▪ Les marchés ont été visiblement déçus par la prestation de Mario Draghi hier : « il ne s’est engagé sur rien, il laisse ses outils sur l’étagère ».
Autrement dit, il aurait parlé pour ne rien dire !
En fait, les marchés regrettent surtout qu’il n’ait pas dit ce qu’ils avaient envie d’entendre.
La synthèse de politique monétaire de la BCE n’apporte en effet aucun élément original par rapport au précédent communiqué du mois de mai.
Mario Draghi a simplement profité des questions des journalistes pour réaffirmer que le niveau des taux d’intérêt — maintenu à 0,5% — est adéquat et compatible avec le scénario de reprise graduelle qu’il voit se dessiner en Europe pour la fin de l’année.
La BCE se réserve la possibilité de mettre en oeuvre d’autres outils à sa disposition. Notamment l’instauration de taux de prise en pension négatifs, maintes fois évoqués, pour contraindre les banques à irriguer l’économie réelle en crédit aux entreprises… et pas seulement en faveur des très grosses qui n’ont pas besoin de plus de cash.
Mais les établissements financiers font de la résistance. Leurs marges sont basses (les taux marchés sont historiquement faibles) tandis que la solvabilité de nombreux emprunteurs leur semble douteuse. En d’autres termes, le risque reste élevé et il est insuffisamment rémunéré.
▪ Pas de rachat de dette « en direct » pour les PME
Des rachats « en direct » de dettes de PME (de type ABS) par la BCE figuraient parmi les hypothèses permettant de contourner la frilosité des banques… mais Mario Draghi assure qu’une telle option n’est pas à l’étude.
Le fond de l’affaire, c’est qu’il apparaît compliqué de valoriser et de packager des émissions de petites taille correspondant à des émetteurs ayant des métiers très hétérogènes et confrontés à des problématiques aussi dissemblables que possible.
L’autre handicap de l’Europe, c’est que certains pays continuent de manquer de compétitivité. Qui plus est, ils ne doivent pas ralentir le rythme des réformes, sous peine d’être sanctionnés par les marchés (avec un tel portrait chinois, tout le monde pense à la France).
Mario Draghi n’a pratiquement rien dévoilé de la nature des débats qui agitent les membres de la BCE. Cependant, il minimise les divergences de vues au sujet du recours aux rachats de dette ou d’un nouveau programme d’OMT — l’Allemagne continue de freiner toute initiative pouvant être assimilée à un soutien unilatéral aux pays en difficulté.
En ce qui concerne la mise en place ô combien laborieuse de l’union bancaire, il souligne que les liquidités — très abondantes dans le système financier — ont permis aux banques de retrouver leur autonomie de refinancement, mais qu’il pourrait être nécessaire de recapitaliser certaines d’entre elles.
▪ Et la Grèce ?
Le patron de la BCE a été beaucoup questionné sur le mea culpa du FMI relatif au fiasco grec et son maintien au sein de la Troïka (composé d’émissaires de Bruxelles… et de la BCE).
Le FMI reconnaît s’être montré défaillant à tous les niveaux : prévention et diagnostic, manque de coordination avec Bruxelles, mauvais choix des remèdes, entêtement dans l’impasse de l’hyper-austérité… En somme, un savant mélange d’incompétence et d’arrogance qui plonge les populations dans le désarroi et le chaos. Le FMI, quoi !
On apprend par ailleurs, de la bouche même des plus hautes autorités européennes, que le « Grexit » (la Grèce quittant la Zone euro) a failli devenir une réalité l’été dernier.
Les marchés ont cependant d’autres soucis en marge du frisson rétrospectif évoqué ci-dessus. Les taux longs se sont en effet nettement re-tendus au sud de l’Europe jeudi après-midi.
Les BTP italiens renouaient avec les 4,33% (+0,23%). Le 10 ans espagnol remontait à 4,62% tandis que le 10 ans portugais repassait au-dessus des 6% (le Bund se stabilisant vers 1,55%).
Le dollar connaissait symétriquement un nouvel accès de faiblesse et rechutait sous 1,3200/euro, ce qui traduit une prise de distance par rapport aux actifs libellés en dollars.
▪ Qu’est-ce qui rend les cambistes aussi empressés de se débarrasser de leurs billets verts ?
Pourrait-il s’agir de cette étude de la Fed de Chicago qui a fuité jeudi après-midi ? On y apprend — comme par un heureux hasard à moins de 24 heures de la publication des chiffres de l’emploi américain — que le marché du travail américain n’est pas près de retrouver sa configuration d’avant-crise.
Ceci induit une poursuite du QE3 pour une période très étendue… comme l’anticipait d’ailleurs Nouriel Roubini. C’est vraiment confondant d’observer à quel point tout se recoupe merveilleusement
Selon Daniel Aaronson, le vice-président de la Fed auteur de l’étude en question, « si l’économie américaine continue de créer des emplois au rythme actuel, il faudra attendre la fin 2016 pour que le chômage retombe vers 5,5% ».
Compte tenu des destructions massives d’emplois de 2008 et 2009, l’économie américaine devrait générer 195 000 postes par mois pour résorber d’ici trois ans les conséquences de la crise.
Mais c’est en prenant pour hypothèse que le point d’équilibre du marché du travail est obtenu avec moins de 100 000 nouveaux emplois par mois. Nous estimons cela hautement contestable : il en faudrait le double, sans oublier 100 000 postes additionnels par mois pour absorber les exclus (et pas seulement les chômeurs officiels) d’ici fin 2015.
Selon les estimations de la Fed de Chicago, il faudrait seulement 240 000 créations d’emplois par mois durant 30 mois pour atteindre cet objectif.
Avec une moyenne de 165 000 postes par mois — le chiffre d’avril — il faudrait cinq ans pour revenir au plein emploi… à condition que Wall Street ne s’en aille pas dans le mur d’ici là.
Au moins, la Fed et nous sommes bien d’accord sur une chose : ce n’est pas dans les six ou 12 prochains mois que le taux de chômage se contractera au point de flirter avec la cible des 6,5% fixée par Ben Bernanke et ses acolytes. Le QE3 n’est donc pas près d’être restreint pour ce motif.
En ce qui concerne les bulles d’actifs en revanche, nous voici revenus, en tout juste quatre ans, dans une configuration comparable à 1987 ou 2007.