Les pays d’Europe doivent réagir rapidement et fortement à la crise de l’énergie s’ils souhaitent conserver une activité manufacturière sur leur territoire.
Les effets immédiats de l’augmentation des prix de l’énergie sont bien connus. Pour les particuliers, la hausse des factures grève directement le budget mensuel – et ce malgré la générosité étatique qui masque la hausse des prix par un endettement du pays.
Pour les PME, qui commencent à peine à profiter de la solidarité nationale, les charges d’exploitations s’envolent. Pour certains secteurs industriels, c’est l’activité qui devient intrinsèquement non-rentable aux tarifs actuels. Production de verre, d’acier, d’aluminium et d’engrais : les annonces de débrayages immédiats ou prévus pour cet hiver se sont multipliées cet été.
Comme lors de la crise sanitaire, la crise énergétique passe dans un premier temps par une phase aigüe, abondamment commentée dans les médias. Moins visibles, les conséquences de long terme de notre précarité énergétique sont aussi moins discutées et anticipées par les agents économiques.
Pourtant, ce sont bien elles qui seront prépondérantes sur le temps long, celui qui intéresse les investisseurs. Déjà, nous voyons des industriels prendre acte de la situation énergétique peu enviable de l’Europe et adapter leur stratégie en conséquence.
Ces décisions, qui engagent l’évolution de notre tissu industriel sur les prochaines années, doivent être considérées comme un signal fort. Car sans industrie, pas de création de richesse, pas d’emploi, pas de taxes pour l’Etat et pas de bénéfices pour les actionnaires.
Industrie de pointe et coût du kWh
Voir les industries de transformation de matière première courber l’échine au cœur de l’été n’était qu’une demi-surprise. Après tout, ces activités à faible valeur ajoutée reviennent au niveau macro-économique à stocker de l’énergie sous forme solide. Il faut toujours 13 500 kWh pour produire une tonne d’aluminium partout sur la planète, et il est logique qu’une explosion des prix de l’électricité rende cette activité non-rentable sur le Vieux Continent.
De même, entendre les représentants de l’usine Duralex annoncer un débrayage de la production durant les quatre mois d’hiver a touché les Français attachés à la marque, mais la vaisselle en verre trempé n’est évidemment pas une activité à forte valeur ajoutée. Duralex ne peut ainsi pas s’appuyer sur les mêmes marges que les entreprises high-techs pour absorber une explosion de ses coûts énergétiques.
En revanche, voir un industriel de pointe comme le groupe Safran adapter sa stratégie à la pénurie énergétique montre que notre crise entre dans une phase chronique.
L’équipementier aéronautique a annoncé début novembre mettre en suspens la décision de construire sa nouvelle usine de freins carbone à Feyzin, près de Lyon. Le projet, qui représente un investissement de 230 M€, avait déjà été reporté durant le Covid.
Maintenant, c’est l’existence de ce projet qui est remise en question. Et ce n’est pas le seul… Cliquez ici pour lire la suite.
Si l’inauguration en 2024 du nouveau site n’était évidemment plus d’actualité, c’est son existence-même qui est aujourd’hui remise en question. Olivier Andriès, le directeur général de Safran, a joué carte sur table lors de l’annonce des résultats trimestriels. La survie du projet dépendra « de la façon dont va évoluer le prix de l’énergie en France, mais aussi de l’éventuelle mise en place par le gouvernement d’un bouclier tarifaire pour les grandes entreprises ».
Olivier Andriès a rappelé que le prix de l’énergie payé par les entreprises a été « multiplié par cinq en France comparé à 2019, alors qu’il est stable aux Etats-Unis et en Asie ».
L’équipementier met ainsi en avant une dure réalité macro-économique : pour l’industrie manufacturière, le coût de l’énergie est un facteur primordial, à l’instar du coût de la main d’œuvre et des impôts. Dans le grand calcul qui mène à justifier l’implantation de nouvelles capacités de production dans une zone géographique donnée, il prend désormais une place prépondérante.
En l’absence d’énergie disponible à coût stable et acceptable, les grands groupes voient la rentabilité des installations sur le Vieux Continent chuter cruellement par rapport aux alternatives américaines et asiatiques.
Safran possédait déjà une usine de freins carbone près de Lyon, et deux autres à l’étranger. Malgré la technicité du produit et l’avance technologique du groupe dans le domaine, installer les nouvelles capacités de production sur le site de Feyzin n’avait été possible qu’en augmentant la part d’automatisation dans la nouvelle usine pour compenser les coûts de main d’œuvre français structurellement plus importants.
La hausse des prix de l’énergie a été le surcoût de trop qui a rendu le projet d’implantation hexagonale non-rentable.
Northvolt inquiet pour l’Allemagne
L’équipementier aéronautique n’est d’ailleurs pas le seul à faire ce diagnostic. Le suédois Northvolt, qui devait construire une giga-factory de batteries en Allemagne, envisage d’abandonner le projet pour le faire renaître outre-Atlantique.
Cette usine allemande devait être un pilier de la souveraineté énergétique – et technologique – de l’Europe.
Au mois de mars, le suédois avait ravi les autorités outre-Rhin en annonçant avoir choisi la région de Hambourg pour installer sa troisième usine après celle inaugurée en 2021 à Skellefteä et celle en construction près de Göteborg (les deux en Suède).
Avec ces trois sites, le producteur de batteries devait pouvoir répondre au besoin en stockage d’énergie de 3 millions de voitures par an tout en limitant les risques logistiques et politiques pour les constructeurs automobiles européens, qui achètent aujourd’hui majoritairement leurs cellules de batteries en Chine.
Las, le gigantisme du projet se retourne désormais contre lui. Les économies d’échelle de la giga-factory ne peuvent rien contre sa soif d’énergie : avec une consommation électrique de 2 000 GWh par an, choisir l’Allemagne et son prix de l’énergie indomptable n’a plus de sens.
Selon Peter Carlsson, le PDG et co-fondateur de Northvolt, déplacer la giga-factory aux Etats-Unis permettrait de profiter d’une énergie deux fois moins chère et d’incitations fiscales importantes. Au total, le coût de production des cellules devrait être de 30% à 40% inférieur de l’autre côté de l’Atlantique.
Voir des entreprises high-tech comme Safran et Northvolt annuler la construction de capacités de production sur le Vieux Continent doit être pris comme un signal d’alarme. Cela signifie que l’innovation technologique n’est plus à même de compenser, par les gains de productivité qu’elle apporte, la hausse des coûts de production.
L’Europe, qui se réfugiait dans le tertiaire et l’industrie de pointe pour compenser la tendance à la désindustrialisation, doit vivement réagir si elle souhaite conserver une activité manufacturière sur son territoire.
Les salaires élevés pouvaient être compensés par un recours accru à l’automatisation qui diminue mécaniquement la part des salaires dans la valeur ajoutée.
L’énergie, il est temps que nos dirigeants en prennent conscience, n’est pas substituable. Pour nos industriels, il est impératif qu’elle soit disponible à coût acceptable – sans quoi même les activités les plus pointues seront à leur tour délocalisées.
1 commentaire
Une méga taxe carbone serait elle la solution ? On va crier au protectionnisme , mais je pense que dans les conditions actuelles , c’est sans doute un moindre mal .
Car , à la fin , c’est encore les USA qui vont tirer les marrons du feu. Avec des « amis » pareils on a pas besoin d’ennemis….