** Paris n’est pas parvenu à préserver ses planchers de l’année 2008 : le diagnostic des opérateurs, dont les yeux sont rivés sur le CAC 40, est sans appel.
Et pourtant, à y regarder de plus près, le SBF 120 nous permet encore de croire à la préservation des supports long terme avec une clôture à 2 074 points le 21 janvier contre 2 070 points le 21 novembre dernier.
Il convient de souligner que l’Eurotop 100 et l’Euro Stoxx 50 ont également enfoncé en clôture (et non pas en séance) leurs planchers de 2008, à 0,2% près. C’est "de l’épaisseur du trait" pour reprendre la terminologie chartiste : les indices ont été plombés par une rechute de 3% à 3,5% des indices américains vers 17h30.
Plus une seule valeur ne figurait en territoire positif au sein du Dow Jones avec un trio de dogs (grands perdants du jour) composé de Microsoft (-10%), Bank of America (-13%) et Citigroup (-1,5%). Le Nasdaq, quant à lui, flirtait avec les -4% dans le sillage d’eBay (-12%).
Cette débâcle d’une ampleur inattendue tombait au plus mal pour les places européennes. Elles se sont trouvées privées du moindre soutien technique pour éviter justement de clôturer au plus bas du jour, de l’année 2009 et même au plus bas depuis la fin avril 2003.
Mais, ironie du sort (ou scénario judicieusement calculé ?), le Dow Jones n’a attendu que quelques minutes supplémentaires pour réagir une nouvelle fois à la hausse — au-delà des 8 100 points — après un test éphémère des 7 950 points au bout de 130 minutes de cotations.
** L’aspect le plus inquiétant de cette séance est le renforcement de la lourdeur au fil des heures et le peu de résistance opposée par les acheteurs à proximité de supports qui apparaissent pourtant décisifs à court comme à long terme.
Il n’y a pas eu de contre-offensive détectable à Paris au cours de la dernière demi-heure. Le CAC 40 a continué de décliner au sein d’un canal descendant et a abandonné au final 1,2% à 2 869 points après avoir gagné près de 2% en début de matinée. La préservation des 2 881 points aurait pu être obtenue au moment du fixing de clôture moyennant quelques rachats à bon compte mais les 10% perdus par Microsoft ont fait très mauvaise impression.
Le très emblématique groupe crée par Bill Gates et Paul Allen annonce la première restructuration de son histoire ainsi que l’élimination de 5% de ses effectifs, soit 5 000 salariés sur deux ans. Intel agit de même.
Wall Street se dit que si Microsoft ou Intel taillent dans leurs effectifs, d’autres acteurs du monde de l’informatique, aux reins moins solides, pourraient se retrouver contraints de mettre en oeuvre des plans de licenciement d’une tout autre ampleur (-10%, -15%, -20% ou plus ?).
L’autre aspect inquiétant des trimestriels du géant de Seattle, c’est une chute du chiffre d’affaires beaucoup plus sévère qu’anticipée (-1,2 milliard de dollars par rapport aux prévisions) au quatrième trimestre. A cela il faut ajouter l’absence d’objectifs pour l’année 2009 : une telle omission de la part des stratèges du groupe n’était jamais advenue en 25 ans.
** Avec la multiplication des plans sociaux, la situation se détériore inexorablement sur le front de l’emploi outre-Atlantique. Les inscriptions hebdomadaires au chômage connaissent une forte hausse (+62 000 à 589 000 pour la semaine close le 17 janvier) avec un chiffre largement supérieur au consensus des économistes qui s’était établi à 575 000.
Le nombre d’Américains indemnisés a progressé de 97 000 à 4,61 millions et la moyenne sur quatre semaines a augmenté de 58 750 à 4,56 millions.
Les opérateurs s’inquiètent également à juste titre de la chute libre des mises en chantier aux Etats-Unis au mois de décembre (-15,5% à 550 000 contre 610 000 anticipé le mois dernier) et des permis de construire (-10,7% en décembre, à 549 000 contre un consensus de 600 000. Ces deux chiffres sont les pires depuis que l’enquête existe (cela fait 50 ans).
Le scénario de récession est plus que jamais d’actualité et le quatrième trimestre 2008 a été désastreux, tous les analystes le savent. Barack Obama pointe du doigt la gestion de leur devise par les Chinois et l’accusation de manipulation du yuan ressurgit.
Les marchés financiers n’apprécient guère les déclarations à connotation protectionniste, une tentation qui avait donné de bien mauvais résultats de 1929 à 1933.
Wall Street s’accrochera peut-être à un tout petit motif de satisfaction : Timothy Geithner accède — après quelques jours de suspense — au poste de secrétaire au Trésor.
L’impétrant a déclaré jeudi matin devant les parlementaires américains qu’il envisageait — avec l’appui du président Obama — de réformer en profondeur le plan de relance américain afin d’assurer une plus grande disponibilité du crédit.
En France, c’est là que le bât blesse ! Les banques ne prêtent plus et retardent autant qu’elles le peuvent la répercussion des récentes baisses de taux sur leur offre de crédit.
Résultat, les transactions immobilières se sont effondrées de 40% en 2008, les mises en chantier devraient chuter de 30% en 2009, la consommation recule (-0,9% en décembre) et la hausse n’a été que de 1,4% sur l’ensemble de l’année (après +4,4% en 2007).
** Si le secteur du bâtiment entame sa (longue) traversée du désert, c’est l’enlisement complet pour les valeurs automobiles. Renault, Peugeot et Michelin abandonnent respectivement 7,3%, 7,2% et 4,6%. Le titre Peugeot fait l’objet de rumeurs — non commentées mais non démenties — d’alliance avec Fiat. Le groupe italien se serait recapitalisé à hauteur de deux milliards d’euros d’après le site internet du quotidien La Repubblica.
Les constructeurs américains multiplient également les mesures de chômage partiel. Detroit vient de clore le salon de l’automobile le plus morose depuis le premier choc pétrolier en 1974. Les sociétés de transport routier mettent la clé sous la porte par centaines et les commandes de camions se sont effondrées de 80% en six mois — des dizaines de milliers de remorques demeurent désespérément vides à proximité des grands ports commerciaux du pays.
L’éclatement de la bulle immobilière, c’est l’épilogue d’une folie passagère, d’une courte parenthèse spéculative… mais l’effondrement de l’industrie automobile, c’est presque l’agonie d’un cycle de 100 d’histoire des Etats-Unis ! Imaginez le Bordelais — à l’échelle d’un continent — sans la vigne, la Foire du Trône sans manèges, Joe le plombier (si cher au coeur des républicains) sans son chalumeau… L’Amérique craint de voir la page du moteur à explosion se tourner sans elle et redoute de se retrouver veuve du fordisme sans même pouvoir toucher sa part d’héritage.
Voilà l’une des causes récurrentes de la déprime de Wall Street mais également la "raison d’y croire" qu’avancent de nombreux économistes. Contrairement à l’Europe, les Etats-Unis veulent d’abord de la croissance avant une stabilité de leur devise ; ils n’ont pas à mettre d’accord 25 états pour décider d’un plan de soutien (a minima) aux industries qu’ils estiment stratégiques (de l’armement aux télécoms, de l’aéronautique à l’agrobusiness).
De plus, le patron de la Fed ainsi que tous les secrétaires d’Etat au Trésor depuis l’ère Reagan se soucient de la bonne santé du soldat Wall Street. Le problème est que ce dernier vient d’être victime d’une grosse intoxication aux subprime et que les différents remèdes sous forme liquide qui ont été administrés provoquent des effets secondaires encore plus dévastateurs que la crise initiale.
** Wall Street nous fait une nouvelle attaque depuis le 7 janvier, le pronostic vital reste incertain et les paris vont bon train. Les bulls et les bears (évoqués dans notre Chronique d’hier) ont cru remporter tour à tour leur pari — et à plusieurs reprises — tout au long de la séance de jeudi. Cependant, au final, il était bien difficile de désigner un vainqueur.
Cela peut paraître paradoxal alors que le Dow Jones termine en repli de 1,38% à 8 122 points tandis que le S&P lâche 1,5% à 827,5 points, mais les indices américains perdaient d’entrée de jeu entre 1,8% et 2,5%. Le Nasdaq a même perdu jusqu’à 4,2% au bout de deux petites heures de cotations ; il est revenu tester le plancher 2008 des 1 440 points avant d’en terminer à 1 465 points.
Les vendeurs ont réussi à faire clôturer Wall Street dans le rouge mais ils ont manqué leurs deux principaux objectifs : effacer les gains de la veille (ils ont été à deux doigts de remporter un beau succès sur le S&P et le Nasdaq… peu avant le déjeuner, ils pouvaient encore y croire) et précipiter pour de bon le Dow Jones sous le seuil psychologique et technique des 8 000 points.
Non seulement l’indice historique en termine au-dessus des 8 100 points mais il n’a pas non plus enfoncé en séance ses plus bas de mardi et mercredi derniers (respectivement à 7 940 points et 7 936 points).
Le bilan des trois dernières séances ressort donc négatif de 1,75% pour le Dow Jones. Cet écart n’a toutefois rien d’insurmontable et la semaine ne s’achèvera pas forcément dans le rouge comme sur les places européennes qui cumulent 3,5% de pertes en moyenne.
Les arbitragistes qui ont acheté Washington "nouvelle formule" et vendu Bruxelles "non remastérisé" s’en tirent finalement assez bien, malgré un épisode douloureux mardi.
Philippe Béchade,
Paris