Les marchés américains sont « valorisés pour la perfection »… mais il y a bien peu de chances que le pays connaisse des conditions « parfaites » dans les mois (et les années) qui viennent…
Nous voyons des gens prendre parti : certains abattent les statues de propriétaires d’esclaves… d’autres abattent les statues d’anciens esclaves.
Dans la mesure où l’argent est notre sujet, nous ne pouvons nous empêcher de nous poser des questions. Les actions et les obligations américaines sont « valorisées pour la perfection ». En d’autres termes, elles sont à des sommets historiques.
Sauf que ce n’est peut-être pas la perfection qui nous attend. Pas même le « bof-bof »… le médiocre… ou la mention « assez bien ».
A l’intention de nos nouveaux lecteurs, s’il y en a, nous allons expliquer pourquoi la « perfection » est d’après nous un pari aux probabilités très minces.
Surveillez les schémas
Toutes les choses vivantes ont un cycle de vie. Les marchés, les sociétés et les entreprises. Nous ne connaissons aucune exception.
Les grandes nations suivent elles aussi des schémas, disait Lord Byron, poète anglais du XIXème siècle. Elles commencent avec la liberté, puis passent par la gloire, la richesse, le vice, la corruption… et enfin la barbarie.
Notre hypothèse, aujourd’hui, est que l’on peut dire où l’on se trouve dans le cycle en se basant sur les statues : est-ce qu’on les dresse ou est-ce qu’on les déboulonne ? Elles sont installées lorsqu’un pays célèbre ses héros. Elles sont mises à bas lorsqu’il se retourne contre ses anciens dieux et sombre dans la barbarie.
De grandes espérances
Le week-end dernier, c’était la fête nationale aux Etats-Unis ; cela a fait remonter de vieux souvenirs. Il y a 50 ans le mois dernier, nous sommes entré dans le monde – tout frais diplômé de l’université.
Le monde était bien différent à l’époque. Nous ne devions rien à personne. Nous n’avons pas eu de problème pour trouver un emploi. Nous ne pouvions pas imaginer que notre trajectoire de vie irait ailleurs que « vers le haut », pour le reste de notre vie (même si nous n’avions pas la moindre idée de comment nous y prendre pour cela). Et nous étions motorisé.
Le moteur en question n’était pas exactement de qualité Corvette. Légèrement modernisé, il équipait une camionnette Chevrolet ’52, retapée par un ami dans son jardin à Albuquerque. Il ronronnait comme un chaton.
Mais il était à cran. Le démarreur à six volts n’arrivait pas à le lancer. Nous devions faire attention à nous garer en hauteur… pour pouvoir pousser le véhicule en descente, embrayer et le faire démarrer.
En dépit de ces humbles débuts, nous avions de grandes espérances.
Le progrès semblait inévitable. La richesse semblait inéluctable. Nous nous rappelons le sentiment de liberté – libre d’aller où nous le voulions et de faire de ce nous voulions.
La grippe de Hong Kong a traversé le pays cette année-là, tuant 100 000 personne (des personnes âgées en majorité, tout comme le Covid-19). Mais la vie a continué : pas de masques. Il n’y avait pas non plus de fouilles au corps dans les aéroports, ni même de contrôle technique pour les voitures.
La musique des années 1960 était elle aussi pleine d’énergie et d’innovation – les Doors, les Beach Boys, les Rolling Stones (avant la mort de Brian Jones), les Beatles – Sympathy for the Devil… California Dreamin’… Yesterday…
C’était une époque excitante… avec rien que de la hausse devant nous.
Le début de la fin
Nous étions loin de nous douter que le pays avait déjà entamé son agonie. En 1968, les Etats-Unis s’étaient lancés dans une longue et triste série de guerres impossibles à gagner à l’étranger. Trois ans plus tard, ils commenceraient à imprimer de la fausse monnaie pour les financer.
En 1968, nous gagnions 5,25 $ de l’heure grâce à un job d’été consistant à repeindre des tours de télévision à Baltimore. C’était le salaire le plus élevé que nous ayons trouvé (il était dangereux de travailler à une telle hauteur) – mais nous avions besoin d’argent pour payer nos frais de scolarité (nous travaillions comme gardien de nuit dans un hôtel pour avoir une chambre gratuite, et nous faisions la plonge dans une maison d’étudiants en échange de repas).
Si l’on convertit notre salaire en or, pour avoir une mesure stable, une semaine de travail suffisait à acheter six onces d’or. Aux prix actuels du métal jaune, cela reviendrait à être payé – en espèces qui plus est – 10 662 $ par semaine. Pas mal pour un étudiant, non ?
Un progrès ?
Aujourd’hui, même si l’étudiant obtient un travail bien payé sur un chantier, il n’obtiendra que 25 $ de l’heure environ. Soit 1 000 $ par semaine… à peine plus d’une demie-once d’or. En termes de vrai argent – le métal jaune – il a perdu plus de 9 000 $.
A ce rythme, impossible de financer ses études avec des petits jobs. L’université du Nouveau-Mexique n’est pas exactement Harvard… mais son site nous informe qu’un nouvel étudiant devrait s’acquitter de 40 204 $ par an, dont 10 000 $ pour être nourri et logé.
Soustrayez la nourriture et le logement (si on peut encore travailler dans des hôtels et des maisons d’étudiants), il reste tout de même une facture de 30 000 $. Même si l’on pouvait épargner 1 000 $ par semaine durant les 12 semaines d’été, il manquerait malgré tout 20 000 $.
Si l’on emprunte les 20 000 $ par an… à la fin de quatre années d’études, on se retrouve avec une dette de 80 000 $.
Ajoutez à cela le confinement… les guerres commerciales… le déboulonnage de statues… les milliers de milliards de dollars de fausse monnaie… les prêts pour la voiture, la maison, la consommation… et l’on obtient une image bien différente de nos années pattes d’eph’ insouciantes.
Comme le souligne l’économiste George Gilder, « le prix-temps » (le temps qu’il faut travailler pour payer une livre de betteraves ou un gigaoctet de mémoire informatique) ne cesse de baisser. Pas pour l’éducation universitaire, cependant : 12 semaines estivales suffisaient à payer les frais de scolarité pour une année en 1969. Ce n’est plus le cas en 2020.
Le progrès, en d’autres termes, n’est pas garanti – pas même avec le « prix-temps ». Une génération apprend. La suivante oublie. L’une érige des monuments. L’autre les démolit.
2 commentaires
Très bel article Mr Bonner ! On dirait du Douglas Kennedy !
Je lis intégralement (et relis) chacune de ses publications. Bill est d’une lucidité, d’une clairvoyance sans égal. 85.000 lecteurs en France, c’est vraiment pas mal quand on considère que parmi 68 millions d’individus, il faut exclure les trop jeunes, les trop âgés, les pauvres gens incapables intellectuellement de saisir le sens profond de ses analyses et une palanquée de peureux qui préfèrent faire l’autruche. Je fais partie de cette minorité curieuse qui préfère savoir la stricte vérité. merci beaucoup à Mr BONNER