** S’il y a bien une réalité sur laquelle les marchés sont en train de tomber d’accord, c’est sur l’évanouissement de l’espoir d’une reprise en "V" comme Victoire (sur la fatalité). Il reste alors l’alternative suivante : reprise en "U" comme Utopie… ou en "L" comme Loser ou Languissant.
Une enquête concernant les perspectives de croissance pour les pays composant le G7, réalisée par l’agence Reuters auprès d’un panel de 250 économistes, fait ressortir un consensus de +0,4% au troisième trimestre (en léger repli par rapport aux 0,5% anticipés en mai) après une baisse de 2% au deuxième trimestre (contre -1,8% estimé le mois dernier).
De façon assez surprenante, la PIB américain est attendu à +1,6% au quatrième trimestre ; les spécialistes sondés estiment que le plan de relance américain commencera à produire pleinement ses effets, notamment dans le secteur de la construction et de l’environnement.
L’impact de la restructuration du secteur automobile est minimisé, de même que celui d’une possible réduction drastique des dépenses de santé à partir de la fin de l’été 2009, malgré l’avertissement solennel au sujet de "coûts insupportables pour les Etats-Unis" prononcé par Barack Obama vendredi dernier.
** L’optimisme affiché hier par le FMI — et qui comporte lui aussi une forte part de subjectivité — n’a pas convaincu Wall Street, qui a complètement pris à contre-pied les anticipations de rebond technique formulées en préouverture mardi. Attendu en hausse de 0,4%, le Dow Jones Industrial a dévissé de 1,25% hier soir, préservant in extremis le seuil des 8 500 (à 8 504 points).
Un phénomène récurrent — qui a pu contribuer à amplifier la volatilité — laisse de nombreux observateurs perplexes : il s’agit de l’étroitesse des volumes d’échanges sur les 30 valeurs vedettes, avec une moyenne de 240 millions de titres négociés au cours des cinq dernières séances.
L’indice Standard & Poor’s 500 a lui aussi chuté de 1,27%, affecté principalement par le recul des valeurs pétrolières (Chevron a cédé 1,7% et ExxonMobil est à -1,62%), parapétrolières (-3% en moyenne) et les produits de base.
Mais c’est surtout le secteur de la distribution (-3%) qui enregistre sa plus forte chute depuis deux mois. Best Buy (-7,3%) a publié des profits trimestriels honorables — résultat net de 153 millions de dollars, soit 42 cents par titre contre 32 cents anticipé. Cependant, certaines composantes démontrent que les futurs résultats pourraient être fragilisés par un tassement de la consommation des ménages US suite à une raréfaction du crédit.
Best Buy a entraîné dans son sillage JC Penney (-6,3%), Macy’s (-5,8%) ou Home Depot (-2,7%). Les grandes banques américaines les plus exposées aux défauts sur les cartes de crédit ont également perdu beaucoup de terrain ces dernières 48 heures, les plus attaquées ce mardi furent les trois leaders du marché, Bank of America, Citigroup et AMEX (-4% en moyenne).
** Mais au-delà des scores négatifs — qui ne constituent pas une véritable surprise après des gains d’une ampleur inégalée sur une période inférieure à trois mois — il se pourrait que l’état d’esprit général soit en train de changer. Confrontés à une succession d’indicateurs économiques contradictoires, les investisseurs ne prenaient systématiquement en compte que les plus favorables, en occultant les autres.
Et comme une illustration de ce qui pourrait constituer un renversement psychologique majeur, les gérants les plus influents ont rapidement fait l’impasse sur le rebond des mises en chantier de logements neufs (+17,2%). Ils ont préféré s’inquiéter d’une nouvelle chute de la production industrielle aux Etats-Unis en mai (-1,1%).
La tendance à une contraction de l’activité est confirmée par un taux d’utilisation des capacités industrielles en repli à 68,3% contre 69% en avril. Rappelons qu’en dessous de 75%, la machine économique commence à tourner au ralenti, et en deçà de 70%, la récession prend une tournure sévère.
Wall Street semble par ailleurs juger que la hausse de 17,2% des mises en chantier de logements neufs au mois de mai (un sursaut d’une ampleur presque miraculeuse), c’est trop beau pour être vrai… Le chiffre brut est en effet biaisé par une envolée historique (supérieure à 60%) des logements collectifs.
Les familles américaines — par tradition très individualistes — privilégient d’ordinaire l’habitat individuel. Cependant, la crise immobilière (il devient difficile de revendre sa résidence principale en réalisant une plus-value) et la contraction de l’offre de crédit ont bouleversé la donne. Adieu le barbecue au milieu du jardin… mais adieu également les notes de fioul ou d’électricité astronomiques, les impôts fonciers qui grimpent inexorablement pour compenser l’effondrement des recettes fiscales procurées par les entreprises.
Enfin, l’embellie du mois de mai doit être relativisée : les mises en chantier sont en recul de 45,2% sur les 12 derniers mois et de 77% depuis l’automne 2006.
Les chiffres concernant les prix à la production (+0,2%) outre-Atlantique portaient la marque des pressions déflationnistes qui continuent de s’exercer malgré la hausse des matières premières.
Le consensus prévoyait une inflation de +0,3% à +0,4% alors que le prix de l’essence a bondi de 13%. Les automobilistes américains, qui font la bagatelle de 16 milliards de pleins par an, vont recommencer à surveiller avec anxiété les prix à la pompe…
** Le pétrole a poursuivi sa consolidation et se rapprochait des 70 $ en clôture sur le NYMEX ; le dollar n’en que faiblement profité et s’échangeait vers 1,3840/euro en fin de soirée.
Contrairement à ce que nous redoutions, le billet vert n’a que très peu réagi au communiqué final des dirigeants des quatre pays composant l’acronyme BRIC réunis à Ekaterinbourg depuis ce week-end.
Les présidents russe Dimitri Medvedev et brésilien Lula da Silva, le Premier secrétaire chinois Hu Jintao et le Premier ministre indien Manmohan Singh ont réclamé sans surprise une plus grande diversification du système monétaire international avec l’intégration du rouble et du yuan comme monnaies de réserve [NDLR : Notre correspondant américain a son avis sur la question lui aussi, ci-dessous…].
Le but avoué est de marginaliser, voire d’imposer à terme un substitut au dollar dans le cadre des échanges commerciaux… mais la Chine et le Brésil ont commencé à évoquer des échanges bilatéraux excluant tout recours au dollar.
Les pays producteurs de pétrole de la péninsule arabique s’intéresseraient quant à eux à la création d’une monnaie unique sur le modèle européen. Cet exemple pourrait être imité par d’autres pays exportateurs de matières premières et produits de base en Afrique.
** Une révolution monétaire est peut-être en marche… mais ce sera un processus de longue haleine alors qu’une révolution boursière pourrait s’enclencher dès ce mercredi avec le début du remboursement anticipé des sommes empruntées au TARP par les 19 plus grandes banques du pays.
C’est autant d’argent en moins à prêter aux particuliers et aux entreprises… et c’est surtout moins de liquidités dans le système pour pérenniser la hausse — artificielle, selon un faisceau d’éléments techniques concordants — de Wall Street et des places européennes.
Philippe Béchade,
Paris