▪ Les investisseurs japonais sont en congé jusqu’à jeudi matin ; Tokyo sera fermée pendant trois jours. C’est le moment de surveiller la parité dollar/yen car les forces sous-jacentes qui s’exercent à l’encontre du billet vert vont pouvoir s’exprimer sans entrave au cours des prochaines 48 heures.
Il faudra surveiller les volumes afin de déterminer si le carry trade yen/dollar s’est renversé en faveur de la devise nippone ou d’autres monnaies mieux rémunérées. Techniquement, cela signifie que les cambistes deviennent structurellement vendeurs de dollars. Stratégiquement, cela signifie qu’ils parient sur un status quo de la Fed — qui pratique le taux zéro depuis neuf mois — durant encore quatre ou cinq trimestres.
Si cette anticipation se vérifie, cela prouverait que la reprise "plus vigoureuse que prévu" aux Etats-Unis n’a aucune réalité, sinon dans le discours dominant des vendeurs d’actions à Wall Street. Cela montrerait également que la progression du PIB sera lente et laborieuse — d’où le maintien d’un loyer de l’argent négatif par rapport à l’inflation.
Si notre mémoire est bonne, le dollar a commencé à chuter vers le 10 septembre. Cette baisse suivait une déclaration du vice-président de la Banque centrale chinoise, qui estime que "l’économie américaine, qui vient de s’écraser en bas de la falaise, a juste cessé de s’enfoncer davantage".
Wall Street avait confondu les sacs à dos de randonneurs avec les parachutes en grimpant au sommet du canyon des dérivés de crédit. Elle a fait une très mauvaise chute, entraînant l’économie réelle dans son sillage. Les leaders d’opinion tentent de nous persuader que les Etats-Unis ne souffrent en fait que d’ecchymoses bénignes et de quelques éraflures du côté de la croissance (estimée à 3% en rythme séquentiel au troisième trimestre 2009).
Vu au travers de jumelles équipées de filtres roses, la croissance se serait remise à agiter les bras au deuxième trimestre. Les uns nous assurent que ces gesticulations signifient que tout va bien et que l’activité s’apprête à remonter la pente en petite foulée. Les autres (que plus personne n’écoute) redoutent qu’il s’agisse des appels au secours désespérés d’un blessé dont les deux jambes et le bassin sont fracturés, ainsi que la colonne vertébrale au niveau du haut des reins.
Tant que le haut du corps et la tête bougent encore, c’est que l’accidenté n’est pas mort ! De là à prédire sa prochaine victoire au marathon de New York, il y a un abîme que beaucoup n’hésitent pas à franchir en courant sur un câble d’acier, les yeux bandés.
▪ Certains s’inquiètent du niveau de valorisation des actions après un rebond de 60% en moyenne en l’espace de six mois. Les stratèges leur répliquent qu’il ne faut y voir qu’un retour à la normale : ils en veulent pour preuve la prime de 68% offerte par Dell qui lance une OPA de 3,9 milliards de dollars sur Perot Systems (qui bondissait de 65% lundi soir).
De nombreux gérants actions se félicitent par ailleurs que le Dow Jones soit revenu à seulement 30% de ses sommets historiques d’octobre 2007. Le sentiment de richesse des Américains va s’en trouver largement amélioré alors que le secteur immobilier émet des signaux de stabilisation.
Soit… mais à combien estimez-vous le niveau de survalorisation de Wall Street au début de l’automne 2007 ? Les PER battaient des records sur le S&P alors que les projections de bénéfices pour les cinq années suivantes défiaient la logique. C’était un marché de bulle — et surtout un marché de dupes — mais il faudrait aujourd’hui prendre cette exception pour une norme d’évaluation correspondant à la moyenne historique.
Et de quelle moyenne historique s’agit-il ? Eh bien… celle des 20 dernières années (les années Greenspan), où les marchés ont vécu sous un régime de surabondance de liquidités et d’excès de dettes permanents.
Si nous prenons comme antériorité les années postérieures à l’abandon de l’étalon-or (1973), le "comparable" s’avère beaucoup moins favorable ! Les PER se situent autour de 13 contre 18 ou 19 fois les profits anticipés — avec beaucoup d’optimisme — pour 2010.
Et les dividendes versés l’an prochain ? Si l’on retient l’hypothèse économique la plus favorable, seront-ils vraiment inférieurs de 30% seulement à ce qu’ils étaient en 2007 ? A l’époque, la croissance flirtait avec les 4,5% au Etats-Unis et les 3% en Europe, tandis que l’immobilier grimpait à un rythme annuel supérieur à 15%, soutenant une consommation qui affichait une expansion de 5 à 5,5% depuis 2004…
▪ Les investisseurs balayent l’objection de la morosité de la consommation. Selon eux, les entreprises ont démontré une surprenante faculté d’amélioration de leur productivité au deuxième trimestre 2009. Le message est clair : la morosité de l’économie réelle ne saurait affecter la capacité bénéficiaire des sociétés cotées car il existe un inépuisable gisement de réduction des coûts (licenciements, délocalisation, économies d’échelle) à exploiter en temps de crise.
Ceci nous rappelle le discours visant à nous convaincre que l’effondrement des CDO, MBS et autres CDS ne pouvait contaminer l’économie réelle — le problème étant cantonné à un segment bien particulier de l’industrie du crédit qui n’affectait pas la faculté de financement du secteur bancaire.
Les milliers de milliards déversés par les banques centrales dans les circuits financiers depuis la mi-septembre 2008 auraient permis d’éviter un credit crunch durable. Par ailleurs, la consolidation des bilans des banques autorise la Fed à affirmer que le "pire est — probablement — passé".
Tout risque de rechute est donc écarté… sauf bien entendu pour les deux banques liquidées par la FDIC aux Etats-Unis ce week-end, ce qui porte le total annuel à 94.
▪ Adieu la crise systémique, place à la reprise ! Mais de laquelle s’agit-il ? L’Association française des sociétés financières (ASF) vient d’annoncer que la masse de crédits accordés aux ménages et aux entreprises a enregistré une contraction "d’une ampleur historique" au premier semestre 2009
Ainsi, le financement des logements chute de 27,2% au premier semestre 2009 (contre -8,6% au premier semestre 2008 et -15,6% au second). L’ASF indique que les crédits à la consommation ont plongé de 15,8% sur les six premiers mois de l’année, une contraction "inédite depuis 20 ans". Ils ont dégringolé de 27,3% dans la catégorie "prêts personnels" (sans objet spécifique).
Les crédits affectés à l’automobile reculent de 12,3% malgré la prime à la casse ; ceux destinés à l’équipement du foyer abandonnent 9,2%.
Les crédits revolving (affichant désormais des taux d’intérêt quasi-usuraires de 20% et plus quand l’argent servant à les financer ne coûte que 1% auprès de la BCE) baissent de 10,5%.
Mais le plus inquiétant, c’est que le crédit aux entreprises s’est contracté de 24%, sachant que deux tiers des sommes prêtées servent à financer des restructurations.
Les opérations de crédit-bail-mobilier enregistrent un plongeon de 29,1% : "un effondrement d’une amplitude sans précédent depuis le printemps 1993" précise l’ASF.
Nous voulons bien admettre qu’il est difficile d’aller plus bas et qu’une stabilisation est possible… Mais qu’est ce que ces chiffres nous amènent à penser de l’état réel de l’économie "tombée du haut de la falaise" (comme l’exprime également Warren Buffett) ?
▪ N’allez pas croire toutefois que ce qui précède ait pu gâter l’humeur des marchés financiers !
Les optimistes qualifient la séance de consolidation de ce lundi comme très encourageante. En effet, le CAC 40 n’a cédé que 0,4% (dans un volume modeste de 2,8 milliards d’euros) au lendemain d’une séance des "Quatre sorcières" qui concluait une semaine positive de 2,5% et un trimestre boursier hors norme où les valeurs françaises ont bondi de 20% — leur meilleure performance estivale depuis 1993.
La rechute de 4% du prix du baril sous les 69,5 $ n’a pas davantage entamé le sentiment que la hausse du prix des matières premières préfigurait une embellie économique… plutôt qu’une fuite savamment orchestrée vers des actifs tangibles par les détenteurs de dollars.