Quand est-ce que la dette et la monnaie tournent mal ? Et surtout… nos autorités comprennent-elles bien les problèmes auxquels elles sont confrontées actuellement ?
Nous avons vu hier les fondamentaux de la monnaie elle-même. Aujourd’hui, nous abordons un deuxième point nécessaire pour comprendre les problèmes monétaires : le crédit.
D’abord, beaucoup de gens continuent à croire que les banques créent de l’argent (à partir de rien donc) lorsqu’elles octroient des crédits, par exemple à des ménages pour acheter leur logement !
C’est là une faute grossière qui dénote un manque total de culture économique élémentaire…
En effet, même les pires des banksters ne prêtent que l’argent qu’ils ont, en particulier l’argent qui est déposé par d’autres ménages qui ne dépensent pas tout l’argent qu’ils ont gagné.
Un exemple concret
Ainsi par exemple, pour simplifier, BNP Paribas dispose de l’ordre de 800 milliards d’euros de dépôts de ses clients (dettes envers la clientèle, au passif) qui sont prêtés à d’autres clients pour globalement le même montant (prêts et créances sur la clientèle, à l’actif).
Les banques de dépôts fonctionnent (théoriquement) sur ce principe. Cependant, ces banques sont aussi obligées d’emprunter sur les marchés financiers à des taux inférieurs à ceux qu’elles accordent à leurs clients, la différence entre ces taux générant pour les banques leur rémunération normale pour le travail effectué.
Les prêts accordés par les banques sont donc toujours financés obligatoirement par de l’argent dont elles disposent préalablement, dans tous les pays fiables dans lesquels ce principe de comptabilité en partie double est respecté, c’est-à-dire dans tous les pays développés.
Les crédits ne sont donc pas à l’origine d’une création monétaire indue mais d’une circulation monétaire, ce qui stimule la croissance du PIB.
Dettes : une nuance importante
Un autre point important concernant les crédits doit être précisé : les dettes des uns sont toujours financées par des capitaux apportés par des créanciers qui possèdent donc de l’argent gagné préalablement qu’ils prêtent à des emprunteurs (désargentés) qui veulent investir.
Là encore, ces dettes ne génèrent aucune création monétaire ni aucun autre dysfonctionnement.
En accordant des prêts, donc en générant des dettes pour les uns, les banques ne font que faire circuler l’argent des autres (les titulaires de capitaux disponibles non investis) aux premiers, ceux qui veulent emprunter pour investir.
Les limites de la dette
Les dettes ont donc naturellement des limites (du moins dans une économie relativement fermée) : les capitaux disponibles, là encore en vertu du principe élémentaire de comptabilité en partie double.
Evidemment, les dettes des uns ont aussi pour limite l’appréciation par les prêteurs de la fiabilité des emprunteurs, car les prêteurs veulent bien entendu être remboursés à l’échéance des prêts qu’ils ont accordés.
Compte tenu de la croissance, c’est-à-dire de l’augmentation de la richesse créée dans beaucoup de pays développés, il est normal que les dettes augmentent car les capitaux disponibles augmentent !
C’est ainsi que les dettes des ménages, des entreprises et des Etats augmentent depuis… quasiment toujours, et surtout depuis l’après-guerre sans créer de problèmes majeurs.
Les prêteurs imprudents qui ont prêté de l’argent à des emprunteurs qui sont finalement insolvables sont les seules victimes de leurs erreurs. Tant pis pour eux.
Normalement, ces défauts de paiement ne devraient pas avoir d’autres conséquences.
Qu’en est-il de l’argent sain ?
L’argent sain est le premier pilier des Reaganomics, dixit Arthur Laffer, ai-je écrit hier… ce que (presque) personne ne comprend en Europe et encore moins en France, alors que tout est simple !
Les économistes qui conseillent Donald Trump sont dans la lignée de ceux qui conseillaient Reagan : les Reaganomics qui sont avant tout de bons monétaristes pour lesquels l’essentiel est de conserver une monnaie saine, c’est-à-dire sans hypertrophie monétaire.
Pour comprendre ces concepts, il suffit de reprendre notre exemple du paysan de Böhm-Bawerk : si jamais, pour une raison ou pour une autre, la quantité d’argent qui circule dans le village est supérieure à ce qu’elle doit être normalement, alors une grave crise s’y produira inévitablement un jour…
Historiquement et classiquement, presque partout dans le monde, les personnes qui gèrent les établissements financiers importants (et centraux) font toujours la même erreur : ils mettent en circulation de l’argent qui ne devrait pas y circuler.
La solution de facilité qui a été souvent adoptée a été de mettre en circulation dans un premier temps de la monnaie-or, c’est-à-dire des pièces de monnaie contenant une quantité certifiée d’or, ce que fit déjà… le père de Crésus.
Ensuite, l’émetteur de ces pièces commence à diminuer la quantité d’or contenue dans ces pièces ce qui fait que la masse monétaire en circulation est alors supérieure à la norme, ce que fit déjà Crésus. Dès lors, l’hypertrophie monétaire de son royaume est devenue létale.
Quand la confiance en une monnaie disparaît à cause d’une création monétaire indue, c’est alors la crise fatale. Ainsi ont disparu des royaumes et des empires prospères au cours de ces derniers millénaires.
L’Histoire se répète ainsi quand les autorités monétaires ne comprennent pas ces problèmes.
12 commentaires
» D’abord, beaucoup de gens continuent à croire que les banques créent de l’argent (à partir de rien donc) lorsqu’elles octroient des crédits, par exemple à des ménages pour acheter leur logement ! C’est là une faute grossière »
je me tue à le répéter…seul la banque centrale est responsable de la création monétaire.
» Compte tenu de la croissance, c’est-à-dire de l’augmentation de la richesse créée dans beaucoup de pays développés, il est normal que les dettes augmentent car les capitaux disponibles augmentent ! »
En revanche ce qui est plus problématique c’est l’augmentation du ratio de dette par rapport au PIB, qui indique que le rentabilité des capitaux empruntés tend à décroitre (typiquement les capitaux empruntés pour financer la dette publique financent davantage des dépenses que des investissements productifs).
Bonjour Monsieur Chevallier
Vous écrivez :
« D’abord, beaucoup de gens continuent à croire que les banques créent de l’argent (à partir de rien donc) lorsqu’elles octroient des crédits, par exemple à des ménages pour acheter leur logement !
C’est là une faute grossière qui dénote un manque total de culture économique élémentaire… »
Ce qui suscite chez moi l’interrogation suivante :
Dans ce cas, comment se fait il que de nombreux économistes diplômés et réputés pensent le contraire et emploient souvent cette expression de « création monétaire ex-nihilo » ?
Par exemple, voici quelques citations de Maurice Allais, prix Nobel d’économie, tout de même :
« Fondamentalement, le mécanisme du crédit aboutit à une création de moyens de paiements ex nihilo [(à partir de rien], car le détenteur d’un dépôt auprès d’une banque le considère comme une encaisse disponible, alors que, dans le même temps, la banque a prêté la plus grande partie de ce dépôt, qui, redéposée ou non dans une banque, est considérée comme une encaisse disponible par son récipiendaire. À chaque opération de crédit, il y a ainsi duplication monétaire. Au total, le mécanisme de crédit aboutit à une création de monnaie ex nihilo par de simples jeux d’écritures.
La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires., Maurice Allais, éd. Clément Juglar, 1999, p. 63 »
« Dans son essence, la création monétaire ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique, je n’hésite pas à le dire pour bien faire comprendre ce qui est réellement en cause, à la création de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement condamnée par la loi. Concrètement elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents.
La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires., Maurice Allais, éd. Clément Juglar, 1999, p. 110 »
« La création monétaire doit relever de l’État et de l’État seul. Toute création monétaire autre que la monnaie de base par la Banque centrale doit être rendue impossible, de manière que disparaissent les « faux droits » résultant actuellement de la création de monnaie bancaire.
La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires., Maurice Allais, éd. Clément Juglar, 1999, p. 95 »
« En fait, sans aucune exagération, le mécanisme actuel de la création de monnaie par le crédit est certainement le « cancer » qui ronge irrémédiablement les économies de marchés de propriété privée.
La Crise mondiale d’aujourd’hui. Pour de profondes réformes des institutions financières et monétaires., Maurice Allais, éd. Clément Juglar, 1999, p. 74 »
Lorsqu’une banque, centrale ou non, achète des obligations d’Etat ( titres de dette publique) , ce qui s’appelle monétiser la dette publique, n’y a t il pas création monétaire ex-nihilo ?
D’autant plus que le stock de dettes publiques n’a aucune vocation à être remboursé ?
Comment expliquer l’abondance de « liquidités », depuis une dizaine d’années, qui a créé la fameuse « bulle de tout »…abondance qui a conduit à l’impossibilité de rémunérer les dépôts ( taux d’intérêts nuls) et même à les taxer ( taux d’intérêts négatifs) ?
Si cette abondance de liquidités n’est pas le résultat d’une création à partir de rien ?
Alors que tous les agents de l’économie sont endettés ( Etats, entreprises, particuliers)… il me semble que cet argent ne provienne pas de l’épargne ! à tel point que l’on en vient à taxer l’épargne.
Je suis assez dubitatif sur l’hypothèse de la non existence de la création ex nihilo, pour les raisons exposées ci-dessus.
Vous soutenez que les banques privées ne peuvent prêter plus que les fonds dont elles disposent déjà.
Dès lors, comment expliquez-vous ce qu’est le système des réserves fractionnaires ?
Sylvain Delaroche : ce n’est pas ce qu’il dit, il soutient que les banques ne peuvent créer directement de la monnaie, en revanche elle peuvent tout à fait prêter les fonds issus de l’épargne collecté, de l’émission d’obligations, d’emprunts réalisés sur le marché monétaire ou encore d’opérations de refinancement auprès de la banque centrale (qui est donc à l’origine de la création monétaire).
Le système de réserve fractionnaire signifie simplement que les banques prêtent tout ou partie de l’épargne collectée (ie qu’elles ne conservent en réserve que l’équivalent qu’une fraction des prêts accordés).
« Le système de réserve fractionnaire signifie simplement que les banques prêtent tout ou partie de l’épargne collectée (ie qu’elles ne conservent en réserve que l’équivalent qu’une fraction des prêts accordés). »
Justement ce n’est pas « l’épargne collectée », c’est les dépôts bancaires et ces dépôts sont en grande partie composés de crédits accordés par les banques. les dépôts sont donc très supérieurs à l’épargne réelle juste par simple jeu d’écriture.
Sylvain Delaroche : cependant il est vrai que techniquement lorsqu’on accorde un prêt à partir d’une épargne collectée, comptablement on augmente la quantité total de monnaie. Mais il ne s’agit pas de création monétaire ex nihilo inflationniste dans la mesure où la monnaie mise en circulation par le biais du prêt est compensée par le montant d’épargne confié à la banque. L’opération est donc globalement neutre.
Au début de son article, Monsieur Chevallier écrit explicitement que constitue d’une erreur grossière le fait de croire que les banques créent de la monnaie lorsque qu’elles accordent du crédit aux ménages.
A mon avis, elle détienne au contraire le monopole de l’émission de crédit, qui est l’un des mécanismes de création (et de destrution) de la monnaie.
Le système de réserve fractionnaire est le système qui sous-tend la création monétaire par l’octroi de crédit, privilège des banques privées.
Ce système permet aux banques d’émettre du crédit pour des montants supérieurs à ses réserves (couverture partielle).
Ainsi, la réserve est une fraction des crédits accordés.
La contrepartie de cette création monétaire (excédant donc la réserve) est l’engagement juridique de l’emprunteur de rembourser le capital (le remboursement entraîne la destruction de la monnaie correspondante) et, accessoirement, de payer les intérêts.
Dans ce schéma, il est intéressant de réfléchir aux mécanismes de création de la monnaie correspondant aux intérêts payés.
Comment cette monnaie, dont le versement à la banque efface la part de dette constituée des intérêts, est-elle créée ?
Merci de votre hypothèse.
Par ailleurs, merci d’expliciter vos réponses :
– Comment deux quantités de monnaie égales, l’une mise en dépôt dans une banque, l’autre mise à disposition par la même banque à un emprunteur, pourraient-elles se « compenser » en termes de masse monétaire ?
– Pour qui l’opération serait-elle « neutre » ?
Sylvain Delaroche : justement non, seule la banque centrale a le pouvoir de créer de la monnaie ex-nihilo, les banques commerciales doivent se refinancer auprès de la banque centrale pour compléter les autres ressources collectées. Si les banques pouvaient créer gratuitement de la monnaie, elles n’auraient aucun risque de faire faillite et elles n’auraient aucun intérêt à aller se financer sur les marchés ou à collecter de l’épargne.
Elles se compensent ou se neutralisent sur le plan de l’inflation car l’argent emprunté ne fait remettre en circulation l’épargne déposée.
Il me paraît utile de recentrer la question, qui est de clarifier quel est le pouvoir de création monétaire des banques privées, en tant que réalité quotidienne.
Mais je vous rejoins sur un point.
Les banques commerciales privées ne peuvent « créer gratuitement de la monnaie ».
J’ignore d’ailleurs ce que pourrait signifier cette notion.
En effet, la création de monnaie par les banques privée nécessitent une contrepartie, c’est-à-dire la création d’une dette équivalente.
Dans ce schéma, à défaut d’un emprunteur qui contracte cette dette, la banque ne peut opérer aucune création monétaire.
Donc, le pouvoir de création de monnaie par les banques privées est limitée essentiellement par deux facteurs liés : la demande de crédit et les taux directeurs gérés par la banque centrale.
Les spécialistes savent que le système de réserves fractionnaires n’intervient pas (plus) en tant qu’élément limitant prépondérant.
Le mécanisme de refinancement dont vous parlez ou l’ « intérêt pour les banques d’aller se financer sur les marchés ou à collecter de l’épargne » est, notamment, de disposer de fonds à rémunérer ou d’emprunter elle-même à un taux inférieur aux crédits octroyés à ses clients.
La part des crédits concernés sont alors « couverts » et la différence de taux constitue alors la marge de la banque.
Pour finir, je note que vous liez souvent dans vos réponses le thème de la création monétaire et celui de l’inflation.
Pour ma part, j’estime que les liens (ou les croyances qui y sont attachées) entre l’évolution des masses monétaires et l’inflation / déflation demandent à être repensés, à la lumière des expériences très contemporaines (réelles et non théoriques) d’accroissement exponentielle historique de la quantité de dettes (donc de monnaie) comme au regard des expériences de quantitative easings débridées.
Conséquemment, on s’interrogera aussi utilement au sujet de la décorrélation nouvelle entre la quantité de monnaie en circulation et sa valeur, puis son effet sur les prix (dans un contexte d’inflation que les autorités publiques attestent comme faible).
Je suis curieux de vos analyses à ce sujet.
Je cite : « D’abord, beaucoup de gens continuent à croire que les banques créent de l’argent (à partir de rien donc) lorsqu’elles octroient des crédits, par exemple à des ménages pour acheter leur logement ! C’est là une faute grossière qui dénote un manque total de culture économique élémentaire… »
Vous avez perdu ma confiance avec ces déclarations, Mr Chevallier. Oser vous prétendre monétariste, et défendre l’idée que les banques prêtent l’argent des épargnants et ne créent pas d’argent est justement l’erreur grossière. Vous devriez mettre à jour vos connaissances en lisant notamment le rapport « Money creation in the modern economy » (2014) de la Bank of England. Les crédits font les dépôts, et non l’inverse. J’invite aussi les lecteurs à chercher les vidéos de Positive Money sur Youtube, tout comme les écrits de Mervyn King (ancien gouverneur de la Banque d’Angleterre) sur le sujet. Je suppose que ces gens là ont une bien meilleure connaissance des banques que Mr Chevallier, prédicateur journalier de l’apocalypse.
Oui Alexandre, je soutiens votre position.
Il existe une publication de la Banque de France de septembre 2015, intitulé « Qui crée la monnaie », dont la conclusion est la suivante : « Plusieurs formes de monnaie coexistent, relevant
chacune de modes de création différents.
La monnaie est aujourd’hui essentiellement
scripturale, créée par les banques lorsqu’elles
accordent des crédits à l’économie, et détruite
lorsque ces crédits sont remboursés. Dans l’intervalle,
la monnaie créée est un dépôt, et donc
une dette du point de vue de la banque. Il existe
de nombreuses limites à ce type de création
monétaire, à commencer par le besoin de refinancer
les crédits. La banque centrale dispose
d’instruments puissants pour canaliser la création
monétaire lorsque cela se révèle nécessaire
dans le cadre de son mandat de stabilité des prix. »
Je la tiens à disposition de Monsieur Chevallier, qui, je le crois, ne peut en réalité méconnaître ces données.
Je m’interroge dès lors sur ces motivations à étayer ce discours incorrect.