** Dans l’état d’esprit où évoluent les marchés depuis le 2 juin dernier, n’importe quel concept économique teinté de pessimisme… n’importe quelle rumeur touchant une valeur financière… n’importe quelle évocation d’une hausse du loyer de l’argent… suffit à plonger les marchés dans des abîmes de neurasthénie. Alors imaginez les dégâts causés par un baril de pétrole fusant par delà les 142 $ puis les 143 $ lundi matin, pour inscrire un nouveau pic historique vers 143,7 $ (le Brent de Mer du Nord affichant jusqu’à 143,9 $ à Londres vers midi).
Un souffle glacé a parcouru les salles de marché en première partie de séance, gelant toute initiative à l’achat. Le CAC 40 reprenait sa glissade vers les 4 350 points avec la même détermination que les manchots empereur entament à chaque printemps leur migration vers les solitudes glacées de l’Antarctique. Le thermomètre ne tarda pas à afficher -43 points à Paris… il semblait alors bien parti pour atteindre les -60, une température bien de saison au pôle sud en cette période de l’année.
Toutefois, le premier semestre 2008 ne se termine pas sur une perte supérieure à 22,5% et le mois de juin ne ressort pas aussi négatif que janvier (-13,1%)… mais il s’en est fallu de peu : le CAC 40 tutoyait, peu avant l’heure du déjeuner, le plancher annuel des 4 350 points, inscrit vendredi dernier en milieu de journée.
Le marché parisien a heureusement bénéficié d’un petit courant acheteur en cours d’après-midi, dans le sillage de Wall Street qui s’orientait rapidement à la hausse après quelques minutes passées dans le rouge à la reprise des cotations.
** A mi-séance, les indices US affichaient +0,8% en moyenne : cela explique une performance du marché parisien assez comparable (+0,85%), dans des volumes relativement étoffés pour un lundi (5,7 milliards d’euros). Mais c’était le dernier jour du mois (-11,6%) et du semestre : -21%… une perte équivalente au score de l’année 2001, la troisième plus mauvaise performance sur six mois de l’histoire du CAC 40.
L’indice phare avait été soutenu dès les premiers échanges par quelques ramassages appuyés sur Carrefour et Peugeot (+3%) puis France Télécom (+7,2%). L’indice basculait soudain dans le rouge au bout d’une heure de cotations, alors que le baril de pétrole bondissait jusque vers 144 $ avant de consolider lundi soir dans la zone des 141 $ — ce qui demeure tout de même un niveau largement supérieur à l’entame de la semaine passée.
** La flambée de l’or noir renforce la dérive des prix à la hausse sur le Vieux Continent : Eurostat a dévoilé lundi matin un taux de progression annuel de 4,0% en juin 2008. Nous l’anticipions pour le mois de juillet… mais cela fait bien longtemps que l’inflation réelle s’avère deux fois plus importante que l’objectif de 2% poursuivi par la BCE.
L’Office statistique des communautés européennes avait mesuré un taux de +3,7% au mois de mai. Les experts anticipaient quant à eux une hausse de 0,2% au minimum en Zone euro — en retenant la meilleure hypothèse possible, c’est-à-dire celle qui découle des estimations préliminaires des observatoires économiques régionaux allemands.
Une telle accélération de +0,3% ne pouvait que renforcer la détermination de la BCE à resserrer son taux directeur de 25 points lors de sa réunion de politique monétaire de jeudi. Il va falloir à J.C. Trichet beaucoup d’adresse pour convaincre les marchés que le geste de jeudi sera purement technique et ponctuel… C’est un peu à l’image des physiciens qui calculent le temps universel et décident d’ajouter une milliseconde à une date prédéterminée, pour tenir compte du ralentissement progressif de la rotation de la sphère terrestre sous l’influence des vents solaires, de la lune et des marées.
** Non vraiment, démentir le scénario d’un cycle de hausse de taux pouvant s’achever vers 5% ne sera pas une tâche aisée. Dans ces conditions, l’annonce d’un léger rebond de l’indice PMI de Chicago à 49,6 en juin, contre 49,1 en mai, n’a pas suffi à restaurer un courant acheteur sur le dollar. Le billet vert végétait autour de 1,5750/euro et 106 yens après avoir inscrit un plancher à 1,5835/euro en matinée.
Mais en dehors d’un relèvement du "repo", qui ne s’impose pas, il fallait réagir avant que le pétrole ne pulvérise ses records en dollars constants et déborde les 85 $ le baril… avant que les marchés de dérivés de crédit ne deviennent totalement illiquides (en février puis en août 2007)… avant que l’inflation ne dépasse les 4% en Europe et les 8% en Chine.
Il n’est en revanche jamais trop tard pour écrire un article ou se fendre d’une déclaration critiquant l’attitude de J.C. Trichet (c’est devenu à la mode ce week-end en Allemagne, le ministre du Budget recevant aussitôt le soutien de Christine Lagarde) ou l’inconséquence –voire l’incompétence — de la Fed, dont la politique monétaire serait devenue illisible !
Mais qui insistera aussi lourdement que nous le faisons sur l’incompatibilité des stratégies de la FED et de la BCE ?… Et surtout, qui soulignera le malin plaisir que prend cette dernière à torpiller toute initiative de Ben Bernanke visant à soutenir le dollar ? J.C. Trichet fait ainsi d’une pierre deux coups. Il décrédibilise son homologue américain et provoque l’accélération des arbitrages au détriment du billet vert, ce qui fait flamber le pétrole et booste l’inflation. Cela justifie a posteriori son discours intransigeant et la mise en oeuvre d’un resserrement du loyer de l’argent d’ici jeudi midi.
Cela n’aboutit (et n’aboutira) en rien à la "stabilité monétaire" : elle est toujours relative… et si c’est par rapport aux matières premières aujourd’hui et antérieurement par rapport au prix de l’immobilier, c’est un échec complet sur toute la ligne ! Mais la BCE sape avec constance, détermination et une rare efficacité l’assise internationale du dollar : si ce n’est pas le but recherché, c’est tout du moins un effet induit parfaitement incontestable.
Philippe Béchade,
Paris