▪ Un peu d’humour pour commencer : voici quelques citations d’économistes et de traders en réaction aux dernières déclarations de Donald Kohn, le vice-président de la Fed. Il a jugé peu probable qu’une nouvelle bulle d’actifs soit en train de se constituer sur les marchés et pense qu’avec des multiples supérieurs à 20 fois les bénéfices anticipés pour 2010, les actions restent correctement valorisées à Wall Street.
Commençons par notre aphorisme préférée : « nous savons déjà avec précision quand la Fed resserrera sa politique monétaire : la réponse est comme d’habitude… beaucoup trop tard ! ».
Une autre du même tonneau : « un membre de la Fed n’avouerait jamais publiquement qu’il observe la formation une bulle, même si on lui faisait effectuer un saut à l’élastique au-dessus du lac de lave en ébullition du Kilauea [NDLR : volcan en éruption permanente de l’archipel d’Hawaï] ».
La dernière phrase n’émane pas d’un anonyme. Nous vous laissons la déguster, ce qui vous laissera le temps de découvrir qui peut en être l’auteur. « La Fed ne peut que faire des suppositions… tout comme l’ensemble des acteurs du marché. Peut-être dispose-t-elle de certaines informations économiques avant la majorité des investisseurs mais elle n’a pas le pouvoir d’en tirer des conclusions sans appel. Son rôle se borne donc à formuler des diagnostics suffisamment vagues, voire envisager des scénarios alternatifs, pour ne pas être accusée de mettre les marchés et les responsables politiques sur de fausses pistes. »
En d’autres termes, la Fed n’en sait pas plus long sur ce qui va arriver (ou sur ce qui devrait être fait) que le premier spéculateur venu.
Avez-vous à présent deviné de qui il s’agissait ?
Eh non, il ne s’agit pas de Nouriel Roubini dénonçant l’aveuglement de la Fed et une politique monétaire inadaptée aux circonstances mais taillée sur mesure pour ses amis banquiers qui la financent depuis 1913.
Non, non, cherchez bien : qui peut bien faire l’apologie de discours fumeux et d’une attitude qui illustre cette célèbre réplique d’un des personnages des Mariés de la Tour Eiffel de Jean Cocteau « puisque ces mystères nous dépassent, feignons au moins d’en être les organisateurs ».
▪ Eh oui, vous y êtes, vous avez reconnu la patte d’Alan Greenspan. C’est bien lui qui avoue s’être trompé à peu près sur tout depuis 1987, sauf sur le constat que les banquiers non plus ne savent pas ce qu’ils font et que leur erreurs coûtent bien plus cher qu’un peu d’inflation.
Une inflation qui a été vaincue non pas par l’action déterminée de la Banque centrale américaine ou l’orthodoxie dogmatique de la BCE mais bien par la chute du Mur de Berlin et l’accès des entreprises occidentales au réservoir presque inépuisable d’une main-d’oeuvre bon marché. Une bénédiction qui n’a fait que s’étendre avec le réveil de la Chine et son accession à l’OMC en décembre 2001.
C’est tout de même la Fed qui a orchestré le transfert de son rôle de maîtrise en matière d’offre d’argent aux marchés, lesquels se sont empressés d’utiliser tous les effets de levier des dérivés de devises et de crédit — sous l’oeil admiratif d’Alan Greenspan — pour faire exploser la quantité de liquidités en circulation.
Une politique monétaire laxiste et une absence de surveillance et de régulation ont mené à la catastrophe. La Fed prétend restaurer la situation en faisant encore pire que lors de l’épisode de récession 2001/2003. Elle invite les banques à spéculer encore plus massivement sur toutes les classes d’actifs au détriment du dollar — sans demander la moindre contrepartie en matière de soutien à l’économie réelle — et ne fixe aucune limite à ce processus, au prétexte que cela pourrait avoir des conséquences désastreuses sur la croissance.
Donald Kohn l’expliquait à peine moins brutalement aux marchés ce lundi. Il ajoutait même que s’il se trompait au sujet de la survalorisation des actions et des matières premières, cela valait de toute façon la peine de laisser le carry trade donner de l’oxygène à l’économie — comme s’il ne savait pas que la spéculation ne soutient principalement que quelques brasseurs d’argent dont les membres de la Fed sont les obligés.
▪ Au sujet des bienfaits de la surliquidité entretenue par Ben Bernanke, l’influente analyste du secteur bancaire Meredith Whitney indiquait lundi soir sur CNBC qu’elle ne voyait que des signes de dégradation de la solvabilité des emprunteurs, une multiplication des sinistres et un durcissement progressif des conditions d’attribution de prêts.
Elle affirme ne pas comprendre la flambée des titres de la distribution alors que tout indique que les banques vont moins prêter aux consommateurs, lesquels se montrent par ailleurs moins dépensiers. Elle pense que la stratégie — d’un glacial réalisme — de Goldman Sachs est maintenant largement répandue parmi les firmes opérant à Wall Street. Cette stratégie consiste à vendre à découvert les banques régionales (qui font faillite par dizaines chaque mois) pour acheter quelques grosses cylindrées du S&P (qui ont bénéficié de l’argent du TARP).
Il suffirait que, sous la pression des Etats de l’Union qui payent les pots cassés, la Fed et le Trésor apportent un soutien plus franc aux banques locales — comme ils l’ont déjà fait avec des budgets no limit pour Freddie Mac et Fannie Mae — pour que la situation se retourne et que d’énormes positions short soient contraintes à des rachats en catastrophe.
Nous avons relevé à ce sujet une bien singulière déclaration dans la bouche de Tim Geithner — c’était en fin de semaine dernière si notre mémoire est bonne : « Même de grosses institutions financières doivent désormais pouvoir faire faillite, le contribuable ne peut éternellement être appelé à la rescousse. »
▪ La Bourse de Paris et les places européennes ont consolidé dans le sillage des valeurs bancaires hier. Le CAC 40 s’est replié de 0,9% dans des volumes médiocres (2,8 milliards d’euros), ce qui signifie que l’épisode correctif du jour ne va pas au-delà de simples prises de profits après un gain de 1,3% la veille — alors que la progression de l’indice atteignait 7% lundi soir depuis le début du mois de novembre.
Les chiffres parus hier aux Etats-Unis n’ont eu que peu d’impact sur le dollar qui oscille depuis 24 heures entre 1,4830 et 1,4870 euro. Le mouvement de rebond du billet vert était largement amorcé avant la publication du PPI et les chiffres de la production industrielle aux Etats-Unis.
Cette dernière n’a augmenté que de 0,1% en octobre, soit nettement moins que prévu par les analystes. Ce ralentissement intervient après une croissance de 0,6% en septembre, révisée après 0,7% en estimation initiale.
Le taux d’utilisation des capacités de production n’est remonté qu’à 70,7% contre 70,5 en septembre (déjouant un consensus supérieur à 71). Dans le secteur manufacturier, l’activité a même baissé de 0,1% et le taux d’utilisation des capacités est resté stable à 67,6%.
Aucune embellie sur le front de l’emploi n’est anticipée alors que les entreprises, qui redoutent une année 2010 difficile, continuent de mettre l’accent sur les gains de productivité.
Voilà une tactique parfaitement conforme à ce que souhaitent les marchés, toute source de marasme économique étant accueillie avec soulagement puisque seul compte à ses yeux le maintien de l’argent gratuit et surabondant par la Fed, la BCE et la Banque centrale nippone.