Si tout va aussi bien… pourquoi la Fed est-elle en train d’appliquer des mesures encore plus radicales que durant la crise de 2008-2009 ?
La principale nouvelle de ces derniers jours est passée presque inaperçue.
Avec tout le tapage autour de l’assassinat en Irak… de l’impeachment à Washington… et de l’affaire Harry/Meghan dans la famille royale anglaise… qui irait se donner le mal d’aller chercher, en page 10 du deuxième cahier du Wall Street Journal, cette petite information :
« La Fed injecte 83,1 Mds$ d’argent de court terme sur les marchés.
La Réserve fédérale de New York a injecté 83,1 Mds$ de liquidités temporaires sur les marchés financiers jeudi [9 janvier], l’un des dirigeants ajoutant que la banque centrale pourrait continuer ces injections temporaires plus longtemps que ne l’avaient prévu les décideurs en septembre. »
On dit souvent qu’il n’y a rien de plus permanent qu’un programme temporaire à Washington.
Eh bien, il n’y a pas de forme d’inflation plus permanente que la liquidité temporaire ajoutée par la Fed.
Fumée, feu et rustines
Les détails techniques des rustines monétaires de la Fed sont trop complexes pour cette Chronique.
Le lecteur inquisiteur voudra sans doute se renseigner, cependant : comment se fait-il que la Fed déverse de telles quantités de « liquidités » sur le marché alors que tout va si bien ?
Les marchés boursiers n’ont-ils pas atteint des sommets record ? Le taux de chômage US n’est-il pas au plus bas ? Les entreprises américaines n’enregistrent-elles pas des profits après impôts sans précédent ?
Nulle part – ni sur les marchés, ni dans l’économie réelle – on ne voit de fumée… sans parler de feu.
Pourtant, la Fed est sur place avec ses crochets et ses échelles… injectant plus de liquidités sur les marchés que durant la crise de 2008-2009.
Pourquoi inonde-t-elle une économie qui, au moins en surface, semble être si robuste et tenace ?
Aveugle, sourd et très bête
La première partie de la réponse est assez simple : la Fed essaie d’empêcher les marchés de faire leur travail.
Les marchés du crédit mettent les prêteurs en relation avec les emprunteurs. Lorsque les taux d’intérêts baissent, cela indique aux prêteurs que de nouveaux fonds ne sont pas nécessaires… et lorsqu’ils grimpent, les emprunteurs voient qu’ils devraient peut-être reculer.
Sauf que le plus gros emprunteur actuel est aveugle, sourd et très bête. C’est le gouvernement américain lui-même, qui emprunte désormais de l’argent au rythme de quatre milliards de dollars – à peu près – chaque jour ouvré. Et les autorités n’écoutent pas le marché ; elles lui aboient dessus.
Alors d’où va provenir tout l’argent ?
Les acheteurs étrangers se sont largement retirés du marché de la dette US l’an dernier. Les banques centrales étrangères – menées par la Russie et la Chine – achètent de l’or, non des bons du Trésor US. Selon le Birch Gold Group :
« En 2018, les banques centrales étrangères ont acheté des quantités d’or jamais enregistrées depuis 2010. [En] 2019, selon les chiffres du troisième trimestre, […] les banques ont acheté plus encore ; 12% de plus qu’en 2018. L’an dernier, les banques centrales ont acheté au minimum 550 tonnes de la ‘relique barbare’, et il semble qu’elles n’aient pas l’intention de s’arrêter de sitôt.
[…] Mais les banques centrales ne font pas qu’acheter de l’or ; elles exigent aussi que le stockage de leur or soit transféré, depuis leurs détentions offshore vers leurs propres coffres. »
Dans le même temps, le taux d’épargne US baisse depuis 70 ans. En tant que pourcentage net du revenu national, il est passé de 12% dans les années 1950 à tout juste 2% aujourd’hui. 2%, avec un revenu national de 19 400 Mds$ environ, cela fait quelque 388 Mds$. C’est une bien maigre « couverture » pour un gouvernement qui emprunte 1 200 Mds$ par an.
N’imaginez pas que l’épargne va grimper. Généralement, les gens épargnent entre 40 et 50 ans. Ensuite, ils dépensent leur épargne à mesure qu’ils prennent leur retraite. Dans la mesure où un nombre croissant d’Américains prennent leur retraite, l’épargne devrait baisser. Ce qui laisse moins d’acheteurs pour les bons du Trésor US.
Qui achète la dette américaine, alors ?
Les entreprises ne sont guère plus utiles. Selon les estimations des analystes, les bénéfices du dernier trimestre 2019 ont chuté de 2%. Les bénéfices réels avant impôts sont en tendance baissière depuis cinq ans. Et au lieu de fournir des fonds à l’Oncle Sam, les entreprises US se battent pour l’épargne.
Les ménages ont en général réduit leur dette suite à la crise de 2008-2009 ; les entreprises, elles, ont lourdement emprunté et doivent désormais près de 10 000 Mds$.
Ainsi, lorsque la dernière grosse vague d’emprunts gouvernementaux a atteint les marchés à la mi-septembre 2019, il y avait peu de prêteurs et peu d’argent disponible pour eux. D’un seul coup, les taux d’intérêt sur les marchés du financement de court terme (le fameux « repo ») se sont envolés au-delà des 10%.
C’est le taux que les banques se versent l’une à l’autre lorsqu’elles doivent emprunter de l’argent. Parfois, elles n’ont pas le choix : certaines grandes banques doivent acheter les obligations US qu’elles le veuillent ou non. Pour obtenir les fonds, elles empruntent sur le marché des repos.
Dans un marché fonctionnant normalement, des taux d’intérêt à 10% refroidiraient rapidement l’enthousiasme de l’emprunteur. « Houlà », dirait-il, « il va falloir y re-réfléchir ».
Mais les autorités ne réfléchissent pas, sans parler de re-réfléchir. Elles ont un facilitateur – la Fed. Cette dernière a acheté environ 90% de tous les nouveaux bons du Trésor US ces trois derniers mois. Cela se voit dans les détentions de dette de la Fed… qui ont grimpé de quelque 300 Mds$ depuis septembre, et reviendront bientôt aux sommets historiques atteints après la dernière crise.
Ainsi, cher lecteur, alors que nous entrons dans les années 2020, la trajectoire des Etats-Unis pour le XXIème siècle se fait de plus en plus claire : la guerre à l’étranger… et l’inflation monétaire à domicile.
Et là, nous ricanons avec les spectres. Car les générations précédentes le savent : la guerre et l’inflation sont toujours plus amusantes au début qu’à la fin.