Le krach attendu des marchés a été encore retardé par une série record de semaines de hausse. Pourtant, les ingrédients de la baisse semblaient tous présents dès septembre. Alors, pourquoi le mouvement s’est-il inversé depuis ?
Les marchés mondiaux se dirigeaient vers la dislocation il y a deux mois, lorsque la Banque d’Angleterre a relancé le QE dans le cadre d’opérations d’urgence pour contrecarrer l’effondrement du marché obligataire et de la livre sterling.
Les marchés obligataires mondiaux s’effondraient sous la pression d’un cycle de resserrement belliciste concerté et d’une vague de désendettement.
Suivant l’exemple de la Banque d’Angleterre, la communauté mondiale des banques centrales a depuis réduit sa politique belliciste. Les responsables de la Fed ont définitivement atténué leur discours belliciste. Ils ont envoyé des signaux tout à fait clairs dans cette direction. Ils n’ont peut-être pas encore signifié un « pivot accommodant » mais on en est très proche. De toute façon, c’est suffisant, car les marchés amplifient les moindres indices.
Powell fait semblant de rester concentré sur ses références en matière de lutte contre l’inflation, mais cela ne trompe plus personne. Les discours plus équilibrés de la Fed ont suffi à apaiser les craintes que le « put » de la Fed ne soit pas à la hauteur. L’opinion dominante est que le put est toujours en vigueur mais qu’il a été déplacé entre 15 et 20%.
Catastrophe évitée
En effet, les marchés ont vu rapidement la confirmation cruciale de leur hypothèse – et de la mienne – selon laquelle l’instabilité financière amènerait la « dure » lutte contre l’inflation de la Fed à une conclusion agréablement précoce.
Vous savez que j’ai toujours cru au Canada Dry de la rigueur. Non nous n’avons pas changé d’ère, la Fed et ses satellites n’ont pas renoncé à poursuivre dans la voie des délices de la financiarisation tout simplement parce que ce n ‘est pas possible, on reste dans le « marche ou crève ».
L’épisode temporaire de mise en risk-off n’a pas produit de catastrophe, pas de grosse baleine échouée, sauf celle de la Banque d’Angleterre. Pourquoi ?
Pour cinq raisons :
De un, la connivence des grands établissements et leur coopération ont été totales, pas de voyou.
De deux, l’épisode a été court, très court : il n’a pas eu le temps de détruire les protections et les coussins.
De trois, le marché des dérivés a bien fonctionné, grâce à la vigilance de la Fed de New York et à la compétence de son desk. Cette équipe a absorbé la recrudescence de la volatilité, cette dernière a été maitrisée, bien manipulée, et les value at risk (VaR) n’ont pas explosé. Elles n’ont pas détruit les capacités bilancielles des banques ou du shadow banking.
De quatre, des changements de structure ont modifié le fonctionnement du marché, par rapport aux périodes de crise précédentes.
Les amortisseurs ont fonctionné
La pandémie notamment a libéré des quantités de liquidités sans précédent de la part des banques centrales. Cela a considérablement stimulé les masses d’avoirs en espèces dans l’ensemble du système, y compris ceux des institutions financières, des gestionnaires de placements, de la communauté spéculative mondiale à effet de levier, des entreprises et des ménages.
Tout le monde était surliquide au moment de l’épisode de resserrement supposé !
Pour les spéculateurs, grands et petits, une énorme réserve d’argent est devenue disponible au moment de la pandémie pour parier d’abord et absorber les pertes ensuite.
En bref, l’inflation des bilans des principales banques centrales du monde a considérablement accru les actifs du secteur privé et les réserves internationales des pays émergents.
La résilience face au resserrement Canada Dry n’a pas été exceptionnelle, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Non, elle était normale, et je dirai même prévue, en raison du « tampon » créé à partir des milliers de milliards déversés par le QE pandémique.
Le resserrement des conditions financières du marché n’a pas semé la panique : il a été absorbé et il n’a pas duré.
Et à cette résilience s’est ajoutée un cinquième facteur que bien peu de commentateurs ont signalé (je dois être l’un des rares à l’avoir fait) : le boom du crédit a relayé la Bourse.
En effet, un boom furtif s’est installé dans le « crédit privé ». La « finance décentralisée » et, plus généralement, les prêts bancaires et non bancaires, ont explosé. Les conditions de prêt pour une grande partie de l’économie sont restées extraordinairement souples.
A moins d’un « accident », le boom des prêts devrait suivre son cours.
La croissance du crédit va assurer la résilience des dépenses, de la croissance économique et… de l’inflation des prix.
Pendant ce temps, il existe d’importantes dynamiques de nouveau cycle qui sous-tendent à la fois l’économie et l’inflation.
La démondialisation et l’émergence du nouveau rideau de fer ont le potentiel de stimuler des investissements robustes dans les capacités de fabrication nationales.
Le changement climatique crée des possibilités pratiquement infinies pour les dépenses d’investissement subventionnées.
Avec des conditions de prêt souples, 10 millions d’emplois affichés vacants et une inflation de plus en plus enracinée, il y a eu tous les ingrédients pour des surprises à la hausse, tant du PIB que des indices de prix.
Cette résilience liée au QE post-pandémique et à l’expérience de la Fed augmente considérablement la probabilité de solides avancées du marché tant que la récession ne se concrétise pas. Il y a un créneau, un espace pour une avancée en contre-tendance.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]