▪ Pékin remet ça. A 48 heures du communiqué final du FOMC de la Fed, un ministre de haut rang de l’Empire du Milieu dénonce la campagne de destruction ordonnée du dollar par les Etats-Unis.
Il faut croire que les talents polyglottes de Tim Geithner — qui parle assez bien le chinois selon la presse américaine — n’auront pas suffi à amadouer le vice-Premier ministre Wan Qishan le week-end du 23/24 octobre, juste au lendemain du sommet du G20 qui se tenait à Séoul.
La Chine considère — et elle n’est pas la seule — que la création monétaire américaine est hors de contrôle. Toujours selon la Chine, les appels américains visant à obtenir une politique des changes plus volontariste, qui viserait à une réévaluation plus rapide du yuan, ne sont que des gesticulations dictées par le calendrier politique en cette veille de législatives (élections de mi-mandat).
Et nous sommes également nombreux à nous demander ce qui nuit le plus à la stabilité financière internationale : la progression trop lente d’une devise encore inconvertible… ou les méga-déficits d’un pays qui s’apprêterait à imprimer au bas mot 1 000 milliards de dollars (sans quoi, le marché sera profondément déçu) ? On peut vilipender les Chinois tout en créant soi-même de la fausse monnaie dans des proportions historiques… mais on ne saurait prendre le risque de chagriner Wall Street.
▪ Wall Street, justement, enchaîne les séances "pour rien". Après la variation nulle des indices américains vendredi, le même diagnostic pouvait être posé lundi soir : le S&P avançait de 0,1% et le Dow Jones de 0,05% (vendredi c’était +0,04% et -0,04% respectivement).
Le Nasdaq, qui a clôturé en repli de 0,1%, met un terme à une série de huit hausses consécutives — avec tout de même la réédition lundi matin du record annuel du 6 mai dernier.
Vous en faut-il davantage pour vous convaincre que l’évolution des indices américains est totalement sous contrôle… et qu’il n’est pas question que Wall Street s’aventure 1% au-delà ou en-deçà de ses récents records annuels ?
Cette longue série de scores nuls continue de mettre en échec toutes les stratégies directionnelles. Ces dernières sont devenues un véritable gouffre financier pour tous ceux qui jouent une tendance par le biais d’instruments à effet de levier, vulnérables à l’évaporation de la "valeurs temps" ou de la volatilité (le VIX est fermement maintenu au contact du plancher technique des 20%).
La déconnexion entre Wall Street et les statistiques américaines, c’est notre pain quotidien depuis fin août. Les indices US ont d’abord bondi de 1% peu après la publication de l’ISM manufacturier qui a grimpé de façon inattendue de 2,5P points, à 56,9 contre 54,4 précédemment (et 54 anticipé). Mais ce trop bon indice d’activité a provoqué un rebond du dollar, ce qui a finalement anéanti les gains initiaux.
Les cambistes avaient peu réagi aux dépenses des ménages américains — elles n’ont progressé que de 0,2% au mois de septembre, au lieu de 0,4% anticipé. Ils ont maintenu la pression sur le dollar avec des revenus des ménages en recul de 0,2%, là où le consensus ne tablait que sur un léger tassement de leur progression.
La principale explication à cette apparente pétrification de Wall Street, c’est que les anticipations d’un assouplissement quantitatif massif (500 milliards de dollars dès le 3 novembre et d’ici mars prochain, puis 500 milliards supplémentaires d’ici 2011) sont déjà prises en comptes dans les cours.
▪ La spéculation se déplace donc vers les matières premières et tout est fait pour encourager ce phénomène. Le broker ETF Securities a par exemple annoncé mi-octobre le lancement prochain de fonds dédiés dont la valeur sera adossée à un stock physique de métaux industriels (cuivre, zinc, plomb, nickel, étain) cotés sur le LME (l’équivalent londonien du CBOT ou du NYMEX américain). Le Credit Suisse et Glencore envisagent de créer conjointement un ETF aluminium.
Ces produits, cotés en Bourse et associés à des certificats de propriété délivrés par le LME, permettront aux spéculateurs multi-produits de s’attaquer au marché des métaux de base.
Flairant qu’il y aurait bientôt des dizaines de milliers de nouveaux pigeons à plumer, JP Morgan et le fonds d’investissement Blackrock, associé à la banque Goldman Sachs (les plus impitoyables "Terminators" d’investisseurs non-initiés sur les marchés dérivés), se préparent également à lancer des ETF adossés au cuivre. Et le métal rouge culmine — comme par hasard — à 8 000 $ la tonne environ, son record de l’été 2007.
Il se trouve que les Chinois avaient opportunément raflé tout le cuivre qui se présentait sur le marché en 2009 après l’effondrement (de 8 000 $ à 3 500 $) survenu au cours du second semestre 2008.
Un ralentissement de la construction qui se profile dans l’Empire du Milieu. Les "Goldman-Stanley" ne pouvaient donc choisir un instrument à terme ni un moment plus propice pour fournir à Pékin le bon outil de couverture — au moment où les métaux industriels sont chauffés au rouge par l’oxygène liquide déversé par la Fed dans la sphère financière.
La principale question qui reste en suspens est la suivante : que vont faire les Chinois des milliards de dollars (verts comme du cuivre oxydé) qu’ils ne vont pas manquer d’engranger sur ces marchés ? Ce sont eux qui font les prix — voyez comment ils gèrent avec une redoutable efficacité leurs stocks de terres rares…