La Fed révèle enfin le vrai péril qui menace la planète : tout pourrait déraper sur une flaque d’huile grecque !
Philippe Béchade
▪ C’est assez rare pour être souligné : mardi, les indices américains avaient enregistré des disparités de performances d’une ampleur exceptionnelle… alors que cette journée de mercredi s’est conclue sur des scores aussi identiques que possibles sur les trois principaux indices que sont le S&P (-0,65%), le Dow Jones (-0,66%) et le Nasdaq (-0,67%). Sans parler des places européennes, qui ont fini inchangées.
Le communiqué final de la Fed, pourtant conforme aux attentes, a plongé Wall Street dans des abîmes de perplexité.
Ben Bernanke revoit comme prévu à la baisse les perspectives de croissance en 2011. Il répète que le ralentissement économique (« soft patch« ) n’est que temporaire, et que l’activité économique devrait réaccélérer au cours du second semestre.
Il reconnaît cependant que certains facteurs qui freinent l’économie (il doit faire allusion à l’immobilier) s’inscrivent dans la durée et ne vont pas disparaître dans un avenir prévisible. C’est pourquoi les taux d’intérêt vont être maintenus au plancher pour une période « très étendue » — à tel point qu’il n’est même pas encore question de fixer une date pour commencer à évoquer le retour à une politique monétaire plus conventionnelle.
Le message délivré par Ben Bernanke est pratiquement identique à celui de la précédente réunion. Cela donne le sentiment que la réalité pourrait l’avoir pris de vitesse alors qu’il reste prisonnier d’une stratégie qui a largement échoué par rapport au but qu’il s’était fixé.
▪ Surtout, il n’éclaire pas les marchés sur la question du refinancement de la dette américaine après l’achèvement du QE2, dans tout juste une semaine. Personne n’a les moyens de subventionner les Etats-Unis à hauteur des 75 ou 80 milliards de dollars que la Fed absorbait tous les mois depuis novembre dernier… Alors qui va se substituer à elle lors des prochaines émissions du Trésor américain ?
Ben Bernanke botte en touche et préfère attirer l’attention des opérateurs sur les « enjeux considérables » induits par la crise grecque. Comme si les 120 milliards d’euros dont la Grèce aurait besoin d’ici 2014 était un problème aussi crucial que les 120 milliards de dollars dont les Etats-Unis ont besoin… chaque mois d’ici 2014 (sur la base des projections de déficit fédéral actuelles, mais attendez-vous à ce que cela empire).
Toujours la paille grecque dans l’oeil de la BCE qui occulte la poutre dans l’oeil du patron de la Fed. Confrontés au risque de difficulté de refinancement de la dette américaine, les économistes des principaux acteurs de Wall Street (les banques « systémiques » pour être plus précis) estiment que les acheteurs étrangers devraient se montrer plus présents ces prochains mois.
Les généreux sponsors des Etats-Unis devraient tenir compte du fait que les pressions inflationnistes restent contenues (risque d’érosion monétaire limité) et miser sur un redressement progressif de la croissance.
C’est un voeu pieux selon nombre de conjoncturistes qui ont travaillé sur les chiffres publiés depuis l’entame du second trimestre 2011. Et c’est un pari d’autant plus audacieux que les Etats-Unis ne vont pas pouvoir repousser éternellement l’apurement de leurs déficits via une politique d’austérité comprenant des hausses d’impôts et des coupes claires dans les dépenses fédérales.
Juste le temps de se rendre compte que l’arrêt du QE2 place le Trésor américain dans une impasse et le monde entier pressera les Etats-Unis de « faire quelque chose »… Sauf que Ben Bernanke ne sait faire qu’une chose : actionner frénétiquement la manette qui fait tourner la planche à billets chaque fois que les marchés sont victimes d’un coup de stress.
Quel que soit le nom qu’on lui donne, le nouvel expédient sera l’équivalent d’un QE3, car le premier créancier des Etats-Unis — la Chine — ne veut plus accumuler un dollar sous forme de bons du Trésor US depuis le mois de février. Si elle se présente aux prochaines émissions primaires de la Fed, elle s’allègera d’autant sur le stock qu’elle détient.
▪ Par chance, les malheurs de la Grèce font du billet vert une valeur refuge à titre temporaire. Le rendement des T-Bonds à 10 ans est au plus bas depuis un an, et celui du 2 ans retrouve son plancher historique. Il s’agit là d’achats mécaniques à très courte vue, de hot money qui peut s’envoler du jour au lendemain pour s’investir dans les matières premières ou tout autre substitut monétaire.
Pékin sait que les conditions de marché peuvent changer en l’espace de quelques heures. Les marchés obligataires ne constituent un abri que tant que la confiance soutient les échanges.
La réalité, c’est que les taux grimpent dans des pays émergents où la croissance flirte avec la surchauffe — alors qu’il n’y aucun souci de solvabilité. En revanche, ils tendent vers le zéro absolu dans les pays étouffés par leur dette et qui n’ont plus les moyens de soutenir leur économie.
D’où ce paradoxe suprême : c’est là où il y a le plus grand risque d’insolvabilité qu’il y a le moins de rémunération — comme si la dette américaine était auto-détenue à 95% à l’instar du Japon.
Ben Bernanke admet implicitement que la Grèce a dépassé le point de non-retour… mais le nouveau gouvernement de M. Papandreou tente de rassurer les créanciers en faisant du « plus austère que moi tu meurs ».
L’Europe de son côté semble toute disposée à faire un gros chèque d’ici fin juillet afin d’enrayer la propagation d’un effet domino systémique au coût incalculable (toujours selon Monkey Business Ben).
▪ Quel progrès les Etats-Unis comptent-ils accomplir dans le même temps ? Que va faire la Fed au cours des trois prochains mois ?
Rien ?
Vous êtes bien sûr ?
Bravo ! Bonne réponse !
Vous gagnez le droit de répondre à la question suivante : si la Chine avait le choix entre participer pour l’équivalent quelques milliards d’euros au plan de sauvetage de la Grèce concocté par Bruxelles et le FMI afin de garantir la stabilité de la monnaie unique (sa deuxième devise de réserve)… et verser chaque mois des dizaines de milliards de dollars à fonds perdus aux Etats-Unis, qui narguent le monde entier depuis deux ans avec leur planche à billets, quelle solution aurait sa préférence ?
Même Wall Street commence à le subodorer…
Vous devinez la suite ?