Ça y est, notre Premier ministre a annoncé des mesures « temporaires », assumant ainsi l’une de nos grandes coutumes politiques nationales. Je vais donc enfin pouvoir vous proposer un petit récapitulatif historique de cette dérive tragique vers le renoncement perpétuel à la sauce française.
Jean Castex, digne héritier d’une tradition qui remonte au moins à 1975
Le 3 septembre, deux mois seulement après sa prise de fonctions, l’ancien Monsieur Déconfinement succombait farouchement à l’un des péchés mignons de Matignon : le plan de relance.
A cause de la crise – ou peut-être grâce à elle, à force on ne sait plus trop –, selon Jean Castex…
« La pire option pour nos finances publiques aurait été précisément de ne pas faire de plan de relance, de laisser l’économie s’installer en sous-régime. Quatre points de PIB perdus, c’est chaque année environ 50 Mds€ de recettes non-perçues, donc de dette supplémentaire. »
Dès lors, afin de « repartir de l’avant », une solution évidente s’est imposée à lui :
Soyons clairs : à défaut de déconfiner la population pour permettre à tout un chacun de travailler, certaines mesures, comme le soutien au dispositif de chômage partiel de longue durée, s’imposaient. Nous nous situons évidemment dans le genre de période où un soutien de l’Etat à l’économie est souhaitable et nécessaire.
Force est cependant de constater qu’il y a à boire et à manger dans le plan de relance français, avec en particulier des tombereaux de subventions publiques à destination de secteurs d’activité depuis toujours chouchoutés par les autorités publiques…
… ou bien simplement dans l’air du temps.
Peu importe que vous soyez abonné à un journal ou un magazine, vous financerez donc encore plus la presse bleu-blanc-rouge, que cela vous plaise ou non. Tant pis si ces mesures distordent encore plus ce marché, empêchant ainsi les canards boiteux de finir sur le côté et à de nouveaux acteurs de tenter de les remplacer.
Il ne faudrait en effet surtout pas que le flot permanent d’idées étatistes ne cesse de se répandre au sein de la société, en particulier à deux ans des élections présidentielles…
Idem si vous veniez de rénover votre habitation. Vous contribuerez aussi à financer la « transition écologique » de celle de vos voisins, et ce d’autant plus que les ressources de leurs ménages sont « modestes » ou « très modestes ».
En France, les gouvernements qui se succèdent n’ont qu’un outil pour « éviter les drames humains » : la « dégradation temporaire » des soldes publics, laquelle est tellement temporaire qu’elle a en fait débuté en 1975 sans jamais discontinuer depuis lors.
En réalité, la « préférence infinie » des autorités publiques pour le déficit budgétaire n’a pas attendu Jean Castex pour être la norme, puisque la plupart d’entre nous n’a jamais connu qu’elle.
Sur le plan de la terminologie, il y a au moins deux façons d’annoncer ce grand classique de politique économique française. On peut en effet soit évoquer une « dégradation temporaire des soldes publiques » – formulation à réserver aux occasions solennelles –, soit annoncer que l’on va « creuser le déficit » – une formule particulièrement adaptée lorsqu’aucun événement particulier ne justifie la dilapidation de l’argent des contribuables.
Richard Ferrand, le 11 décembre 2018
Ceci posé, nous pouvons passer à l’autre pendant du plan de relance : la hausse continue de la fiscalité.
La France, ce pays où les impôts ne meurent jamais
Dans son livre Les Impôts : Histoire d’une folie française (2017), dont je vous avais proposé une note de lecture, Jean-Marc Daniel revient en détail sur la litanie de mesures fiscales qui ne devaient en principe accabler le contribuable que sur une très courte durée.
Ainsi l’historien de l’économie nous ramène-t-il en 1995 pour évoquer l’avènement de la fameuse CRDS :
« Par ailleurs, le plan Juppé crée la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) en charge du remboursement de la dette sociale accumulée. Elle est financée par une nouvelle contribution (contribution pour le remboursement de la dette sociale ou CRDS) qui est une copie conforme de la CSG et dont le taux est de 0,5 %. Mais il est bien précisé que ce prélèvement est provisoire et s’éteindra avec la disparition de la dette sociale (!). »
Alors que l’existence de ce prélèvement ne devait à l’origine s’étendre que sur 13 ans, son extinction a été repoussée à plusieurs reprises pour des raisons évidentes. En début d’année, les autorités publiques envisageaient encore sa disparition en 2024.
Le problème, cette fois-ci, c’est que Bercy se verrait bien cantonner nos 150 Mds€ de « dette Covid » dans la CADES, avec un remboursement (via la CRDS) qui pourrait se prolonger jusqu’en… 2042.
Au départ, la CRDS devait être « provisoire ». Or nous voilà « tatoués pour la vie », comme dirait mon père…
Notez au passage que quiconque prétend qu’il n’y a pas de nouvel impôt tente de nous mener en bateau. Le probable maintien de la CRDS est le premier d’entre eux – et il y aura malheureusement bien d’autres occasions de vérifier qu’en France, quand on fait une connerie, on n’en sort plus jamais…
Attention à ne pas confondre la CSG avec la CRDS !
Impossible d’évoquer la CRDS, qui a eu le mérite de rester stable à 0,5% (quel que soit le revenu concerné), sans parler de sa grande sœur, j’ai nommé la CSG. Le taux de cette contribution atteint désormais entre 6,2% et 9,2%, en fonction du type de revenu qu’elle vient frapper.
Je profite cependant de ce billet pour tordre le cou à une légende urbaine très largement répandue : contrairement à la CRDS, la CGS n’avait à l’origine rien de « temporaire ». Il s’agissait au contraire pour Michel Rocard d’une réforme historique qui avait vocation à perdurer. Il déclarait en effet devant l’Assemblée nationale, en novembre 1990 :
« Après l’instauration de l’impôt sur le revenu, en 1914, après l’introduction de la TVA, en 1953, après la création de l’impôt sur la fortune en 1981, la contribution sociale généralisée marque une étape fondamentale de la réforme de notre système de prélèvement fiscal et social. »
D’où le fait que les gouvernements qui se sont ensuite succédés n’aient eu aucune vergogne à faire passer son taux de 1,1% en 1991 à 9,9% à son sommet en 2018.
Pour rappel, la CSG et la CRDS ne sont que deux des cinq composantes des « contributions sociales sur les revenus du capital », plus communément appelées « prélèvements sociaux », dont voici un récapitulatif :
Source : Wikipédia
Voilà pour aujourd’hui.
Comme nous le verrons samedi prochain, la dérive de ces mesures prétendument « temporaires » qui n’en finissent en fait jamais n’est pas une spécificité française : les Etats-Unis ne sont pas épargnés…