** Qu’il est réconfortant de découvrir à quel point nos sherpas de la finance peuvent se montrer lucides dès qu’il devient absolument impossible de nier les évidences !
Certains ministres des finances, ou fonction assimilée, ont bien tenté un dernier petit mensonge pour la route — « une croissance à 2% en 2008, j’y crois encore » — ou se sont fendus d’une leçon de logique à deux dollars. Mais Henry Paulson n’a convaincu personne en déclarant que « tant qu’une économie progresse — même faiblement — il n’y a pas récession ».
A ce propos, nous commençons à trouver franchement ridicule cette querelle de jésuites au sujet de la durée minimum d’un épisode de croissance négative afin de déterminer s’il mérite ou non la terminologie de récession. Quand le réservoir d’un véhicule est à sec, le moteur s’arrête et cela s’appelle une panne sèche. Ensuite, la question « pour combien de temps » peut effectivement se poser. Et la réponse dépend alors de la fréquentation de la route sur laquelle vous circuliez ou de la proximité de la prochaine station service.
Le timing du redémarrage apparaît d’emblée difficile à cerner, compte tenu du diagnostic économique peu rassurant du G7 ce week-end à Tokyo. Les marchés entament leur traversée du désert ; nous n’en serions qu’aux prémices d’un ralentissement, le moteur commence tout juste à toussoter… et personne ne dispose plus du moindre jerrycan de carburant pour tenter de rejoindre un poste de ravitaillement.
Pas question de dépêcher dans l’urgence une dépanneuse. Les Européens sont incapables de s’entendre sur le fait de la faire rouler au fioul, au GPL ou bien au bioéthanol… et même de choisir le bon côté de la chaussée lorsque les Britanniques sont invités à donner leur avis.
Cela risque de se compliquer encore à l’échelle mondiale avec les Japonais et bientôt les Indiens. Chacun admet aujourd’hui que le G7 a vocation à se transformer en G10 puisque la Russie devrait être bientôt rejointe comme observateur par la Chine et l’Inde.
** En ce qui concerne la BCE, les hôtes de Bercy et de Matignon feignent de se réjouir par avance du prochain assouplissement monétaire qui se dessine en filigrane du dernier communiqué lu par Jean-Claude Trichet depuis Tokyo. Notre banque centrale croit en effet discerner quelques incertitudes concernant la croissance… mais n’envisage pas un seul instant qu’elle puisse tomber à zéro.
Afin de dissiper toute équivoque, J.C. Trichet dément formellement avoir envisagé l’examen d’une possible baisse du taux « Repo » de la BCE. La priorité demeure l’ancrage des anticipations inflationnistes.
Toujours la même rengaine qui nous rappelle un peu l’histoire du fou qui jette des grains de raisins secs par la fenêtre de l’ambulance sur l’autoroute du nord. « C’est pour prévenir les attaques de crocodiles » se justifie-t-il.
« Mais il n’y en aucun dans la région » lui rétorque l’infirmier-psychiatre. Et le fou de lui répondre, triomphal : « Vous voyez bien que ça marche, ce serait criminel d’arrêter ! »
** Sur le front boursier, les indices n’arrêtent pas de baisser. Le CAC 40 aligne une cinquième séance de repli sur une série de six. Il a démontré une nouvelle fois toute sa vulnérabilité en effaçant en quelques dizaines de minute la totalité du terrain reconquis en l’espace de six heures de cotations — depuis le plancher inscrit vers 4 650 points peu après l’ouverture.
Le CAC 40 tutoyait son plancher de clôture du 23 janvier dernier — à une dizaine de points près — à moins de 90 minutes de la clôture. Parti de 4 645 points (-1,4%) vers 16h05, l’indice parvenait à réduire ses pertes de moitié mais pas à se repositionner au-dessus des 4 700 points.
La pression baissière semble inexorable. Cependant les volumes d’échanges — à peine supérieurs à 5,5 milliards d’euros — ne semblent pas traduire de nouvelle offensive de grande envergure de la part des vendeurs.
Les acheteurs, en revanche, semblent avoir démissionné depuis une bonne semaine. Tout les incitait à rester sur la défensive ce lundi — y compris le comportement insaisissable de Wall Street.
Attendu en hausse en pré-ouverture, le Dow Jones affichait jusqu’à 100 points de baisse au bout d’une heure de cotations. Lundi soir, l’assureur AIG perdait quant à lui plus de 11% et se retrouvait à son plus bas niveau observé depuis octobre… 1998.
L’affaire AIG met en lumière l’exposition de nombreux intermédiaires financiers à de lourdes pertes sur les CDS (credit default swaps). Ils ont fait l’objet d’une spéculation effrénée lorsque l’appétit pour le risque était maximal — de 2004 à 2006 — en pleine euphorie immobilière.
Mais dès que les premiers défauts de remboursement de prêts se matérialisent, les vendeurs de prime — dont nombre de monoliners ou réassureurs crédit — font face à des pertes potentiellement colossales. Effet de levier oblige ! Et l’encours des CDS avoisine 50 000 milliards de dollars, c’est-à-dire 10 fois les lignes de crédit effectivement couvertes — et deux fois et demie l’encours des CDO et autres ABS.
En d’autres termes, une sorte de marché parallèle — décorrélé et même détourné de son objet initial — est rattrapé par l’effondrement des dérivés de créances immobilières.
** Mais nous aurons tout le loisir d’y revenir ; les opérateurs ont des préoccupations plus immédiates — en particulier la menace d’une forte chute des indices chinois à la reprise des cotations mercredi matin, après une semaine de fermeture pour cause de célébration de la nouvelle année lunaire.
Hong Kong — qui restait ouvert lundi — a reperdu 3,65% et affiche déjà -19% depuis le 1er janvier.
Les investisseurs ont encore en mémoire l’impact d’un effondrement de la bourse de Shanghai un certain 26 février 2007. Il avait contaminé l’ensemble des places occidentales, et avait coïncidé avec la crise des subprime — aurons-nous droit à celle des CDS en 2008 ?
Philippe Béchade,
Paris