** Le thème de la rotation sectorielle au profit des actions — mais au détriment des placements défensifs tels que les matières premières et les Bons du Trésor — est revenu au goût du jour depuis que les indices boursiers ont repris 10% tandis que l’or et le pétrole ont chuté de façon symétrique depuis le 20 mars dernier.
Les chroniques de Dan Denning et Bill Bonner d’hier traitaient abondamment de ce phénomène, mais la question de ses prolongements d’ici la fin du premier semestre reste largement ouverte.
Nous allons tenter d’explorer quelques pistes, sachant qu’aucun des scénarios envisagés au cours des prochains chapitres n’est gravé dans le marbre.
Alors que le consensus de « neutre/baissier » prédominait largement au Salon de l’Analyse Technique, nous avons brossé en creux le portrait d’un CAC 40 ou d’un S&P 500 qui présentaient les caractéristiques d’indices en phase de retournement haussier. En effet, trop de positions de couverture sur les dérivés, avec un ratio call/put très déséquilibré, traduisent une aversion au risque excessive. L’instabilité et la volatilité des cours traduisent un doute, voire une défiance, au sujet de la poursuite du mouvement correctif. Enfin, cette phase de retournement haussier est suggérée par la remontée du dollar face au yen en anticipation de l’entame au Japon d’une nouvelle année fiscale propice aux réallocations d’actifs en faveur de marchés survendus, y compris la bourse de Tokyo.
Il nous semble cependant très prématuré d’assimiler l’embellie qui se dessine depuis le début de la semaine — caractérisée par trois séances de hausse consécutives sans correction intermédiaire — à une vague de fond appelée à se renforcer au fil des semaines. En effet, miser sur le franchissement des résistances apparues durant la période du 25 janvier au 27 février suppose une foi inébranlable dans la capacité des banques centrales à assumer le rôle de prêteur en dernier ressort alors que le montant des pertes potentielles sur les subprime excède à lui seul les 930 milliards de dollars de bons du Trésor détenus par la Federal Reserve.
** Il est hors de question que la Fed prenne en pension les créances émises par les banques en difficulté dans des proportions qui dépasseraient la moitié de son bilan. C’est alors sa notation « triple A » qui serait remise en question. Le fait que la Fed, comme elle s’y est engagée, garantisse de surcroît 200 milliards de dollars d’émissions de Freddie Mac et Fannie Mae constitue un précédent historique de nature à faire réfléchir plus d’un détenteur de dollars. En effet, le contribuable américain, appelé en garantie, pourra-t-il faire face à un tel fardeau de dettes en déshérence dans un contexte de poussée du chômage et de chute des recettes fiscales ?
Jusqu’où le législateur américain admettra-t-il qu’après des années de privatisations des gains sur les dérivés de crédit par une micro-minorité de brasseurs d’argent qui se sont gavés de méga-bonus, l’Etat fédéral nationalise les pertes au nom du too big to fail ?
Après l’effondrement du château de cartes, Henry Paulson peut, en effet, se livrer à de fascinants effets de manche au sujet du manque de contrôle des activités de titrisation des créances immobilières ou des encours de cartes de crédit. Le Congrès devrait confier à la Fed les moyens d’y remédier mais quel organisme régulateur américain, même investi de la légitimité populaire et agissant sur ordre de la Maison-Blanche, a les moyens de faire l’inventaire du hors bilan détenu par des SIV et des hedge funds embusqués dans des paradis fiscaux ?
Pour reprendre l’image du château de cartes, Henry Paulson peut effectivement déplorer a posteriori que personne présent dans la pièce — et lui le premier, en tant qu’ancien PDG de la plus influente banque d’affaire de Wall Street — n’ait songé à fermer les portes et les fenêtres pour éviter des courants d’air dévastateurs. Même en imaginant que cela se soit passé ainsi, nous insistons sur le fait que ni la Fed, ni la SEC ne contrôlent le débit de la climatisation dont les leviers de commande sont hors de sa portée juridictionnelle !
Pendant des années, la Fed d’Alan Greenspan et de Ben Bernanke a fait l’apologie de marchés dérégulés et globalisés et a joint le geste à la parole en encourageant toute initiative susceptible d’accroître la liquidité du système financier. La Fed s’est donc lié les mains tout en offrant aux banques les plus imaginatives et les moins à cheval sur la déontologie les moyens de démultiplier le marché du crédit à l’infini, jurant qu’elle interviendrait pour leur sauver la mise — y compris par des lâchers massifs de billets par hélicoptère — au moindre soupçon de credit crunch. Voilà, nous y sommes… et l’histoire n’en est encore qu’à son premier chapitre intitulé « La crise des subprime« .
** A notre avis, la remontée des marchés va durer le temps d’aller chercher un café avant d’attaquer le second chapitre, d’une rare intensité, et intitulé « La débâcle des CDS ». Il ne sera d’ailleurs qu’une simple mise en bouche avant le troisième chapitre, le plus redouté de tous, précédé d’un titre très prometteur « L’effondrement du rêve américain ».
Ce troisième chapitre décrit comment le consommateur américain, sa maison saisie par ses créanciers, assommé par la montée du chômage et remisant dans une vieille boîte à chaussure ses cartes Gold ou Carbon affichant no credit, se rend en vélo, depuis son mobil-home couvert de rouille et de mousse, perdu en lointaine banlieue jusqu’en centre ville. Il pourra y troquer quelques légumes de son jardinet dans des marchés sauvages aménagés dans le hall de grandes banques d’affaires ayant fermé par milliers leurs guichets régionaux… le tout sous le regard goguenard de reporters chinois venus constater sur place la déchéance de l’ex-empire américain, au lendemain de la razzia de médailles décrochées par leurs athlètes, gonflés d’orgueil national, aux jeux de Pékin.
Nous plaisantons bien sûr : ce dernier chapitre n’a comme but que de vous distraire des sombres perspectives actuelles en les extrapolant jusqu’à l’absurde pour tenter de vous faire sourire. Nous n’excluons cependant pas la matérialisation d’un scénario apparenté à la crise argentine de 2002/2003 caractérisée par une profonde récession et l’effondrement du pouvoir d’achat.
** Les places occidentales étaient en effet très loin de broyer du noir ce mercredi. Le CAC 40 clôturait en hausse de 0,94%, alignant ainsi une troisième séance de hausse consécutive pour se rapprocher à 1% près de la zone de résistance court/moyen terme des 4 975 points, testée sans succès à deux reprises fin janvier puis fin février.
Les volumes ont été aussi étoffés que la veille, avec 6,5 milliards d’euros échangés sur les 40 vedettes du CAC — ceci dans une ambiance nettement moins volatile. Cela peut signifier que les acheteurs s’enhardissent alors que la journée de mardi dernier avait été dominée par des rachats en catastrophe de positions short, les investissements de début de trimestre étant demeurés timides de l’avis même de nombreux institutionnels.
Les places européennes n’ont pas été soutenues comme la veille par la flambée des indices américains. Wall Street a mis un certain temps — deux heures environ — à digérer le diagnostic de Ben Bernanke relatif à un net ralentissement de l’activité économique, voire une croissance légèrement négative au premier semestre 2008. Le patron de la Fed a pourtant usé du terme de « contraction », moins traumatisant que le mot « récession ».
A mi-séance aux Etats-Unis, les opérateurs ne voulaient cependant retenir que la réaffirmation d’une poursuite de la politique d’assouplissement du loyer de l’argent et le pronostic d’une embellie au second semestre, sur fond d’apaisement des tensions inflationnistes.
** Les cambistes analysent à leur manière les propos du patron de la Fed. Ils prennent leurs distances avec le yen — qui rechute sous les 102,75 $ — et privilégient l’euro, lequel remonte au-delà des 1,5635 $ et des 160,5 yens.
C’est le signe d’une restauration — au moins partielle — du mécanisme du carry trade yen/dollar. Il traduit l’anticipation d’une croissance plus soutenue aux Etats-Unis qu’en Europe et est la clé de la hausse des places boursières aussi longtemps que le yen poursuivra sa décrue face à l’euro puis au billet vert.
Les places asiatiques ont salué cette perspective avec des gains s’étageant entre 3,2% à Singapour et à Hong-Kong puis 4,2% à Tokyo.
L’optimisme dont fait preuve Wall Street depuis vendredi dernier a été ravivé hier vers 14h15 par un bon chiffre concernant l’emploi : selon une enquête mensuelle du cabinet privé ADP Employer Services, il apparaît que le secteur privé américain aurait créé 8 000 postes salariés au mois de mars, alors que le marché tablait au contraire sur 45 000 destructions.
Cette annonce est une excellente nouvelle à 48 heures de la publication des chiffres officiels de l’emploi aux Etats-Unis… mais une statistique jugée favorable ne fait pas une tendance, et la magie du verbe du patron de la Fed ne saurait à elle seule renverser un cycle économique. Ben Bernanke peut juste donner un peu plus de temps pour s’enfuir à ceux qui sont en train de vider en toute hâte — depuis août puis novembre 2007 — les coffres de l’Empire américain.
Philippe Béchade,
Paris