L’application de sanctions soulève de plus en plus de questions sur le respect des droits fondamentaux en Occident.
Au début du mois, le président américain Trump a menacé la Russie de « sanctions bancaires à grande échelle, de sanctions et de droits de douane », à maintenir jusqu’à la conclusion d’un cessez-le-feu et d’un accord de paix final. Même s’il a omis les sanctions énergétiques, cette déclaration constitue un changement de ton remarquable de la part du perturbateur politique en chef, longtemps accusé de faire le jeu du président russe Vladimir Poutine.
L’approche de Donald Trump concernant la guerre en Ukraine s’apparente à une stratégie de « gentil flic », visant à convaincre Vladimir Poutine de mettre fin aux hostilités en échange de la possibilité de conserver les territoires conquis par la Russie. L’Ukraine serait ainsi exclue de l’OTAN.
La question cruciale de savoir si l’Occident fournirait un soutien en matière de défense reste en suspens, mais Emmanuel Macron semble au moins convaincu que Trump apporterait finalement un soutien indirect à toute force européenne de maintien de la paix. A tout le moins, l’accord minier proposé, qui permet aux Etats-Unis de tirer parti des richesses naturelles de l’Ukraine, confère à l’Amérique un intérêt économique direct dans le pays, ce qui augmente le risque pour Poutine en cas de nouvelle attaque. Cela reviendrait à faire de la partie non conquise de l’Ukraine une composante de l’Occident.
Cependant, il n’est pas du tout certain que Poutine soit d’accord. D’une part, le Kremlin vient de nier qu’il accepterait des forces européennes de maintien de la paix sur le territoire ukrainien, alors que Trump avait affirmé que Poutine « n’aurait aucun problème » avec cela. Peut-être que des ressortissants de pays tiers pourraient remplir ce rôle, mais, au final, une « Ukraine neutre » semble être une fiction, après l’agression de Poutine.
Si Poutine refuse l’accord, Trump pourrait bien adopter l’approche du « méchant flic », déjà suggérée par sa menace de sanctions. Le conseiller américain à la sécurité nationale, Mike Waltz, a proposé de prévenir la Russie que les Etats-Unis pourraient augmenter considérablement leur aide à l’Ukraine si Poutine ne coopérait pas. Waltz a également soutenu l’idée d’exploiter les sanctions et les politiques énergétiques pour affaiblir la machine de guerre russe et combler les lacunes laissées par les exportations énergétiques de la Russie.
Échec des sanctions
Les sanctions constituent avant tout un outil politique discutable. A ce stade, il est évident que l’Ukraine a été aidée par des livraisons d’armes. Celles-ci ont toutefois toujours été limitées pour éviter toute escalade – un risque que Trump et ses partisans feraient bien de garder à l’esprit.
En ce qui concerne les sanctions elles-mêmes, le constat est sans appel : elles ont lamentablement échoué à contenir la machine de guerre russe. Leurs partisans affirment qu’il faudrait simplement les appliquer de manière plus habile. Pourtant, selon Elina Ribakova, économiste à l’institut Peterson, la situation économique de la Russie n’est pas aussi catastrophique que ce que redoutaient certains à Moscou. Sur le plan militaire, la Russie s’est tout bonnement tournée davantage vers la Chine. Ribakova estime d’ailleurs que « la Russie est désormais le vassal de la Chine ».
Ce n’est pas une surprise : historiquement, les sanctions économiques atteignent rarement leur objectif. Les régimes visés trouvent généralement des moyens ingénieux de les contourner.
La Russie n’a pas fait exception. Depuis 2022, les exportations de biens en provenance de l’Union européenne vers la Russie ont fortement chuté. En parallèle, les exportations vers la Turquie, les Emirats arabes unis, et vers six Etats frontaliers de la Russie, dont le Kirghizistan, ont augmenté dans des proportions similaires. Cela n’empêche pas l’UE d’adopter de nouveaux trains de sanctions. Le 16e paquet, approuvé le mois dernier, « cible des secteurs d’importance systémique de l’économie russe, tels que l’énergie, le commerce, les transports, les infrastructures et les services financiers ». La Hongrie pourrait encore opposer son veto, mais cela a-t-il vraiment une importance si cette politique ne profite en rien à l’Ukraine ?
Droits de l’homme
Si les sanctions ne profitent pas à l’Ukraine, elles pourraient même lui nuire.
Début mars, le quotidien belge De Tijd a révélé qu’une grande partie des 258 milliards d’euros gelés en vertu des sanctions contre la Russie appartiennent en réalité à des banques occidentales, ainsi qu’à des personnes et entreprises non visées par ces sanctions. Une part importante de ces fonds est immobilisée en Belgique, où se trouve Euroclear, un acteur clé dans la conservation des titres. Et pour ceux qui souhaitent récupérer leur argent ou leurs titres, le parcours est tout sauf simple.
Parmi les personnes visées, figure la soeur du milliardaire russo-ouzbek Alisher Usmanov. Dans une interview accordée au Corriere della Sera, elle a clamé son innocence : « Je suis médecin, gynécologue, aujourd’hui retraitée depuis cinq ans. J’ai toujours exercé à Tachkent, la capitale de l’Ouzbékistan, où je suis née, où j’ai grandi, et où je vis encore avec ma famille. Il est absurde que je sois sanctionnée à cause de mon frère Alisher Usmanov : il ne m’a jamais utilisée pour dissimuler ses avoirs. » Elle précise avoir renoncé, de façon volontaire, définitive et irrévocable, à tout bénéfice lié au trust créé jadis par son frère. Ces arguments n’ont toutefois pas convaincu la Cour de justice de l’Union européenne – du moins, pour le moment.
Cependant, dans une autre affaire, en 2024, la Cour de justice a estimé que le Conseil européen n’avait pas apporté suffisamment de preuves pour démontrer que deux oligarques russes, Petr Aven et Mikhail Fridman, étaient impliqués dans des actions qui « compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ».
Un autre cas notable concerne l’annulation, par le tribunal de l’Union européenne, des sanctions imposées par l’UE à l’encontre de l’ancien pilote de F1 russe Nikita Mazepin. Le tribunal a souligné « qu’il doit exister un lien allant au-delà d’une relation familiale » pour qu’une personne puisse être sanctionnée, déclarant en substance qu’il ne pouvait être tenu pour responsable des actes de son père, Dmitri Mazepin, un oligarque proche du Kremlin, qui, lui, n’a pas réussi à faire lever les sanctions prononcées contre lui.
Il est essentiel que l’Occident, même en temps de guerre, reste fidèle à ses principes. Cela implique notamment de ne pas cibler des individus en raison de leur nationalité ou de leurs liens familiaux.
Le risque, c’est que ces principes soient oubliés – d’autant plus que même le droit à une assistance juridique est aujourd’hui restreint. En décembre, deux associations d’avocats belges ont intenté un recours contre les sanctions interdisant aux avocats de fournir des conseils juridiques à des personnes morales, entités ou organismes établis en Russie, même dans des affaires sans lien avec un contentieux.
Renoncer à nos valeurs ne sert en rien la cause de l’Ukraine.