil tissus d’âneries devant une audience internationale, pour une prestation historique, une prestation censée rester dans l’Histoire ?
Des réponses effarantes
Comment affirmer que les prix de l’immobilier sont surévalués – tout en niant que ce soit directement la conséquence des politiques monétaires avec les taux quasi-zéro et l’absence de rendement offerts par les placements normaux ? Comment oser répondre que c’est de la faute des investisseurs internationaux !
Qui baisse les taux, qui les met à zéro ?
Quant à la réponse sur les risques financiers, elle est proprement effarante. Draghi reconnaît que les risques sont importants, mais qu’ils ne concernent pas trop le secteur bancaire traditionnel. Ouf !
Cependant, aussitôt, il reconnaît que les risques importants sont logés dans le secteur bancaire parallèle, le « shadow banking system », lequel est opaque et, comme il le dit, malheureusement non réglementé.
Les bras m’en tombent.
La quête de rendement a produit une situation financière explosive, catastrophique. C’est au point que l’on ne peut plus remonter les taux et que l’on doit encore, ces derniers jours, injecter des centaines de milliards…
… Et ce zozo nous dit : « Je n’y peux rien, ce secteur parallèle n’a pas de visibilité et n’est pas régulé » !
Un jour on lynchera Draghi, au moins symboliquement.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]