▪ Pas de 10ème séance de hausse pour l’indice EuroStoxx 600… Cependant, la série de neuf progressions consécutives qui vient de s’achever ce mercredi constituait déjà un exploit rarissime.
D’autant plus rarissime que les entreprises européennes qui publient leurs chiffres d’affaires et leurs résultats ne cessent de les réviser à la baisse pour une majorité d’entre elles.
C’est ce qui explique les trous d’air en cascade que nous observons depuis le 10 octobre dernier. Souvenez-vous d’Ubisoft, Soitec, Nexans, LVMH, Dassault Systèmes, CGG et Vallourec puis ST-Micro hier (pour ne mentionner que les valeurs françaises). Nous pourrions également évoquer IBM, JC Penney, Caterpillar, Bank of America… puis E-Trade, Symantec et TripAdvisors (en chute libre) mercredi soir après publication de leurs résultats ou prévisions.
Puisque les indices grimpent de manière quasi-forcenée tandis que les trimestriels se dégradent, les gérants et les stratèges qui se succèdent devant les micros et les caméras sont obligés d’admettre que « les flux » (la fausse mornifle de la Fed) font tout cette année, alors que la conjoncture reste dans le meilleur des cas morose.
Il y a manifestement un changement de ton depuis le « coup de booster » survenu vendredi (séance des « Trois sorcières »), sans autre raison que la volonté des quelques sherpas de propulser les indices en territoire record. Cela afin d’optimiser des stratégies à grande échelle sur les marchés dérivés… et plumer le maximum de non-initiés en orchestrant une hausse injustifiée.
▪ Ben Bernanke = Bernie Madoff ?
Les gérants commencent à se dire mal à l’aise avec tout l’argent injecté par la Fed à raison de quatre milliards de dollars par jour ouvrable. La réaction obscène de Wall Street (soudaine envolée vers de nouveaux records absolus) lors de la publication des mauvais chiffres de l’emploi américain ne fait que heurter davantage la conscience de certains opérateurs revendiquant un minimum d’éthique.
Eh oui, il existe encore quelques gérants qui ne peuvent pas se contenter de se dire « tant que ça gagne, faut pas se poser de questions : on est payé pour engranger un max pour nos clients, pas pour déterminer si les gens à la tête de la Fed sont des génies ou des Madoff puissance 10 ».
Avec un bilan de la Fed qui s’envole gaillardement vers les 4 000 milliards de dollars à l’horizon mars 2014, il devient assez cocasse de se demander si Ben Bernanke peut être comparé à Bernard Madoff !
Le second est en prison pour avoir redistribué quelques malheureux milliards (qui n’existaient pas) au profit de des tous ses clients de la première heure. De son côté, « Bernie l’hélico » a imprimé 3 000 milliards de dollars de fausse monnaie sortant de nulle part, pour la refiler en exclusivité à quelques dizaines de partenaires triés sur le volet — les primary dealers.
En faisant chuter artificiellement les rendements obligataires, « Bernie l’hélico » escroque semaine après semaine, mois après mois, tous ceux qui ont épargné durant tout leur carrière et qui se voient désormais verser une pension de misère (c’est de l’anti-Madoff !).
Pendant ce temps-là, les complices de la Fed s’en vont flamber sans vergogne les milliards qu’elle leur distribue chaque matin dans le casino boursier et monétaire.
La spéculation sur les devises, c’est une activité qui pèse 5 000 milliards de dollars par jour : à côté de cela, le négoce des actions, c’est de la bricole.
▪ L’Europe et le serpent de mer chinois
Avec la rechute du dollar sous les 1,38/euros mercredi, il ne fallait pas aller chercher trop loin les raisons d’une consolidation sur les places européennes. Les commentateurs évoquaient le légitime besoin de souffler du marché, mais également des craintes relatives à la conjoncture en Asie. En effet, les entreprises très exposées sur les émergents ont souffert au troisième trimestre.
Là-dessus sont venues se greffer des rumeurs au sujet de banques chinoises potentiellement mises en difficulté par des Himalaya de créances douteuses.
Cela fait des années que ce serpent des mers de Chine remonte régulièrement à la surface (sans oublier la menace cosmique du « hors bilan »), avant de replonger dans les abysses de l’oubli… ou de l’inconséquence du marché. Ce dernier considère en effet que si un problème ne fait plus la Une des médias, c’est qu’il a disparu pour de bon — alors que l’on a simplement débranché le radar où son écho clignotait avec obstination.
Et pourquoi la rumeur a-t-elle ressurgi précisément ce mercredi ?
Serais-ce pour illustrer ce que nous expliquions à propos de la capacité des Américains à allumer des contrefeux et faire exploser des mines à distance pour distraire les investisseurs des problèmes qui se posent en interne ?
Alors que les marchés sont potentiellement au bord de l’explosion de la bulle, nous voyons déferler des « notes de conjoncture » non pas optimistes mais carrément ultra-haussières pour 2014.
▪ Vivement 2014 !
L’inégalable Michael Hartnett, stratège en chef de Bank of America, prédit que 2014 va s’imposer comme une année haussière d’une vigueur exceptionnelle, seulement comparable aux 12 mois qui ont précédé le passage au 21ème siècle.
L’argent gratuit de la Fed (la désignation politiquement correcte de la fausse monnaie qu’elle imprime avec la même allégresse et la même inconséquence que le Zimbabwe) va continuer de faire merveille… les taux vont demeurer exceptionnellement bas… la croissance va ressurgir avec une force que personne ne soupçonne… et l’on pourra en remercier l’indépendance énergétique à laquelle l’Amérique est parvenue en cinq ans avec le gaz de schiste (aucune catastrophe écologique à redouter, malgré de graves pénuries d’eau et la destruction systématique des sous-sols, rien que du bonheur).
Cela nous rappelle les délires permabullesques du début de l’année 2003, lorsque les stratèges pronostiquaient un Dow Jones à 36 000 avec l’éviction de Saddam Hussein et la population irakienne noyant bientôt les soldats américains sont un déluge de pétales de roses.
Le symbole peut-être le plus fort du délire collectif engendré par l’opium monétaire de la Fed, c’est le basculement de Nouriel Roubini dans le camp des haussiers. Il a désormais la conviction que le « put Bernanke » va interdire toute consolidation des marchés durant les trois ou quatre prochains trimestres.
David Rosenberg, l’ex-stratège en chef de Merrill Lynch, vient à son tour de retourner sa veste pour rejoindre le camp des permabulls qui pronostiquent un Dow Jones à 17 000 d’ici mars prochain et 18 000 d’ici fin 2014.
▪ Une stratégie sans faille
Admirez l’ardeur des nouveaux convertis et leur perte totale de contact avec le réel au nom d’une évidence qui devrait clouer le bec à tous les sceptiques : ce sont les 1% d’ultra-riches (qui détiennent déjà 80% des actifs boursiers) qui font monter le marché… et ils n’ont même pas besoin de le faire avec leur propre argent puisque la Fed le leur prête gratuitement.
Alors pourquoi voudriez-vous qu’ils se soucient de ce que gagnent les entreprises ou de combien de millions d’Américains en plus survivront grâce aux soupes populaires l’an prochain ? Pourquoi devraient-ils se soucier de qui va leur permettre de matérialiser les plus-values latentes sur leurs gigantesques portefeuilles boursiers ?
Il suffira de siffler les Chinois pour qu’ils accourent vers Wall Street — tout comme ils l’avaient fait en 2003 pour ramasser en masse les bons du Trésor US qui permirent de financer la guerre en Irak ! Ils n’ont qu’à les revendre pour acheter des actions au plus haut : la Grande rotation, ça vaut aussi pour les descendants de Mao.
A qui les Chinois pourraient-ils ensuite revendre leurs T-Bonds tout pourris ? Mais aux Européens bien sûr… puisque leur souci le plus impérieux sera de trouver un moyen de soutenir le dollar avant que sa chute inexorable ne fasse imploser la Zone euro. Et pour financer l’opération, la BCE n’aura qu’à imprimer 2 000 milliards d’euros via un super LTRO 3 de la dernière chance, tandis que 10% du patrimoine des Européens sera ponctionné « à la chypriote » pour solder la faillite de l’Espagne et éviter celle de l’Italie.
Et voilà, la boucle est bouclée ! Les ultra-riches sont encore plus riches et les épargnants européens récolteront — contraints et forcés — les créances pourries des Etats-Unis. Ces derniers demeureront ainsi le pays le plus puissant du monde tandis que les Chinois deviendront par la force des choses de vrais capitalistes puisqu’ils dépendront — en tant qu’actionnaires — de la bonne santé de centaines d’entreprises cotées à Wall Street.
Alors, ce n’est pas un super bon plan, tout ça ?
1 commentaire
Il y a quelques mois, je proposais dans un commentaire l’idée qu’acheter des actions n’était peut-être pas si bête notamment si on craignait l’inflation. L’inflation des marchés boursiers a bel et bien eut lieu. Depuis quelques temps, je me demande si les ultra riches n’ont pas entrepris d’acheter toutes les actions disponibles des multinationales et autres entreprises leaders et rentables en laissant planer par manipulation des médias et des commentateurs l’idée d’un krach imminent. En effet, quand la marée se retirera, c’est à dire quand les ultra riches auront terminer leur marché et que le moment sera venu de retirer les marrons du feu, quel sera la situation ? Les ultras riches seront devenus les seuls propriétaires d’entreprises pourvoyeuses de biens et de services indispensables.