▪ Horreur, malheur, le dollar faisait mine de ne plus vouloir refluer en direction des 1,50 euro et des 89 yens hier matin. Wall Street se contentait donc d’afficher un gain potentiel de 0,6% en pré-ouverture, tout juste suffisant pour retracer les sommets annuels.
Mais, ô surprise, les gains des indices américains ne mettaient que cinq minutes à s’avérer deux fois plus amples qu’attendus et le S&P affichait 1,5% de hausse et un nouveau record annuel de 1 111 points. Une demi-heure après l’ouverture, il grimpait vers 1 113 points à la mi-journée tandis que le Dow Jones s’envolait vers 10 400 points.
Personne n’anticipait une telle euphorie, et pour de bien mauvaises raisons. Ce mouvement n’a fondamentalement aucune justification. Mais ce serait oublier un peu vite que les marchés ont pris l’habitude de se réjouir d’"excellentes mauvaises nouvelles" comme nous l’expliquions hier.
▪ Avant d’aborder les (piètres) chiffres du jour, nous commencerons par évoquer cette désolante étude des économistes du secteur privé américain réalisée pour le compte de la Réserve fédérale de Philadelphie. Ils réduisent de 2,5% à 2,3% leurs prévisions de croissance économique pour le premier semestre 2010. Et ils font un virage à 180 degrés quant à leurs anticipations concernant le marché du travail aux Etats-Unis.
Ils ont calculé que 35 000 emplois seront perdus en moyenne par mois au premier trimestre 2010, alors qu’ils anticipaient symétriquement 50 000 créations mensuelles sur cette période.
Dans la même veine, ils multiplient par deux leurs projections de destructions de postes salariés (à -160 000 contre -80 000) au quatrième trimestre 2009 avec un taux de chômage stabilisé autour de 10,2%. Des chiffres qui sont du miel pour Wall Street et les spéculateurs qui jouent le dollar à la baisse !
▪ Les opérateurs qui jouent la hausse des indices boursiers ne veulent plus entendre parler que de marasme économique, de chômage, de moral des ménages en baisse. Par un magnifique coup de chance ce lundi, deux chiffres viennent également confirmer le risque de tassement du rythme de progression du PIB américain au quatrième trimestre 2009.
L’indice d’activité industrielle de la Fed de New York rechute de 34,6 vers 23,5 et les ventes de détail de septembre sont fortement revues à la baisse à -2,3% contre -1,5% estimé initialement. Le chiffre global depuis le 1er janvier enregistre un plongeon abyssal de 8,2% malgré le rebond de 1,4% du mois d’octobre.
Mais rassurez-vous, c’est une embellie en trompe-l’oeil qui provient de la hausse de 7,4% des immatriculations de voitures neuves — après -14,3% en septembre. Cette hausse est due à des retards de livraison suite à des lenteurs administratives pendant la constitution des dossiers cash for clunkers. Hors automobile, les ventes de détail n’ont progressé que de 0,2% au lieu des 0,3%.
▪ Ouf, nous avons bien failli assister à un rebond du dollar alors que les pays asiatiques et l’Europe commencent à se préoccuper d’un scénario de retracement de ses plus-bas des 18 derniers mois. A part payer le pétrole un peu moins cher, ces zones économiques n’ont strictement rien à y gagner puisque les Etats-Unis remboursent leurs dettes en monnaie de singe.
Mais rien ne pourrait être plus utile aux marchés financiers. Sachant que 70% des volumes quotidiens sont des opérations de change (tous couples de devises confondus), tout ce que perd le dollar — multiplié par des effets de levier gigantesques –, c’est autant de liquidités en plus pour acheter tout ce qui se négocie. A commencer par l’or qui inscrit un nouveau record absolu à 1 134,5 $ l’once.
Et rien n’indiquait jusqu’à ce jour la volonté de quiconque (Fed, Trésor, gérants de fonds de retraite) d’arrêter le processus de gonflement de toutes les bulles d’actifs par le biais de la destruction ordonnée du dollar. L’alibi d’une monnaie faible dopant les exportations américaines a d’ailleurs volé en éclats vendredi avec un creusement de 20% du déficit commercial au mois de septembre.
Très clairement, la glissade du billet vert n’a pour seule vertu que d’enrichir les brasseurs d’argent à une vitesse jamais observée dans l’histoire du capitalisme tandis que les entreprises et les contribuables observent la valse des milliards de bonus. Des bonus dont ils ne touchent que des miettes au travers de la fiscalité — très allégée depuis les années Bush — qui s’impute sur ces sommes.
▪ Wall Street a réagi un peu négativement peu après l’heure du déjeuner lorsque Ben Bernanke a évoqué sa préoccupation de maintenir la valeur du dollar et de s’assurer de la stabilité du système monétaire. Mais heureusement, personne n’y croit ! Le billet vert n’a enregistré qu’un éphémère rebond vers les 1,4885 euro avant de glisser à nouveau sous les 1,496 euro. Cela a ainsi permis aux indices américains de retrouver un rythme de croisière voisin de 1,5%, comparable à celui de l’Euro Stoxx 50 ou de l’Eurotop 100 en clôture.
Certains commentateurs évoquaient dès lundi matin de bons chiffres d’activité industrielle publiés au Japon. Voilà le genre d’information que les investisseurs occidentaux — et même Tokyo hier matin — ont systématiquement ignoré ces derniers mois… mais qui deviendrait soudain le catalyseur inespéré de la hausse.
Le CAC 40, qui avait rouvert sur un gros gap au-dessus des 3 830 points, aligne une neuvième séance de hausse et un gain cumulé de 9% depuis le récent plancher des 3 550 points du 3 novembre dernier. Un rythme de progression digne d’un rebond post-krach boursier. Depuis ses planchers de la mi-mars, l’indice a progressé de 55%.
Le CAC 40 continue d’aligner un nombre record de séances de hausse depuis huit mois. La mécanique haussière découlant du carry trade est implacable, les épisodes correctifs intermédiaires sont soigneusement éliminés afin d’éviter l’apparition de toute indication technique négative. C’est typiquement un marché à choix unique, mû par une pensée unique, et par un consensus baissier tout aussi univoque concernant le dollar.
▪ Si nous devions ne mentionner que l’aspect le plus vertigineux dans la hausse des indices boursiers, il y ce principe qui consiste à acheter des titres précisément parce que la Fed, le FMI ou les experts de Bruxelles ne cessent de réitérer leurs doutes au sujet de la vigueur de la reprise.
Les spéculateurs se ruent sur les actions tout en étant pleinement conscients de l’impossibilité pour les entreprises de créer suffisamment de valeur pour justifier leurs niveaux de capitalisation actuels.
C’est une autre manifestation du principe du jeu "le maillon faible". Il consiste à choisir comme adversaire le candidat le plus faible parmi les qualifiés du jour parce qu’il représente la plus faible opposition possible au moment de la finale.
Nous vous laissons imaginer le sort réservé aux malheureuses actions lorsque la Chine jugera que le dollar ne doit plus baisser !