▪ Dans la présentation de notre fiction boursière de mardi matin, nous aurions pu faire figurer la mention « ce sera tout l’un ou tout l’autre ».
Nous n’en avons rien fait parce que le « tout l’autre » n’existe pas. La situation actuelle n’a d’ailleurs rien de comparable avec les sommets de la dernière chance de l’hiver dernier (concernant la crise grecque), qui alimentaient successivement des paris fous sur l’apocalypse systémique ou le redressement des indices boursiers — d’où une volatilité paroxystique sur les valeurs bancaires.
Il ne s’est produit ni l’un ni l’autre… et comme le risque d’une désintégration — à force de ne pas résoudre les vrais problèmes — semblait trop important, la BCE a sorti le LTRO de son chapeau.
Cet énorme bol de punch monétaire mis à la disposition des banques provoqua une ivresse haussière des indices boursiers qui dura trois mois… avant que chacun finisse par reconnaître ce que nous anticipions dès la fin janvier, à savoir que la liquidité serait retournée à l’émetteur (la BCE) tant que le soupçon de l’insolvabilité continuerait de peser sur l’Espagne, le Portugal et la Grèce.
Le regel du marché interbancaire ne tarda pas à être acté, avec des 500, 600 puis 800 milliards d’euros de liquidités déposées frileusement chaque soir au guichet de la BCE. Cependant, les marchés firent comme s’il fallait continuer de croire ceux qui annonçaient que la crise grecque était « finie, de l’histoire ancienne, juste un mauvais souvenir ».
De nombreux stratèges affirment que l’heure de vérité pour l’Europe a vraiment sonné depuis le scrutin grec du 7 mai dernier. C’est reconnaître implicitement que l’évolution des marchés s’alimentait de pieux mensonges depuis le premier LTRO du 20 décembre.
Mais le temps qui passe en a dissipé la plupart, comme l’illusion que des Eurobonds pourraient résoudre la crise… comme l’illusion que l’austérité pourrait éviter la dislocation de la Zone euro… Ou encore comme l’illusion que les banques cesseraient de prendre des risques qu’elles ne maîtrisent pas sur des marchés (de gré à gré) qui n’en sont pas — juste des jeux d’écritures mais pas vraiment de liquidité, sinon des contreparties fantômes en cas d’urgence.
▪ Et J.P. Morgan, alors ?
Le dernier pari sur des dérivés de dettes européennes pourrait coûter de cinq à six milliards de dollars à J.P. Morgan… Le record de pertes associé au nom de Jérôme Kerviel (cinq milliards d’euros, soit 6,25 milliards de dollars) pourrait être battu d’ici fin mai ; certaines mauvaises langues prétendent que c’est tellement mal embarqué pour « JPM » que le montant réel de l’ardoise ne sera jamais connu… question de crédibilité.
Pourquoi le soupçon d’une telle débâcle ne fait-il pas s’effondrer Wall Street ? Tout simplement parce que J.P. Morgan se retrouve victime d’un jeu à somme nulle : ce qui est perdu par l’un est gagné par les autres (d’heureux anonymes naturellement). Nous assistons à un simple transfert de richesse qui ne fait qu’illustrer le principe des loups qui se mangent entre eux.
Quand ce sont les moutons qui se font dévorer (comme ceux qui ont payé 43 $ — et plus — lors de l’introduction de Facebook), personne n’en parle : c’est dans l’ordre des choses, les prédateurs ne font que remplir leur rôle dans la chaîne alimentaire.
▪ Encore un sommet de la dernière chance ?…
Sans vouloir ne considérer que le mauvais côté des choses, nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusion sur la pérennité de l’optimisme qui semble ressurgir à la veille du sommet européen « informel » de ce mercredi, qui traitera des dossiers chauds du moment.
La plupart des opérateurs savent bien qu’aucun des problèmes de fond ne sera résolu cette semaine, ni en ce qui concerne la Grèce, ni l’Espagne.
Mais ce que les marchés vont surveiller avec le plus d’attention, ce n’est pas le surgissement d’une « solution miracle » (qui n’existe pas) — mais bien le degré d’unanimité des chefs de gouvernement… et en particulier le message véhiculé par le couple franco-allemand, derrière les convergences de points de vue de façade.
Les marchés semblent se raccrocher à l’espoir d’une nouvelle action de la BCE pour accroître la liquidité. La difficulté serait de faire passer un recours à la planche à billets pour une simple mesure technique temporaire, et non une ultime tentative « à la désespérée » de repousser de quelques semaines le constat de la faillite de l’euro en tant que monnaie fiduciaire (dans laquelle on croit, au sens littéral) d’un ensemble économique irrémédiablement hétérogène.
Parmi les bonnes nouvelles plausibles, les marchés pourraient saluer la décision de garantir les dépôts des épargnants grecs et espagnols au niveau européen. Le principe semble acquis, à moins d’un improbable veto allemand.
▪ Opération vérité sur les banques espagnoles
Autre signe encourageant, les marchés ne s’émeuvent pas de l’opération vérité sur les pertes des banques espagnoles. Cela fait des mois que nous évoquions des pertes de 250 à 350 milliards d’euros… et ce sera finalement 260 milliards (au lieu des 125 milliards concédés à demi-mot en début d’année, c’est juste plus du double !).
En ce qui concerne le coût du sauvetage des banques et Cajas espagnoles, on en passera par une recapitalisation de 100 milliards d’euros. Avec ce qui a déjà été injecté récemment (15 puis 10 milliards d’euros) et les 60 milliards évoqués mardi matin, on y arrive : personne n’a cet argent — et certainement pas le gouvernement espagnol… mais ce chiffre à 11 zéros ne fait plus peur.
La question est donc : pourquoi ?
Cela démontre que le marché se réfère bien à des whisper numbers. Ces chiffres inavouables et parfois terrifiants et que l’on ne révèle qu’au compte-gouttes (à dose homéopathique comme le pratique J.P. Morgan depuis une semaine)… ou brusquement, pour assommer l’opinion et faire passer en force auprès des populations des réformes ultra-libérales, inacceptables par la négociation classique.
Après le petit intermède musical vivaldien — violons et hautbois — des dernières 48 heures (+4% pour le CAC 40 sur ses planchers annuels de vendredi), nous ne pouvons exclure le retour en force d’un mouvement symphonique aux accents wagnériens. Cela à grand renfort de cors de chasse, de bassons et de cymbales : gare à la rechute de l’Euro-Stoxx 50 si les 2 200 points ne sont pas refranchis.
2 commentaires
« Ultra-libéral » ! Encore les libéraux qui prennent !
Alors, que la crise vient des Etats providence qui dépensent de l’argent qu’ils n’ont pas depuis 40 ans,
que les grosses banques sont protégées par leurs copains énarques au pouvoir… Bien sûr, si on les mettait face à leurs responsabilités, il faudrait qu’elles ferment ou soient rachetées. Ce serait par trop ultra-libéral. Heureusement que les Etats, la corruption, la dette, la fuite en avant et l’appauvrissement généralisé des populations sont là pour nous protéger des ultra-libéraux !
Très bonne analyse (comme d’hab).
G.Glade