▪ Ah, quel spectacle incomparable que la mine réjouie des gérants qui calculent mentalement le montant de leur bonus (indexé sur la performance de leurs fonds) et qui s’empressent d’oublier qu’il était égal à zéro cinq semaines auparavant !
Ils viennent nous soutenir avec assurance que cette hausse est la conséquence logique — voire inévitable — du retour de l’appétit pour le risque.
Rassurez-vous, ils ne parlent pas du leur. Ils ne doivent pas être 5% à avoir acheté du papier à l’issue de la semaine du 11 au 16 novembre dernier.
Comment l’auraient-ils pu d’ailleurs puisque les clients particuliers continuent de déserter le compartiment actions ? Ils ont désinvesti pour l’équivalent de 650 millions d’euros le mois dernier et la décollecte se monte à 11,5 milliards d’euros depuis le 1er janvier ; la barre des 12 milliards d’euros sera allègrement franchie d’ici le 31 décembre.
▪ Les gérants retournent leur veste
Oui, ils viennent tous faire leur malin devant les micros, tentant de nous faire croire qu’ils sont plus haussiers que d’authentiques permabulls. Pourtant, ils soutenaient presque tous la thèse d’une stagnation de la Bourse sous 3 550/3 600 jusqu’à la mi-2013 un mois auparavant.
Les raisons de leur prudence, vous les connaissez bien. Elles avaient durant quelques semaines (de fin septembre à mi-novembre) rejoint les nôtres.
En tête des préoccupations, il y avait la récession qui n’a pas fini de geler toutes les initiatives des entreprises (pas d’investissement, pas d’embauche) et de plomber le moral des consommateurs en Europe.
Il y avait le ralentissement à moins de 7,5% de la croissance en Chine… le coup de frein beaucoup plus brutal du Brésil (hausse du PIB divisée par trois en 18 mois)… et plus récemment, la révision en nette baisse des prévisions de l’Inde.
Mais oubliez ça ! Dites juste « heureusement, il y a les émergents » et tout le monde se représente mentalement une croissance à 10% jusqu’en 2020e.
Côté aspects positifs, il y a bien l’argent gratuit et en quantité illimité déversé par la Fed (qui sera bientôt imitée par la Banque centrale du Japon) mais chacun convient que cela n’a jamais relancé durablement l’économie.
N’oublions pas la BCE qui promettait beaucoup le 25 juillet dernier. Cependant, elle n’a pas encore eu l’occasion de verser le premier euro à l’Espagne, qui repousse du mieux qu’elle peut le moment où elle devra se résoudre à perdre sa souveraineté économique.
Enfin, la Grèce est définitivement sauvée… pour la sixième fois en quatre ans !
Réjouissons-nous bruyamment jusqu’au prochain défaut de paiement ou prochain éclatement de la coalition au pouvoir… si la rue leur laisse le temps de se rejeter la responsabilité de l’hyper-austérité qui mène le pays vers une dépression comparable à l’Argentine.
Mais sans la possibilité de s’en sortir par une dévaluation de la devise !
▪ Une Zone euro qui ne va pas si bien que ça
Aucune des problématiques majeures qu’affronte l’Europe n’est résolu en réalité, ni en Grèce, ni au Portugal, ni en Espagne… et la France est-elle vraiment en meilleure posture ?
Nous assistons simplement à un mouvement de retrait ponctuel des spéculateurs en voyant Mario Draghi brandir sa seringue de morphine monétaire.
Mais la morphine ne soigne pas la maladie, elle assure juste un trépas plus confortable à celui qui en souffre.
Il faudrait entreprendre sur l’Europe une véritable thérapie génique, pratiquer l’ablation du dumping fiscal, passer le shadow banking aux rayons X, appliquer une chimiothérapie fine visant à éliminer les métastases dogmatiques parasitantes en préservant les principes économiques sains.
L’homme malade a cessé de gémir, alors il est déclaré guéri.
Dès que la douleur cesse, l’illusion de la pleine santé retrouvée s’impose et l’avenir redevient radieux.
Prenez le seuil des 3 600 points à Paris. Il figurait encore début décembre comme un objectif insurpassable vu les perspectives 2013. Et voilà que 22 séances de hausse (sur 25) plus tard, personne ne s’étonne que le marché poursuive sa route sans se restaurer, sans dormir… comme le véritable robot qu’il est devenu, indifférent à l’espoir comme à la peur, s’appuyant sur les millisecondes qui précèdent plutôt que sur les perspectives qui s’ouvrent à moyen terme.
Nul ne doute plus que l’année se conclura quelque part entre 3 650 et 3 750 — soit une hausse annuelle comprise entre 16% et 18%, ce qui tient déjà du prodige. Les objectifs sont largement revus à la hausse d’ici mars avec 4 000 et même 4 250 en ligne de mire pour les plus optimistes.
Avouez tout de même qu’un CAC 40 clôturant en hausse de 0,06% à 3 666 (36 = 6×6) jeudi soir, à la veille de la séance des « Quatre sorcières » (certains nous prédisent la « fin du monde »), cela constitue une coïncidence assez… diabolique, voire apocalyptique !
Mais au diable les clins d’oeil algorithmiques. Plus le CAC 40 monte (dans un environnement conjoncturel qui ne prête pas à une exubérance irrationnelle), plus les stratèges et les gérants trouvent de raisons de justifier la poursuite du rally haussier.
Selon la pensée unique qui s’est imposée dans les esprits en l’espace de quelques semaines, la récession n’est plus un frein à la hausse des marchés, bien au contraire.
Elle garantit des taux éternellement bas et comme le potentiel de nouvelles plus-values est quasi nul du côté des emprunts d’Etat les mieux notés, les investisseurs vont sortir massivement des placements obligataires en 2013 parce que ces derniers n’offrent plus aucun rendement.
Mais au fait, cela fait juste 20 ans que c’est le cas au Japon ! Le Nikkei a néanmoins vu son cours divisé par quatre dans l’intervalle.
En ce qui concerne la menace du krach obligataire, nous n’y croyons guère tant que les marchés pensent que les banques centrales restent prisonnières de leur stratégie non-conventionnelle.
Autrement dit tant qu’elles jouent à l’apprenti sorcier, faussant depuis bientôt quatre ans les mécanismes de valorisation des actifs… et sans aucune idée des conséquences à moyen terme faute de précédents historiques.
En même temps que nous renouvelons nos conseils de prudence — un indice qui grimpe cinq semaines sans corriger, c’est une anomalie historique majeure — nous conclurons notre dernière Chronique de 2012 par un aphorisme auquel nous souscrivons depuis beaucoup plus longtemps que ceux qui en ont fait leur pensée du mois. « A force de privilégier le rendement sans risque (même les actions retrouvent un statut de placement sûr), les investisseurs vont basculer vers le risque sans rendement ».
1 commentaire
expert comptable autodidacte retraité j’ai tellement vu et entendu les « experts » financiers auxquels autrefois j’accordais une réelle confiance je me dis aujourd’hui que semblable à une toile d’araignée aux innombrables fils, personne (ou alors ce fameux serpent de mer du gouvernement mondial secret)
n’est en mesure de prévoir ce que l’avenir à moyen terme nous réserve…
je pense, quant à moi, que tant que la valeur boursière d’une entreprise ne correspondra pas
à sa valeur réelle nous serons les jouets des spéculateurs qui se fichent pas mal de la santé des économies nationales… les yeux fixés surtout sur leur propre fortune…
merci néanmoins de tacher de nous faire entrevoir quelques lumières à l’exemple de « cette obscure clarté »