▪ Le peuple grec semble tenir le destin de l’Europe entre ses mains, constatent les uns — les europhiles convaincus. L’Europe tient celui de la Grèce entre les siennes, affirment les autres — les hellénophobes habitant au nord du Danube.
Cela dépend de quel point de vue on se place. Pour ne pas faire de jaloux, nous reconnaissons qu’il existe une large part de vérité et de bon sens dans les arguments des deux camps.
Nous avions l’année dernière, à peu près à la même époque, comparé l’Europe de la monnaie unique à une cordée s’attaquant au mont Blanc et posé la question crûment : la Grèce vient de tomber dans une crevasse, est-ce que l’on coupe la corde ?
Les Allemands répondent par l’affirmative car Athènes a commis une double faute. D’abord, elle a menti sur ses capacités physiques à la veille d’entreprendre une course exigeante qui demande du souffle et de la discipline. Ensuite, elle n’a pas marché dans les traces des premiers de cordée — ce qui lui aurait évité de passer sur la partie la plus faible du pont de neige.
La France considère en revanche qu’une cordée, c’est justement fait pour sauver des vies quand le danger est partout et que la pente est piégeuse. Sinon, autant grimper chacun de son côté et que le plus chanceux arrive au sommet le premier.
Le but semblait au départ d’emmener tout le monde sain et sauf sur le toit de l’Europe… mais le sentiment qui domine aujourd’hui, c’est que si l’on tente de tirer la Grèce des entrailles du glacier, cela va prendre de précieuses minutes, voire même des heures, en comptant l’immobilisation des fractures et la confection d’un brancard.
Avec le mauvais temps qui se rapproche rapidement (de gros nuages envahissent le versant italien), toute la cordée risque d’y passer en cas de tempête de neige avant la tombée du jour.
▪ Ce sont désormais tous les alpinistes qui sont en danger…
Si la Grèce avait été de taille à suivre le mouvement, le sommet du mont Blanc aurait été atteint avant la mi-journée et la redescente aurait pu s’effectuer sous un ciel encore clément.
Même si la fin du parcours se déroulait sous la pluie, les 17 participants seraient tous sortis de la « zone de danger » — disons 3 500 m et au-delà, car les vents y soufflent souvent à plus de 100 km/h tandis que la température peut rapidement chuter sous les -10°C, même en plein été.
Il est facile aujourd’hui de conclure que la cordée n’ira pas au bout de la course… mais ce n’est plus là que se situe le débat. La question est maintenant de savoir quoi faire pour que le maximum des alpinistes rejoigne le fond de la vallée sains et saufs.
Si j’étais confronté, ainsi que des alpinistes dignes de ce nom, à une telle situation, mon premier réflexe serait d’appeler l’hélicoptère du BGHM de toute urgence, en prenant tous les frais à ma charge… La couverture téléphonique est très bonne sur toute la partie du massif qui s’étend des Grandes Jorasses à l’arête des Bosses et au refuge des Grands Mulets, je l’ai testé par moi-même. Une fois sécurisé dans un hôpital, il serait toujours temps de décider que la Grèce ne fera pas partie de la prochaine course en haute montagne.
Mais il y a un autre souci et pas des moindres : l’Espagne, le Portugal, l’Irlande et l’Italie boitent méchamment ou sont perclus de crampes. La redescente s’avère déjà très problématique…
Face à un tel cas de figure, nous savons qu’il n’y a pas assez de place dans l’hélicoptère (le FESF rebaptisé MES à compter du 1er juillet) : ce serait ou l’Espagne ou l’Italie — en plus de la Grèce — mais pas les trois en même temps. Il n’y a pas assez de portance à cette altitude pour un hélico ayant déjà à son bord un pilote et deux sauveteurs.
▪ Que se passerait-il dans la vraie vie ?
Eh bien, les deux ou trois alpinistes les plus valides resteraient aux côtés du Grec en attendant l’hélico. En descendant par la suite au pas de course et en « ramasse » sur les pentes non crevassées, ils pourraient échapper de justesse à la bourrasque neigeuse avant qu’elle ne gagne les sommets.
Les autres membres de l’expédition seraient priés d’emprunter sur-le-champ le chemin du retour, après avoir absorbé tous les fortifiants disponibles. Ceux qui ont du mal à marcher pourraient se laisser glisser sur les fesses, retenus et sécurisés par ceux qui sont encore en état de marcher et capables au besoin de soutenir les blessés.
Si tout se passe bien, à part le Grec envoyé à l’hôpital et pris en charge par la Sécurité sociale (par analogie, ce serait le FMI), les autres membres de l’équipe initiale devraient tous parvenir à se regrouper clopin-clopant avant de regagner Chamonix, fourbus, trempés, les muscles et les tendons en feu… mais unis et tous vivants.
Peu importe que toute la cordée n’ait pas planté le drapeau européen au sommet du mont Blanc. Ce qui compte, c’est qu’elle ait conservé sa cohésion et la confiance des marchés : c’est souvent une preuve de sagesse que de renoncer à des objectifs trop ambitieux… voire de faire demi-tour quand les conditions météo deviennent trop défavorables, même si toute l’équipe se sent dans une forme olympique et se croit capable d’enchaîner tous les 4 000 entre le mont Blanc et le Cervin.
Nous espérons que ce qui va se passer au cours des prochaines semaines va ressembler à ce scénario mais rien n’est moins sûr ! Il se pourrait qu’il n’y ait aucun hélicoptère de secours disponible. Il se pourrait aussi que certains membres de la cordée paniquent et tentent de redescendre en solo — gare à la prochaine crevasse !
Tout pourrait très mal se passer… mais le pire n’est jamais certain. C’est pourquoi les marchés ne se sont pas encore effondrés alors que le tableau reste potentiellement très sombre et qu’il suffirait d’un mauvais concours de circonstances pour que tout bascule de « l’incident » au drame !
▪ L’équilibre est maintenu une journée de plus
Les marchés font chaque jour de la corde raide depuis le 15 mai dernier mais à chaque fois, ils s’en sortent de justesse. Nouvelle illustration ce mercredi : le CAC 40 a échappé in extremis à l’enfoncement du seuil des 3 030 points.
Il termine tout de même en repli de 0,55% et inscrit une troisième baisse sur les quatre dernières séances. Cela confirme la prédominance de pressions vendeuses, ce qui ne doit guère nous étonner à 48 heures de la journée des « Trois sorcières » qui clôturera un mois de juin déprimant — et un premier semestre 2012 pour rien, s’agissant des principaux indices américains et asiatiques.
Cette séance très technique du vendredi 15 tombera à la veille d’un scrutin jugé crucial en Grèce qui pourrait faire basculer le destin de l’Europe vers la désintégration (au lendemain des « Quatre sorcières »)… ou plus de fédéralisme — mais c’est là la version « fée bleue et petites étoiles »… comme le drapeau européen.
1 commentaire
Merci pour cette chronique (je suis chamoniard). Mais, pour filer la métaphore, le bureau des guides n’aurait pas agréé une cordée si disparate, pour des raisons de sécurité, ne croyez-vous pas ?
Cordialement.