Par Simone Wapler (*)
Ceux-là mêmes qui pensaient et écrivaient que l’euro était fort avant l’été soulignent maintenant sa faiblesse. Qu’est-ce qui fait qu’une monnaie est "forte" ou "faible" ? Une simple question de perspective.
A l’éclatement de la crise financière, il y a un an, la parité eurodollar était de 1,36. "Au niveau de 1,45", avaient, à l’époque, commenté les experts, "nous entrerons dans une grave crise financière". La parité eurodollar a touché 1,60 fin avril. Nous en sommes maintenant à 1,47. Bien entendu, nous savons que l’euro n’a jamais été fort. Nous savons seulement que le dollar a eu une crise de faiblesse historique.
Nous vivons dans une marée de liquidités décrétée par les banques centrales selon les directives de leurs gouvernements. La marée la plus importante est évidemment celle du dollar. Toutes les monnaies dépendent plus ou moins de l’abondance de billets verts. Ces liquidités se sont portées vers les actions, l’immobilier et les investissements industriels au gré des pays et des secteurs d’activité. Pourtant, quelle monnaie achète aujourd’hui plus de matières premières qu’il y a un an ? AUCUNE. Soyons plus spécifiques : quelle monnaie achète plus de pétrole qu’il y a un an ? AUCUNE.
Il y a un an, le pétrole était à 75 $ le baril. Il est maintenant à 112 $ le baril. Ni le dollar, ni l’euro n’achètent davantage de pétrole.
Sur la même durée, ni le dollar, ni l’euro n’achètent non plus davantage d’aluminium, d’argent, de blé, de cacao, de café, de coton, de cuivre, de bétail, de maïs, d’or, de platine, de soja ou de sucre.
Ces deux monnaies ont baissé, puisqu’elles ont moins de pouvoir d’achat. Elles ne sont donc pas fortes. Certaines évidences méritent ainsi d’être rappelées.
La hausse des matières premières se poursuivra
Nous ne sommes pas du genre à dire "achetez, puisque cela monte", argument favori de conseillers financiers peu scrupuleux qui poussent en avant la dernière patate chaude que leurs établissements leur demandent de faire passer pour qu’elle brûle les mains de quelqu’un d’autre.
Nous vous disons "achetez, car la hausse n’est pas finie".
Côté demande, celle des pays émergents va continuer à progresser. Soyons sérieux, même si la récession des pays riches leur fait perdre quelques points de croissance, il y a un mot à retenir : "croissance". Plus de 5%, c’est déjà l’euphorie pour nos économies matures. Il est extrêmement improbable que la Chine, l’Inde, le Brésil et la Russie descendent sous ce chiffre. La croissance mondiale reste positive, le poids démographique fait le reste.
Du côté de l’offre, ça se rétrécit. Les terres cultivables ne sont pas extensibles. Pis : les accidents climatiques abaissent la productivité. Le réchauffement planétaire, avec la montée résultante des eaux, va diminuer les surfaces.
Pour le pétrole, les pays producteurs nationalisent leurs réserves et en rendent l’exploitation difficile car ils ne possèdent pas toujours la technologie permettant d’aller découvrir et aspirer les nappes qui se cachent dans les profondeurs maritimes.
Pour les métaux, le sous-investissement minier qui date de l’euphorie des nouvelles technologies mettra encore quelques temps à se rattraper. L’assèchement du crédit ne va pas faciliter l’éclosion de nouveaux projets.
Le rebond du dollar est anecdotique
Avec neuf banques déjà en faillite, des ménages qui consomment à crédit, des organismes de financement en grande difficulté, une guerre extraterritoriale coûteuse, il est illusoire de penser que les Etats-Unis peuvent avoir une monnaie forte.
Le FMI estime que la baisse du dollar n’a pesé que pour 25 $ dans l’emballement des prix du pétrole. Tôt ou tard, ce choc pétrolier va se traduire par encore plus d’inflation. Même en laissant de côté l’influence du pétrole seul, et en ne prenant en compte que l’augmentation des prix des matières agricoles, l’impact est considérable. Les produits agricoles ont doublé en un an et ceux-ci rentrent pour 30% dans le prix des produits finaux des pays émergents. Nul besoin de posséder un doctorat d’économie pour comprendre que :
– l’ouvrier chinois a besoin de se nourrir ;
– le prix de sa nourriture augmente ;
– son salaire est réajusté ;
– le produit final devient plus cher.
Et voilà pourquoi, il ne faut pas s’attendre à voir le prix de nos produits finis baisser.
Meilleures salutations,
Simone Wapler
Pour la Chronique Agora
(*) Simone Wapler est analyste, journaliste et ingénieur de formation. Elle a déjà contribué à des publications telles que Le Point, Enjeux, Les Echos, Chart’s… Spécialisée dans les valeurs industrielles, les matières premières, les énergies, l’or, les minières Simone Wapler est passionnée par et les investissements "tangibles". Elle analyse chaque mois le secteur aurifère et les marchés étrangers dans le cadre de L’Investisseur Or & Matières et elle intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières et La Quotidienne de MoneyWeek.