La Bourse a pour vocation première de déterminer les prix en confrontant l’offre et la demande. Mais est-ce encore le cas, quand certaines actions sont survalorisées alors qu’elles n’offrent que du vent ?
Je n’écris plus beaucoup sur les marchés financiers, parce que je crois avoir dit tout ce qui était important. Cela ne veut pas dire que je les suis moins. Au contraire, je les surveille comme le lait sur le feu.
Les marchés sont stupides fondamentalement, mais rien ne leur échappe, car la concurrence pour le pognon est mondiale.
Le mot important est « fondamentalement ». En effet, les marchés ont mis le fondamental entre parenthèses car les banques centrales leur ont dit que cela n’avait pas d’importance. Cela ne signifie pas toutefois qu’ils ne détecteront pas le grand changement quand il se produira.
Le grand changement, c’est quand le fondamental reviendra comme une vengeance et quand les banques centrales ne pourront plus le dissimuler. Ce jour-là, pour qui sait le décoder, les marchés enverront un signe. Ce signe ne sera pas littéral, il sera certainement constitué par un hiatus, un hoquet, un lapsus, une faille dans l’univers dominant. Ce sera une sorte de singularité qui fera irruption et sera en quelque sorte « non conforme ».
En attendant ce jour-là et ce signe, il faut surfer sur l’actualité, avec une écoute attentive certes, mais un peu flottante, comme l’écoute du psychanalyste. Et puis il ne faut pas être très engagé, il faut avoir une certaine distance. Juste noter au passage les petits cailloux blancs sur le chemin.
Quand il faut emprunter pour obtenir de meilleurs rendements
Voici l’un d’eux :
« Le conseil d’administration de CALPERS [NDLR : fonds de retraite des fonctionnaires californiens], le plus grand fonds de pension des Etats-Unis, a voté [le 15 novembre] pour utiliser de l’argent emprunté et des actifs alternatifs pour atteindre son objectif de retour sur investissement, alors même qu’il avait abaissé cet objectif il y a quelques mois à peine. »
La nouvelle va au cœur du problème que je signale régulièrement : il n’est plus possible de trouver des investissements qui rapportent assez pour honorer les promesses du système. Cela concerne même les plus gros, les mieux équipés, les plus aptes à prendre les risques. Ils sont dans l’impasse. Quand on a affaire à des gens comme CALPERS, on sait que c’est un problème systémique : ils sont le Système.
« Le problème avec toutes ces spéculations, c’est qu’elles commencent à inciter l’investisseur prudent à adopter un comportement imprudent », signale un économiste de la Fed.
Le système s’autodétruit. Il devient incapable d’assurer, même pour ses représentants les plus aptes, sa fonction de valeur d’usage, qui est de procurer un rendement pour payer les retraites. C’est de la dialectique à l’état pur : le système se nie, il s’anéantit sous la pression de ses contradictions internes.
Des marchés kafkaïens
En regard, les contradictions externes du système sont presque secondaires. Jugez-en.
La contradiction externe la plus évidente c’est celle qui existe entre l’univers financier et l’univers réel, et elle est manifestée par l’absurde.
Ce que Tesla devrait accomplir au cours de la prochaine décennie pour justifier le cours des actions d’aujourd’hui frise le ridicule. Ce groupe devrait dominer l’industrie automobile mondiale à un degré tel que la plupart, sinon la totalité, du reste de l’industrie serait en faillite.
Cependant, Tesla n’est qu’un exemple du degré de spéculation sur les marchés aujourd’hui.
Qu’en est-il de Rivian, qui est récemment entrée en Bourse et affiche maintenant une capitalisation boursière de 115 Mds$, bien que l’entreprise n’ait vendu aucune voiture ?
Ou Lucid, avec une capitalisation boursière de 90 Mds$ et le même record de ventes que Rivian…
Ou QuantumScape, une société de batteries au stade de la recherche, qui dispose d’une capitalisation boursière de 15 Mds$ et d’aucun chiffre d’affaires.
Comment les comparer à Panasonic, une société dont les ventes ont atteint les 67 Mds$ (dont des batteries qui déplacent la plupart des Tesla) et une capitalisation boursière de moins de 30 Mds$ ?
L’avenir de la Bourse est de s’effondrer, car elle détruit sa raison d’être, le ver est dans fruit.
La surévaluation, n’est qu’un symptôme, une manifestation d’un négatif organique qui n’intéresse personne car il est caché. La dialectique interne du marché boursier c’est la destruction, c’est même sa fonction. Détruire.
La fonction systémique de la Bourse est de détruire les erreurs du passé pour que l’on puisse repartir, neufs. Sa fonction est de nous sauver et de foutre au rebut tous les faussaires, tous les illusionnistes qui nous trompent depuis des décennies.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]