Personne n’a de boule de cristal… mais il suffit d’un brin de logique et de bon sens pour réaliser que l’épidémie de coronavirus a déjà des répercussions sur l’économie – et qu’elles seront durables.
Il est bien sûr trop tôt pour prédire les conséquences à long terme de l’épidémie de coronavirus. Ceux qui le font sont des charlatans.
Il n’est pas trop tôt, en revanche, pour reconnaître que la situation est grave, tant sur le plan sanitaire que sur les plans économiques et financiers. Par ailleurs, ce serait faire preuve de naïveté que de ne pas inclure dans les sujets de préoccupation les risques pour la stabilité sociale.
Le risque d’une mise en réflexivité du financier et de l’économique existe, c’est incontestable. Un cercle vicieux de déflation économique qui mettrait le monde en risk-off et paralyserait le crédit serait catastrophique.
Une récession mondiale probable et atypique
La récession mondiale n’est pas une certitude, mais elle est l’hypothèse la plus probable.
Pourquoi ? Parce que, déjà, les forces de croissance étaient faibles, et que le sinistre intervient alors que de nombreux pays sont dans des situations vulnérables.
Nous sortons d’un épisode récessif en 2018 qui n’a été contré que par de nouvelles mesures monétaires exceptionnelles. La croissance mondiale en 2019 n’était que de 2,9%, pas si loin du niveau de 2,5% qui a historiquement constitué une récession mondiale. Certains divisent déjà par deux le taux de croissance de l’année en cours.
La Chine, l’Allemagne, le Japon étaient eux aussi déjà en position défavorable sinon inquiétante avant les événements. Partout, la profitabilité avait tendance à chuter, les cash flows de l’appareil productif ralentissaient alors que le montant des dettes atteignait des niveaux record. Seuls les Etats-Unis étaient en position à peu près favorable au moment du déclenchement.
Avec les achats d’anticipation et de stockage, les statistiques vont être faussées, et la récession n’est peut-être pas imminente. Mais cela pourrait être trompeur.
Selon toute probabilité, le ralentissement économique sera profondément atypique ; il devrait se situer à la fois au niveau de la demande et au niveau de l’offre, ce qui est rare.
Il faut remonter aux chocs pétroliers du milieu des années 70 pour trouver un choc d’approvisionnement aussi important. Des dizaines de millions de personnes ne peuvent pas aller travailler, les déplacements et les transports sont fortement perturbés, les chaînes de valeur mondiales s’effondrent, les frontières sont bloquées et le commerce mondial se rétrécit parce que les pays se méfient les uns des autres.
La libre circulation des personnes et des marchandises, déjà obérée depuis quelques temps, va en prendre un sacré coup. Le « frottement » global va s’intensifier. La fluidité va disparaître.
Excédents et pénuries
Il n’est pas impensable que le choc sur l’offre nous conduise à une situation originale dans laquelle coexisteraient à la fois des excédents et des pénuries.
Des poches d’inflation spécifiques ne sont pas exclues ; tout comme il n’est pas exclu qu’elles soient contagieuses. Si c’était le cas, cela compliquerait singulièrement la tâche des responsables de la conduite des affaires. La planète n’est pas prête à supporter une poussée inflationniste : tout le monde est du même côté du bateau, le côté déflationniste.
La peur de la contagion va affecter les compagnies aériennes et le tourisme, tout comme les achats liés aux voyages. Les comportements de précaution vont se développer, on va plus rester chez soi, calfeutré ou confiné. Le monde va bouder les contacts et redevenir plus méfiant. Tout cela n’est guère favorable aux initiatives et prises de risque.
Les pays touchés ou même non touchés vont devoir engager des dépenses budgétaires massives – pour faire face à la fois aux dépenses de santé et aux pertes de revenus, et pour soutenir leurs économies.
Beaucoup vont regretter la légèreté avec laquelle ils ont creusé les déficits sans raisons autres que politiques dans le passé ; ils vont regretter les largesses antérieures. Le risque arrive alors que partout, les situations bilancielles des gouvernements – sauf pour l’Allemagne – sont mauvaises, on a beaucoup gaspillé et peu investi.
La prochaine récession viendra probablement de la Chine
La Chine est mal en point, coincée dans le stop and go à cause d’un endettement généralisé excessif, avec une économie désajustée. Elle a un problème démographique. Elle a aussi une économie à fort effet de levier, et elle ne peut se permettre une pause prolongée car son système bancaire est en état de quasi-faillite.
Les particuliers, les entreprises, les municipalités, les provinces ont besoin de fonds pour rembourser des dettes astronomiques. Le yuan est tout sauf solide.
Une spéculation folle sur le logement résultant de programmes de relance récurrents a produit une bulle qui, si elle éclatait, ferait sombrer le système… et surtout déstabiliserait la société chinoise.
Dans ce contexte, sans imaginer le pire, on peut craindre que les tensions sociales et politiques se manifestent et compliquent la gestion d’une situation qui mérite beaucoup de doigté.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]