▪ Un monde est en train de couler… au large des côtes de l’Emirat de Dubaï. Une mosaïque de 300 îles artificielles composant une mappemonde terrestre de neuf kilomètres de long sur six de large est en train de sombrer. La mer du golfe Persique — pourtant peu agitée — est en train de digérer, centimètre par centimètre, les centaines de cônes de sable destinés à héberger autant de villas de rêve vendues aux milliardaires de la planète.
Les riches très riches supportent-ils mieux que le commun des mortels le soleil de plomb qui sévit six mois par an au sud-est de la péninsule arabique ? Je ne saurais le dire… mais je peux vous assurer, pour avoir séjourné en différentes saisons dans la région, que le dîner sur la terrasse au bord de l’eau n’est appréciable que de fin octobre à la mi-mars, et qu’un climatiseur est absolument nécessaire pour déjeuner sans rôtir en quelques minutes durant 90% de l’année, sauf peut-être durant la période décembre/janvier.
A partir du mois d’avril, les heureux propriétaires d’un bout de plage se carboniseront les pieds sur un sable incandescent avant d’atteindre une eau bouillante, désertée par toutes les créatures marines qui s’éloignent de la côte entre les deux équinoxes. Pour ceux qui aiment la plongée, s’aventurer sous la surface grise des eaux du Golfe, chauffées à 38°C, est aussi passionnant que d’explorer les tréfonds d’un château d’eau en banlieue parisienne.
En ce qui concerne les balades en voilier ou en hors-bord dans l’archipel, les manivelles et les manettes deviennent brûlantes en quelques minutes. L’insolation est garantie au bout d’une demi-journée de navigation. Une seule solution durant tout l’été… prendre la mer la nuit et regagner la terre ferme avant l’aube.
Le nouveau super-Miami des émirats serait invivable pour le plus résistant des scorpions !
Cette petite folie aurait coûté à Nakheel Properties plus de la moitié des 10 milliards d’euros consacrés à la fabrication du futur monde englouti. Les travaux ont dû être stoppés fin 2007 à 2009, après que les dragues géantes eurent recraché 11 milliards de mètres cubes de sable, soit l’équivalent de dizaines de pyramide de Khéops. 50 millions de tonnes de roche, représentant 2,5 millions de rotations de camions entre la côte et la zone montagneuse du sud du pays, ont été déposées dans l’eau — presque au centimètre près — depuis des barges équipées de grues téléguidées par GPS.
Le désastre financier pourrait se doubler d’un désastre écologique : d’après le quotidien britannique The Guardian, l’archipel est privé de toute consolidation de ses rives et aucune maintenance de l’ouvrage n’a eu lieu depuis plus de deux ans. Les îles sont peu à peu submergées par les vagues, elles se déforment… et certaines dérivent — comme les continents, les vrais ?
Nous adorons la fin de l’article du Guardian : « The World… ce ne sont plus que des pâtés de sable crasseux qui s’enfoncent dans la mer ».
Cette sorte d’épitaphe nous paraît très bien convenir pour décrire les montagnes de dettes contractées par les holdings immobilières de Dubaï : « ce ne sont plus que des paquets d’emprunts décomposés qui se délitent au fond des égouts de l’Emirat ».
▪ C’est la question des dettes souveraines qui semble avoir gâté l’humeur des investisseurs européens. Après la Grèce — dont la politique budgétaire vient d’être placée sous la tutelle de Bruxelles –, voici que les bons du Trésor portugais font l’objet de sévères attaques. Leurs rendements ont fait un bond de 20 points de base au cours de la seule journée de mercredi.
Pas de quatrième séance de hausse consécutive sur le Vieux Continent. De toute façon, Wall Street avait rapidement pris le chemin de la consolidation après la publication d’un indice ISM des services en demi-teinte.
Certes, l’activité progresse dans le secteur tertiaire aux Etats-Unis… mais pas autant que le marché l’espérait : l’indice enregistre un score de 50,5 au lieu des 51 anticipés, après 49,8 en décembre.
Le S&P 500 et le Nasdaq ont lâché 0,5% à 0,6% dès les premiers échanges. Les indices européens ont quant à eux effacé tous les gains engrangés au début de la séance, avant de basculer assez nettement dans le rouge ; le CAC 40 s’enfoncera jusque vers 3 784 points aux environs de 16h30. Paris en a finalement terminé sur un repli de 0,5% à 3 793 points, après avoir ricoché sous les 3 830 points à l’heure du déjeuner.
Cela n’a rien de très alarmant après deux séances de forte hausse. Cela ne remet d’ailleurs pas en cause l’impression positive qui se dégage des trimestriels outre-Atlantique, alors que 50% des résultats ont maintenant été publiés.
▪ Les nouvelles sur le front de l’emploi américain sont bonnes… mais les marchés les attendaient meilleures encore. Les destructions d’emplois dans le secteur privé aux Etats-Unis ont encore ralenti au mois de janvier, d’après l’enquête mensuelle d’ADP Employer Services, avec 22 000 destructions de postes, alors que les économistes attendaient un chiffre compris entre 30 000 et 40 000.
C’est la plus faible détérioration du marché de l’emploi observée depuis le début du cycle infernal des destructions de postes dans le secteur privé en janvier 2008… Cependant, le nombre de licenciements recensés le mois dernier progresse paradoxalement de 71 500 avec la fin des contrats à durée déterminée conclus pour la période des fêtes dans la distribution.
Pas de quoi inquiéter les investisseurs ; ils jouent le scénario d’une croissance économique supérieure à la moyenne historique de 3,5% aux Etats-Unis en 2010.
Ce qui pourrait en revanche indisposer Wall Street, c’est le durcissement de ton de Barack Obama au sujet des relations commerciales avec la Chine… Cette dernière prend prétexte de la visite du dalaï-lama pour rappeler à son « partenaire » américain qu’il est malvenu de provoquer la plus grande dictature communiste de la planète avec des ventes d’armes à Taïwan… une bien étrange façon — selon Pékin — de se montrer digne de l’attribution du prix Nobel de la Paix trois mois auparavant.
La Chine s’est retenue jusqu’à présent d’envoyer le dollar, les T-Bonds US et les Etats-Unis par le fond… mais elle risque de s’y résoudre bien avant que les eaux du golfe Persique n’aient fini d’engloutir les « pâtés de sable crasseux » qui se désagrègent au large de Dubaï.