▪ Comme vous l’avez observé, le CAC 40 stagnait de façon très singulière autour des 3 920 points depuis jeudi dernier. Le motif invoqué lundi était que les opérateurs n’avaient aucune statistique à se mettre sous la dent et que le recul de l’euro influençait négativement la tendance.
Ce mardi matin, toujours aucune statistique mais un repli collectif des marchés asiatiques : -1% à Shanghai. Et un euro qui continue de s’éloigner des 1,42 $, et qui repasse sous les 1,39 $. Mais ô surprise : voici la hausse qui redémarre et le CAC 40 qui s’envole de 50 points vers 3 960, avant d’en terminer à 3 945 points — l’année redevient positive de 0,3%.
Il fallait vraiment être complètement naïf pour penser que les indices boursiers n’avaient aucune raison de monter parce que le biais initial était clairement baissier et les prétextes pour une telle hausse inexistants. Sans oublier bien sûr une nouvelle rafale de phrases assassines à l’encontre du recours à la planche à billets de la Fed, la dernière à s’exprimer étant Angela Merkel.
Toutes les conditions étaient en fait réunies pour orchestrer une nouvelle flambée indicielle parfaitement inexplicable… et donc taillée sur mesure pour des programmes de gestion informatisés. Rappelons que pour ces derniers, toute l’information n’est pas dans le cours — mais dans le cours est toute l’information.
La méfiance à l’égard de la progression somnambulique des marchés se renforce toutefois chaque jour, comme en témoigne la contraction symétrique des volumes. Plus aucun gérant ne veut se risquer après sept, huit, neuf puis 10 semaines de hausse ininterrompue.
▪ Le Nasdaq semblait cependant déterminé à aligner une 20ème séance de hausse (plus deux inchangées) sur une série de 23 — contre une seule journée de repli le 19 octobre.
Ce ratio surréaliste de 90% de séances de hausse depuis un mois n’intrigue apparemment personne. Le marché considère que l’assouplissement quantitatif a éteint tous les motifs d’inquiétude et résoudra toutes les difficultés économiques présentes ou à venir.
Le marché parisien aligne une 11ème semaine de hausse… imitant ainsi le palladium, le maïs, les T-Bonds, le pétrole, le Nasdaq, le cacao, le DAX 30, l’or, le Dow Jones, le café…
La chute du dollar expliquait le gonflement de toutes ces bulles jusqu’à présent… mais le voici qui reprend 2% en 48 heures. Résultat, le CAC 40 flambe derechef, jusqu’à 1,3% en séance !
Nous observons impuissant ce système de marché truqué, nourri à la fausse mornifle et totalement manipulé par les ordinateurs d’une poignée de très grandes banques travaillant de concert avec la Fed. C’est un fait avéré : plus les évolutions indicielles sont absurdes et imprévisibles, plus les gains sont importants pour les rares initiés qui en sont à l’origine.
Ils peuvent s’appuyer sur les "suiveurs systématiques" — les auxiliaires serviles de mouvements de cours dont ils refusent par principe de connaître la cause — pour donner un peu de substance à des élans qui n’ont le plus souvent comme but que de "scalper" (prendre à contre-pied) en quelques minutes des positions "longues" ou "short" mal protégées sur les dérivés.
La philosophie de ces opérations coup de poing est la suivante : "vous avez raison sur le fond mais nous avons les moyens de vous faire assez mal pour que vous lâchiez l’affaire".
▪ En dehors de ce genre d’amabilités, le gros des échanges quotidiens provient d’une guerre entre ordinateurs gavés d’algorithmes ultra-rapides. Ils cherchent à capter de micro-écarts entre diverses plateformes de cotations ou prélever quelques cents sur les rares véritables ordres de bourses transmis par les caisses de retraite et les particuliers.
Les opérateurs aux sourires de gagnants interrogés chaque soir à Wall Street récitent avec une touchante unanimité leur catéchisme "des taux éternellement bas promis par la Fed = prix des actions éternellement plus élevés". Mais l’absence d’acheteurs finaux prouve que chacun est bien convaincu du fait que la hausse des indices est bidon.
▪ La Fed orchestre une fuite en avant de ses principaux partenaires — et actionnaires, ce sont les mêmes — dans des opérations spéculatives sans la moindre utilité sociale. Les prix des actifs négociables flambent mais ils ne reflètent ni ne servent aucune réalité économique.
Il n’y a plus de véritables acheteurs depuis trop longtemps. Ce sont des logiciels de trading quantique qui jouent entre eux et se refilent le papier en prenant soin qu’il vaille un peu plus cher chaque jour. C’est comme si deux gros enchérisseurs faisaient grimper la cote d’un obscur photographe pendant que les vendeurs potentiels se voient interdire l’entrée de la salle.
La Fed crée depuis des années une inflation d’acheteurs virtuels, y compris hors des frontières des Etats-Unis. Ils font tendre les prix vers l’infini (ce fut vrai pour la bulle immobilière, cela l’est également pour les autres classes d’actifs aujourd’hui), ce qui crée symétriquement dans la sphère réelle une pénurie d’acheteur solvables… jusqu’au moment improbable où un accident systémique contraint soudain l’offre et la demande à concorder.
Les spéculateurs achètent une hypothèse de prix… et les vendeurs se retirent cyniquement du marché sachant que la liquidité abonde. Parallèlement, ils "couvrent" leurs gains virtuels (sans vendre concrètement sinon les cours chuteraient, les véritables acheteurs étant absents) en contractant une assurance auprès de ceux-là même qui tirent inexorablement les cours pour générer un effet de richesse, sur injonction publiquement assumée de la Fed.
Ils se retrouvent donc doublement acheteurs… mais font le pari que la hausse durera suffisamment longtemps pour encaisser l’intégralité de la prime payée. Cela reflète exactement le même type de raisonnement que pour les dérivés de crédit (CDO, MBS).
Si la tendance se retourne, ils devront effectuer une double volte-face à… aucun acheteur individuel solvable, ni aucun professionnel pressé de se positionner à bon compte puisque tout le monde sait que c’est une bulle !
Les vrais vendeurs (toujours détenteurs de l’actif sous-jacent), comprenant que la tendance se retourne, passeront dans le camp des shorts face à… personne.
Ils pourraient d’ailleurs découvrir que leurs "assureurs" contre la baisse du marché (peu importe lequel, il peut s’agir des T-Bonds, du cuivre ou du coton… au plus haut depuis 140 ans) sont incapables d’honorer leurs engagements, tout comme les monoliners suite à l’éclatement de la bulle des subprime et des muni-bonds.
▪ Pour l’heure, chacun se croit à l’abri des ennuis derrière le mur de liquidités de la Fed et renforcé dans sa conviction haussière par l’absence de réaction de Wall Street aux critiques qui fusent de toute parts. Certains experts chinois en ont même assez de dénoncer l’ineptie du QE2 : Dagong, l’une des quatre agences de notation nationales, vient de dégrader la note des Etats-Unis de AA+ à A (avec perspective négative, comme l’Espagne).
Riposte immédiate des traders à Wall Street : "on s’en fiche des Chinois et de leurs agences de notation bidon : certaines de leur banques cotées AAA mériteraient d’être classée B-".
Ceci illustre bien la "bras d’honneur attitude" qui caractérise la sphère financière américaine depuis la crise de l’automne 2008 !