Le Vieux Continent semble avancer, boitillant, vers un avenir incertain, entre dogmes écologiques et impuissance industrielle.
Les sujets d’étonnement sont tellement nombreux depuis le début de la semaine qu’il était difficile de faire un choix…
- Le démarrage boursier en trombe de Wall Street pour ce 4ᵉ trimestre, avec une nouvelle pluie de records lundi et mardi (mais nous l’avons déjà abondamment commenté).
- Les taux longs qui refusent obstinément de baisser, tandis que le dollar continue paradoxalement de chuter vers ses plus bas depuis trois ans et neuf mois.
- L’investissement géant de 100 milliards de dollars de Nvidia dans OpenAI (ChatGPT), qui soulève des questions d’abus de position dominante (j’en ai fait le thème de ma chronique audio de ce mardi).
- Le discours lunaire de Trump face aux délégués de l’ONU, après avoir été confronté à une étrange panne d’escalator.
- Des ventes immobilières qui explosent au mois d’août aux États-Unis (+20 % d’achats de logements neufs).
- Des ventes d’automobiles qui s’effondrent en France et en Europe.
Le point n°2 a soudain perdu de sa pertinence ce mercredi avec un rebond de +0,6 % du billet vert (que personne n’a vu venir). Le point n°4 mériterait de larges développements – notamment le revirement de Trump vis-à-vis de Poutine et de l’Ukraine –, mais il se pourrait qu’il fasse un 180° dans les 48 prochaines heures en expliquant que la Russie revient soudain à la raison (grâce à son discours coup de poing à l’ONU) et que la guerre devrait cesser avant la saison hivernale… ce qui lui permettra de prétendre – avec une raison crédible – qu’il mérite vraiment le prix Nobel de la Paix.
Je n’ai pas réussi à trancher entre les deux surprises économiques du jour : le rebond des ventes de logements neufs aux États-Unis et l’annonce de la fermeture – temporaire – de cinq usines du groupe Stellantis en Europe, tellement les ventes de véhicules neufs s’effondrent depuis quatre ans (hormis une brève parenthèse enchantée en 2021).
J’ouvre au passage une parenthèse pour souligner le contraste entre la vigueur du marché immobilier US et le véritable krach de l’activité en France, où l’investissement locatif a chuté des deux tiers en trois ans (les gouvernements se succèdent depuis trois ans, aucun n’a le temps de s’attaquer à la plus grande crise du logement depuis l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale)… mais cela a déjà été évoqué à maintes reprises, avec le constat que cela ne s’est – hélas – pas arrangé cet été !
Revenons-en à la première surprise de ce mercredi 24 : en dépit de taux hypothécaires compris entre 6,30 % pour les meilleurs dossiers et 6,75 % pour les emprunteurs offrant les garanties minimum, les ventes de logements neufs ont fait un bond pour le moins inattendu de +20,5 %, à 800 000 transactions en rythme annuel, contre 650 000 anticipées (665 000 le mois dernier).
Plus contre-intuitif encore : les prix, devenus inabordables pour plus de 80 % des Américains et qualifiés de « bulle » (avec un prix moyen de 534 100 $), ressortent en hausse séquentielle (d’un mois sur l’autre) de 11,7 % par rapport à juillet 2025, et en progression de 12,3 % par rapport à août 2024, soit plus de quatre fois le taux d’inflation… et, plus impressionnant encore, 3,5 fois le taux de progression des salaires.
Selon les dernières statistiques du BLS (Bureau of Labor and Statistics), le salaire moyen aux USA est de 5 680 $/mois ou 68 150 $/an, soit un peu moins de 4 300 $/mois après impôt. Acheter un bien de 535 000 $ sur 30 ans avec un apport de 20 % coûte 2 750 $/mois (et pratiquement 3 000 $ avec un taux à 7 %), ce qui, selon les prêteurs, nécessite un salaire net mensuel de 9 200 $ à 12 500 $ (150 000 $/an), ce qui signifie un revenu brut de 135 000 $ à 180 000 $ (le fait que l’emprunteur soit seul ou qu’il s’agisse d’un ménage, d’un entrepreneur individuel ou d’un fonctionnaire fédéral au job garanti explique cette large fourchette).
Si l’on considère le prix médian, plus « raisonnable », il ressort quant à lui à 413 500 $ (en hausse de 4,7 % d’un mois sur l’autre) et +2 % sur un an, mais cela va coûter 2 300 $ à 2 450 $ par mois (aux taux actuels) et suppose des revenus de 100 000 $ à 135 000 $.
En ce qui concerne la répartition géographique, les ventes de logements neufs se sont envolées dans le nord-est du pays (+72,2 %, de la Caroline du Nord au Maine), ainsi que dans le sud (+24,7 %, incluant le Texas et la Floride). Ce que nous disent ces chiffres, c’est que les acheteurs fortunés – qui n’ont nul besoin d’emprunter – achètent des biens de plus en plus imposants et avec plus de terrain… et il ne s’agit à l’évidence pas d’achats à but locatif.
Il semble que la motivation soit un peu la même que pour l’achat d’or : diversifier son patrimoine dans du tangible, alors que les actions – qui constituent l’essentiel des avoirs des millionnaires – commencent à atteindre des niveaux de valorisation vertigineux… et c’est bien le cas, puisque la plupart des ratios d’évaluation classiques sont désormais supérieurs aux pics de la bulle des « dot.com ».
En Europe, l’immobilier est en état de mort cérébrale : la hausse des taux et la prolifération des normes bruxelloises l’ont tué dans l’UE, et en France, c’est la disparition de tous les avantages fiscaux pour soutenir l’immobilier locatif qui provoque – je le répète – un krach (le terme n’est pas trop fort) de la construction, sans oublier qu’aucun ministre – ou secrétaire d’État – au Logement ne reste en place suffisamment longtemps pour proposer des mesures de soutien.
En revanche, des idées pour taxer davantage les propriétaires – les « rentiers » – prolifèrent dès leur entrée en fonction : c’est vraiment le seul domaine où l’Élysée et Matignon sont systématiquement d’accord sur le postulat que « les riches peuvent payer ».
La prolifération de normes, qui engendre des coûts trop élevés, est également à l’origine de l’effondrement du marché automobile (110 000 emplois supprimés en Allemagne en 2025, répartis à 60 % entre constructeurs et 40 % pour les équipementiers).
Et l’ampleur de la crise a conduit Stellantis à annoncer ce mercredi la fermeture, pour plusieurs journées ou même semaines en octobre, de cinq usines en Europe, notamment l’usine Opel d’Eisenach en Allemagne, celle de Saragosse (5 jours), Tichy en Pologne (8 jours), Pomigliano en Italie, puis l’usine de Poissy pour 18 jours (du 13 au 31 octobre).
Les périodes de chômage technique s’enchaînent depuis plusieurs trimestres mais passaient relativement inaperçues, car les chaînes de production continuaient de tourner, au ralenti, pas toute la semaine pour certaines… mais elles continuaient de tourner.
Cette fois, tout s’arrête : les usines vont demeurer silencieuses, les parkings vides (ceux des salariés, car les parkings de stockage des véhicules neufs sont remplis à saturation sur de nombreux sites). Les ventes d’automobiles en Europe ont chuté d’un quart depuis 2020, mais la décélération prend des proportions franchement alarmantes depuis un an, avec une chute de 13 % des immatriculations, essentiellement du fait de la chute des ventes de diesel.
Et ce qui devrait alerter les grands timoniers de mare aux canards de Bruxelles et ayatollahs de la décarbonation : les ventes de véhicules électriques, malgré une propagande de plomb, ne progressent qu’à la marge ; celles de Tesla stagnent complètement, malgré la gigafactory de Berlin.
Elles se maintiennent juste, mais les ventes de véhicules thermiques s’effondrent : qui voudrait acheter une voiture qui deviendra invendable d’ici cinq ans ? (À partir de 2030, plus aucun diesel ne devrait être produit, et le risque est de voir leurs possibilités de circulation restreintes avec une extension des ZFE à la plupart des villes de plus de 50 000 habitants.)
Strasbourg s’est déjà fixé comme but d’interdire les diesels dès 2028, mais ils ne sont pas seuls concernés : les Crit’Air 3, puis Crit’Air 2 (peu importe la motorisation) seront bannies de la ZFE en janvier 2027 et janvier 2028. Et le slogan « la ville respire » s’accompagne de l’interdiction de circuler dans les « hyper-centres », ou alors entre 20 et 30 km/h, c’est-à-dire deux fois moins vite que les trottinettes et vélos électriques « débridés ».
Le secteur automobile est victime de l’idéologie anti-bagnole des maires « progressistes » (notamment « écolos » et PS), de décisions unilatérales d’élites hors sol, prises sans aucune concertation avec les constructeurs (comme l’impératif dément d’arrêter de produire des véhicules thermiques d’ici 2035).
Et le tout électrique renforce notre dépendance envers la Chine pour les batteries, les microcontrôleurs, les écrans tactiles, les systèmes de navigation, etc., ce qui renforce l’industrie locale au détriment de la nôtre. Et les constructeurs chinois peuvent ainsi inonder les marchés mondiaux de véhicules non plus « bon marché », mais hyper-concurrentiels, remplis de technologies avancées et d’options bluffantes, inconnues en Europe, sauf sur du très haut de gamme… et même pas sur des Porsche.
Pour résumer, l’immobilier en Europe, c’est mort depuis trois ans ; l’automobile était à l’agonie et bascule dans les soins palliatifs ; l’UE reste un nain dans le domaine du cloud et de l’I.A… Autrement dit, nous avons désormais les deux jambes cassées, et la « tech » est bien trop frêle pour nous servir de fauteuil roulant et nous porter vers un avenir radieux.
Heureusement, il nous reste les directives / oukases de Bruxelles, les amendes et les taxes sur les géants américains ou chinois, qui ont pris trois longueurs d’avance… au risque que des mesures réciproques – ou pire, des embargos – nous enfoncent davantage.