** Les marchés financiers se sont de nouveau fait une belle frayeur en début de semaine ; les effets bénéfiques de l’abaissement de 75 points du prime rate par la Fed mardi n’ont que partiellement traversé l’Atlantique. Les stratèges européens ont été laissés en proie à de nombreux questionnements, alors que la BCE n’a publié aucun communiqué pour rassurer la communauté financière ou pour tout simplement prendre acte des efforts du gouvernement américain pour apporter des solutions techniques à la crise systémique actuelle.
Tout ceci semble trahir un degré zéro de coopération entre les deux grandes banques centrales occidentales. L’immobilisme et le mutisme de la BCE, qui n’a jamais placé l’inflation au second rang de ses priorités depuis mars 2007, suggère qu’elle approuve tacitement la débâcle du dollar et s’accroche à la théorie du découplage des cycles économiques entre la Zone euro et les Etats-Unis.
L’envolée symétrique de l’euro, les contrecoups de la faillite de Bear Stearns, les mauvais chiffres concernant le secteur immobilier aux Etats-Unis, les déboires des rehausseurs de crédit américains (XL Capital et LSA) auraient pu faire replonger Wall Street en cette veille de long week-end pascal, mais les indices américains s’apprêtent à terminer cette semaine écourtée sur un gain de 2% tandis que l’Eurotop 100 chute de 1,5%.
** Les difficultés et les coups de théâtre ont lieu sur le territoire américain mais ce sont les marchés européens qui payent les pots cassés. En réalité, il est bien tentant pour les gérants anglo-saxons de prendre des bénéfices sur les actifs libellés en euros — ce dernier ayant culminé à 1,5905 le lundi 17 mars — afin de soutenir leurs propres indices boursiers, dont chacun sait à quel point ils constituent le dernier rempart contre un déferlement de pessimisme aux Etats-Unis.
Les ménages américains sont médusés par la rapidité des pertes en capital subies au travers de la dépréciation de leur patrimoine immobilier en un an. En effet, il a perdu 12% alors que l’activité des promoteurs à chuté d’un tiers. Cependant, le Dow Jones, qui est à 12 250 points, n’a rien perdu depuis le 20 mars 2007.
Wall Street demeure le dernier bastion de l’illusion de richesse : tout sera fait pour retarder sa chute, que beaucoup d’experts jugent inéluctable, compte tenu de la multiplication des profit warning et des abaissements de perspectives bénéficiaires.
** Les gérants tricolores se préparent également à de nouveaux ajustements du PIB français en 2008 ; il pourrait augmenter de 2% à 1,8% selon Bercy et de 1,7% à 1,5% selon des experts de Bruxelles ou du FMI. Les avertissements successifs de Siemens, de la Deutsche Bank, de Sony-Ericsson, de Deutsche Telekom, du Crédit Suisse, de Clarins ou de GFI Informatique instaurent un climat délétère à Paris et à Francfort. Le DAX 30 a perdu 2% en quatre séances, avec à la clé une inquiétante cassure du support majeur des 6 440 points.
Le CAC 40 (-0,5% hier) alignait trois séances de repli sur une série de quatre, pour une perte hebdomadaire de 1,3% ; ainsi se matérialise une quatrième semaine de baisse consécutive !
Les trois tentatives de retour à l’équilibre qui se sont succédées après la réouverture en nette hausse de Wall Street ont échoué face aux vagues successives d’allègements de précaution, avant un week-end de trois jours aux Etats-Unis et de quatre jours sur le Vieux Continent.
Beaucoup de gérants européens n’ont pas voulu prendre le risque d’une mauvaise surprise outre-Atlantique lundi dernier, et c’est ce qui peut expliquer le gonflement des volumes échangés à Paris (neuf milliards d’euros après 8,7 milliards d’euros la veille). Paris ne s’en tire donc pas si mal avec un score voisin de -0,5% alors que les pertes avaient atteint -1,5% à la mi-journée.
A la mi-journée, nombre de valeurs françaises de premier plan, notamment les bancaires et les produits de base, étaient revenues à la case départ en l’espace de 48 heures. Elles ont ainsi effacé l’essentiel des gains engrangés mardi dernier grâce à un rebond de 3,4% qui n’a fait que neutraliser les dégâts causés par la séance noire de lundi dernier, par le biais d’un short squeeze.
Cette journée du 20 mars fut très technique avec la liquidation des contrats et options sur actions et sur les indices mensuels et trimestriels : c’était la séance des « quatre sorcières ». Les vendeurs se retrouvaient hier matin dans des conditions extrêmement favorables pour maximiser leurs gains à la baisse alors que Wall Street venait de reperdre entre les deux tiers — pour le S&P ou le Nasdaq — et les trois quarts — pour le Dow Jones — de ses gains de mardi en quelques heures.
La chute de 3,6% de Hong Kong, de 2,8% de Singapour — Tokyo étant fermé — ne faisait que renforcer les risques de sévère glissade des places occidentales.
En fin de matinée, le CAC 40 perdait plus de 21% sur l’ensemble du premier trimestre 2008, même avec une petite contraction des pertes à -19,4%. Le premier trimestre 2008 demeurera de toutes façons le pire observé depuis le troisième trimestre 2002. Il se solde par la quatrième plus mauvaise performance historique depuis le « T3 » 1987, après le « T3 » 1998 (crise LTCM) puis le terrible « T3 » 2001 — qui détient le record de baisse cumulée depuis 20 ans.
** Mais Wall Street entamait jeudi le deuxième trimestre 2008 tambour battant avec une hausse de 1,5% à mi-séance hier. Wall Street faisait ainsi preuve d’une fermeté inattendue à la veille du vendredi de Pâques ; les opérateurs américains ont même réussi à digérer la très mauvaise surprise provenant d’une forte hausse — de 22 000 — des demandes d’indemnité chômage pour la semaine se terminant le 15 mars. Le total s’éleve désormais à 378 000.
L’indice d’activité Philly Fed reste en territoire négatif mais remonte en mars de -24 à -17,4. C’est mieux que prévu et cela confortait le rebond du dollar (+3% en 72 heures).
C’est le principal élément technique qui pourrait plaider pour un sursaut des places européennes dès mardi prochain: Le dollar s’envolait vers 1,5430/euro (+1,5%) et cette embellie s’accompagne d’une brusque décrue symétrique du prix du baril de pétrole jusque sous les 100 euros, avant un petit sursaut de 99 $ vers les 100,70 $ sur le NYMEX.
Si les gérants ne se sont pas saisis du prétexte des prises de profit sur les matières premières pour racheter des actions, c’est principalement dû aux inquiétudes suscitées par le profit warning du Crédit Suisse (-6,3% à Zurich), ignorant le rebond de 6% de la banque britannique HBOS, qu’une rumeur récurrente annonçait au bord de la faillite mercredi dernier.
A Wall Street, les banques d’affaires enregistraient une quatrième séance de volatilité record d’affilée avec des écarts sectoriels dépassant systématiquement les 5% et même les 8,5% mardi dernier. Globalement, c’est la hausse qui l’emporte mais cela ne saurait masquer les questions brûlantes concernant le sort réservé aux CDS — soit 40 000 milliards de dollars d’encours d’assurance virtuelles de créances immobilières que de nombreux émetteurs ne peuvent honorer.
Et les plus grandes firmes de Wall Street ont toutes à redouter des retombées médiatiques et commerciales des enquêtes déclenchées au sujet de leurs activités de titrisation. En effet, la falsification des profils de risque des produits dérivés a été pratiquée à grande échelle.
** Nous évoquions mercredi et jeudi derniers le désastre potentiel causé, à terme, par les subprime sur la solvabilité des organismes gérant les fonds de retraite, les pension funds. Il convient cependant de s’interroger de façon beaucoup plus immédiate sur l’impact des restructurations qui se préparent dans le secteur financier : des licenciements par dizaines de milliers se préparent aux Etats-Unis dans le seul secteur banque et des assurances. De plus, la crise immobilière va faire des ravages dans certains états de l’Union où les agences de real estate pourvoyaient — comme en Californie, en Arizona ou dans le Nevada — au tiers des créations nettes d’emplois 18 mois auparavant !
Et l’état de New York ou du New Jersey ont du souci à se faire puisque si les salariés du secteur de la finance y représentent 11% des effectifs, ils engrangent à eux seuls 35% des revenus distribués — les 10% les mieux lotis captant plus de la moitié de cette manne sous forme de bonus pharaoniques.
Souvenons-nous qu’au début du XXeme siècle, les Names qui détenaient la première compagnie d’assurance et la première firme capitaliste du monde par sa surface financière, dénommée Lloyd’s, engrangeaient des fortunes qui apparaissaient astronomiques pour les standards de l’époque — mais chaque Name était responsable sur ses biens propres. Pensez-vous qu’une crise des subprime et des CDS aurait pu éclater en 2007 si le même principe de responsabilité personnelle avait été imposé aux nouveaux Mozart de la finance virtuelle ?
Nous leur devons la confection d’un fameux requiem… tandis que la Reine de la Nuit prend une sacrée revanche sur le sage Zarastro !
Philippe Béchade,
Paris