La crise est bien réelle – elle est même déjà là. Mais beaucoup n’en sont pas conscients… voire préfèrent se voiler la face.
Je crois peu aux modèles, aux chiffres, mais beaucoup à ce qui ne se mesure pas : les humeurs, le sentiment – le mood, comme on dit en anglais. Pour moi, les phénomènes économiques sont toujours du ressort de l’économie politique et non pas de l’économétrie.
Je crois beaucoup aux prises de conscience, aux vérités lorsqu’elles deviennent common knowledge, c’est-à-dire lorsqu’elles sont connues de tous comme… étant connues de tous.
Ici, je prétends que le public n’a pas pris conscience de la situation réelle ; il est sur un nuage et tout, dans les discours publics, l’entretient dans l’illusion.
Beaucoup, en plus, croient que tout ce que l’on dit est mensonger, qu‘en réalité la crise est montée de toutes pièces par ceux qui veulent asservir les peuples au nom d’un nouvel ordre mondial.
Déni et sentiment d’irréalité
Tout en vivant quotidiennement dans la ou les crises, les peuples vivent dans le déni. C’est un phénomène complexe que je ne vois analysé nulle part. Quelque part, au fond de la tête, « on » n’en veut rien savoir.
Les médias, le digital, les écrans à mon sens contribuent à cette sorte de perte du sentiment de réalité. Tout est distancié, transformé en spectacle et on s’habitue. On le voit clairement avec les guerres.
C’est important car le corps social, selon moi, perd ses capacités d’adaptation. Il n’est pas en train de se préparer à ce qui va passer.
Pour tout dire, je n’ai pas le sentiment que les citoyens se préparent sérieusement à la dureté des temps qui se profilent. Il y a un triple voile :
– l’effet de richesse boursier ;
– les distributions de ressources tombées du ciel ;
– l’accès au crédit.
Beaucoup de gens ont une sorte de sentiment d’irréalité.
Les romans propagés par les politiciens préoccupés de se dédouaner ou de se faire réélire ne favorisent pas une appréciation adaptée de la situation terrible dans laquelle nous nous trouvons.
Quelqu’un qui viendrait de Sirius, qui ne serait ni névrosé, ni intoxiqué et qui disposerait de la sagesse ancienne aurait certainement les cheveux dressés sur la tête. Nous sommes surinformés mais cette information ne porte plus !
Le réveil viendra-t-il un jour ?
Je peux me tromper ; peut-être que cet état est maintenant permanent. Cependant, je pense qu’il est quand même plus raisonnable de faire le pari qu’il y aura, un jour, un réveil : on va atterrir.
Finalement, « cela va mordre ».
La consolidation/correction/modération boursière à laquelle nous assistons depuis trois semaines ne me semble pas devoir être considérée comme un atterrissage ou un changement de la donne. Je ne sens pas la peur. Je la prends donc pour le moment comme une pause qui rafraîchit.
Evolution des indices boursiers depuis le 1er janvier
Un aller sans retour
Aux Etats-Unis, Jerome Powell vit dans un autre monde. Lui aussi contribue beaucoup à la perte du sentiment de réalité.
Le président de la Fed minimise les risques liés à la stabilité financière. Sera-t-il prêt à fournir un autre plan de relance immédiat de plusieurs milliers de milliards de dollars en cas de nouvelle dislocation pandémique ou économique ?
Il mise, il paie, il aligne les milliards pour la reflation sans se préoccuper du coût, des coûts qui sont infligés au système. Des coûts colossaux, profonds et en même temps différés. Powell habite le monde du « demain on rase gratis ».
Il a déjà oublié la catastrophe de la fin 2018, lorsqu’il a voulu tenter d’envisager de réduire les artifices du dopage monétaire ! Il ne pense qu’à l’aller, surtout pas au retour.
Les mesures de reflation de la Fed prises en mars et avril attisent les excès spéculatifs et renforcent le recours au levier massif alors que nous sommes en fin de cycle.
Cela aggrave considérablement la fragilité du marché, cela garantit que le prochain épisode majeur de réduction des risques/désendettement nécessitera des injections de liquidités encore plus importantes que tout ce que l’on a imaginé. On n’a pas fini de créer de la monnaie de base. Le prochain soutien des marchés coûtera des sommes astronomiques.
Non seulement les risques pour la stabilité financière progressent de façon exponentielle, mais ce sont les structures même du système mondial qui risquent d’être mises à mal. Le Centre, le couple Fed/Trésor est surexposé.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]