En dépit des politiques appliquées par les banques centrales, Fed en tête, l’appétit pour le risque diminue sur les marchés, et ce qui devait arriver… arrive.
Je vois les titres des journaux, tous aussi stupides les uns que les autres – en particulier celui des Echos qui attribue la chute des marchés financiers, ce mardi, à la peur du reconfinement.
Le mythe de la théorie des marchés efficaces a la vie dure. Vous savez, c’est cette théorie qui considère que les marchés sont efficaces parce qu’ils réagissent efficacement aux nouvelles. Les nouvelles étant bien sûr les titres des journaux imbéciles qui, incapables de suivre en profondeur l’évolution des marchés, de l’interpréter, accrochent n’importe quelle nouvelle à titre de causalité.
Une fenêtre de vulnérabilité s’est ouverte sur les marchés mondiaux. Le gestionnaire de fonds J.P. Hussman a publié à ce sujet une note très claire dans laquelle il expliquait que l’esprit de spéculation était en train de faiblir et que l’appétit pour le jeu mesuré par l’unanimité des marchés avait considérablement baissé.
Hussman énonçait ainsi ce que j’affirme très souvent, à savoir que, quand l’appétit pour le jeu est grand, les joueurs achètent indistinctement n’importe quoi et à tout prix ; en revanche, quand l’appétit pour le jeu faiblit et qu’ils sont rassasiés, ils chipotent et concentrent leurs achats sur une poignée de titres.
Unanimité et divergences
Cette perte d’appétit pour le jeu peut donc être décelée et chiffrée par des indicateurs dits d’unanimité ou de divergence. Quand l’unanimité est forte, l’appétit est grand ; quand les divergences se multiplient, l’appétit se réduit.
Nous étions donc il y a quelques semaines, clairement, dans l’une de ces phases. Cela signifie qu’une trappe de vulnérabilité propice à un trou d’air était ouverte. Bien entendu, il est difficile de fixer tout cela à un jour près, mais néanmoins, aussi bien Hussman que moi-même, un ou deux jours après lui, avons eu la chance d’être clairvoyants et d’exposer cette situation propice à un trou d’air.
Tout ceci pour vous dire que les baisses des marchés sont surdéterminées. D’une part, les marchés ont leur propre évolution endogène, c’est-à-dire leur momentum, leur logique, leurs contradictions. D’autre part, il y a le monde extérieur, c’est-à-dire l’exogène. Un trou d’air, c’est la survenue de quelque chose d’exogène sur une situation endogène devenue critique.
Nous y étions donc et ce qui devait arriver est en train d’arriver.
La vraie question n’est donc pas celle du confinement ou des autres billevesées. Les Bourses adorent les catastrophes, comme je l’ai mille fois expliqué. Les boursiers chantent en chœur : vive les crises !
En effet, les intervenants savent que les crises les enrichissent. Plus cela va mal, plus on leur fait de cadeaux. On distribue l’argent à la pelle, on arrose de crédit gratuit… et comme l’économie réelle, asséchée depuis longtemps, est incapable d’absorber ces liquidités et d’en faire bon usage, ces liquidités généreuses ruissellent, se concentrent dans les caniveaux qui mènent à la grande mer boursière.
Les liquidités ne sont plus absorbées depuis longtemps par l’économie réelle ; les dépenses d’équipement productif, elles, viennent gonfler les fortunes des ultra-riches.
Jerome Powell, chef pâtissier
Tout ceci pour vous dire que si les financiers avaient peur du confinement pour leur liberté d’aller et venir, au fond d’eux-mêmes, ils s’en réjouiraient et se frotteraient les mains car ils sentiraient l’odeur de la bonne galette. Cette odeur de la bonne galette, malheureusement, ils ne l’ont pas sentie lors de la dernière intervention du chef pâtissier Powell.
Celui-ci, tout à sa tambouille monétaire à la sauce inflation, a déçu ses admirateurs. En effet, au lieu d’annoncer de nouvelles largesses et de nouvelles mesures, dans sa dernière intervention, il n’a rien annoncé de quantitatif. Il n’a fait que proposer une soi-disant nouvelle politique.
Cette politique totalement vide de stimulant ne comportait rien sur les quantités ou les taux. Elle ne portait que sur le facteur temps. Jerome Powell a simplement signifié qu’il allait prolonger le temps de cuisson de la galette : cela allait durer jusqu’à ce que l’inflation dépasse clairement les 2% afin d’obtenir une moyenne et de rattraper l’inflation perdue pendant tant d’années.
Tout cela est bien beau, mais cela ne fait pas d’argent nouveau pour nos gourmands. Eux, il leur faut des sous, et tout de suite. La promesse qu’on leur en donnera pendant plus longtemps ne leur suffit pas pour une bonne raison – à savoir qu’ils savent depuis de nombreuses années que ce sera ainsi.
Il faudrait être naïf pour croire que les politiques monétaires non-conventionnelles ne sont pas destinées à durer, durer, durer, jusqu’à la catastrophe finale.
Aveu d’impuissance
Tout ceci pour dire que notre Powell n’ayant annoncé qu’une chose que tout le monde savait, il a déçu.
Sa litanie selon laquelle il faut compléter les politiques monétaires par une vigoureuse action budgétaire sonne comme un aveu d’impuissance. Il sait que l’on a touché les limites du monétaire, mais il sait également que les conditions politiques ne se prêtent absolument pas à un accord budgétaire qui serait à la hauteur des défis qui sont à relever. Ce n’est pas avant de nombreux mois que la question d’un accord pour une forte action budgétaire pourra être résolue aux Etats-Unis.
Pour mettre tout ceci bout à bout, retenez :
– l’effet des stimulations mises en place depuis mars était en train de s’estomper ;
– la prise de conscience de l’inefficacité des dopages en termes économiques se propage. On ne croit plus à une reprise en forme de « V ». On croit même que la reprise en « L » a déjà plafonné ;
– la multiplication des opérations d’ingénierie financière constitue un signal d’épuisement du momentum que l’argent intelligent a correctement interprété ;
– la qualité de la hausse tant au niveau des intervenants qu’au niveau des véhicules spéculatifs choisis était devenue particulièrement médiocre.
Ce qui devait arriver arriva.
Certains se demanderont si ceci constitue une simple correction ou bien un renversement de tendance fondamentale.
Rien n’est écrit, car la bêtise humaine étant insondable, il est difficile d’anticiper les erreurs qui pourront être commises au cours des prochaines semaines. Jusqu’à présent, comme l’a noté un observateur qui a écrit un livre à succès : « Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? ».
Ils sont capables de tout, y compris de briser le charme sous lequel les Bourses vivent depuis 12 ans.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]